Maiana Bidegain : "La personne qui nous a fait mal peut être celle qui répare"

Maiana Bidegain : "La personne qui nous a fait mal peut être celle qui répare"

Dans son documentaire "Rencontre Avec Mon Agresseur", diffusé le 4 juin à 20h50 sur France 5, Maiana Bidegain rend compte de sa prise de contact avec celui qui l'a violée à l'âge de 7 ans. La réalisatrice met en lumière la justice restaurative, nouveau modèle judiciaire dont l'objectif est de réparer la victime et l'agresseur. Elle nous raconte son parcours, semé d'embûches, vers la guérison.

Maiana Bidegain retrace son cheminement vers la vérité dans son documentaire Rencontre Avec Mon Agresseur, diffusé le 4 juin à 20h50 sur France 5. Un long-métrage édifiant, produit par Mélissa Theuriau, qui relate la rencontre de la réalisatrice avec l'homme qui l'a violée lorsqu'elle avait 7 ans. Cet échange a pu se dérouler par le biais de la justice restaurative, modèle judiciaire introduit en France en 2014, dont le but est d'apaiser les deux parties et empêcher les récidives par le dialogue et la prise de conscience. Maiana Bidegain nous raconte son parcours sinueux à la recherche de réponses à des questions dont elle ignorait l'existence.

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous entendu parler de la justice restaurative ?
Maiana Bidegain : J'ai entendu parler de la justice restaurative il y a plus d'une dizaine d'années. Dans l'un de mes films précédents, Secretos De Lucha, où je revenais sur le parcours de mon père en Uruguay, je mettais en scène la séquence dans laquelle j'avais retrouvé l'un de ses tortionnaires. Je l'avais appelé et je l'avais passé à mon père pour qu'il entende ce que son tortionnaire avait à dire, des années plus tard. Cette séquence avait interpellé Robert Cario, fondateur de l'Institut Français de la Justice Restaurative. Il m'a contactée et c'est ainsi que j'ai découvert la notion de créer un espace de dialogue entre des victimes et des agresseurs. À l'époque, en 2008, je n'aurais pas pensé y faire appel, d'abord parce que cela n'existait pas en France, et surtout parce que, pour moi, ce qui m'était arrivé dans mon enfance était réglé, je l'avais surmonté.

Pourquoi avoir décidé d'entreprendre cette démarche ?
Maiana Bidegain : 
Je suis tombée par hasard sur l'article où le nom de mon agresseur était cité, il comparaissait pour un autre procès pour agressions sexuelles sur mineur. Mon monde s'est effondré. Je me suis dit que je devais aller à sa rencontre, car il restait des questions en suspens. Je n'avais eu aucune occasion de les lui poser, puisqu'à l'époque, j'étais trop petite, je n'étais même pas présente au procès. Toute ma vie durant, j'espérais de tout cœur qu'il avait compris et qu'il ne recommencerait pas. En voyant qu'il avait récidivé, je me suis demandée : qu'est-ce qui n'a pas marché dans cette justice ? Je me suis dit qu'aller à sa rencontre et lui parler de la gravité de ses actes, des conséquences qu'ils ont eu sur ma vie, pourrait peut-être l'aider à changer. Finalement, celui qui a fait du mal peut être celui qui répare...

Vous dites que vous pensiez avoir tourné la page de cette agression depuis des années. Ce dialogue avec votre agresseur a-t-il permis d'affronter une forme de déni ?
Maiana Bidegain : 
Certainement. Pendant longtemps, j'ai refusé de m'identifier en tant que victime. Je me suis construite sur cette blessure. Je tentais de ne jamais laisser quelqu'un prendre le pouvoir, "non" n'était pas une réponse. Si je voulais faire quelque chose, j'y allais jusqu'au bout, en essayant de ne jamais remettre au lendemain, car je savais que la vie pouvait s'arrêter en un instant. Je m'étais promis à moi-même de ne plus jamais mentir, ne plus jamais voler de bonbons, ne plus pleurer, il fallait que je sois dure. La médiation et ce processus m'ont donc permis de revisiter toutes ces émotions et mettre le doigt sur des choses qui étaient effectivement enfouies depuis longtemps.

Le fait d'avoir documenté votre parcours vous a-t-il aidé ?
Maiana Bidegain : 
J'aurais fais cette démarche au niveau personnel quoiqu'il arrive, mais comme le temps a passé entre le moment où j'ai fais la demande et celui où la médiation a pu se passer, j'ai eu le temps de mûrir le processus. Donc, je me suis dit qu'il fallait que j'en parle. Puisque mon métier est de raconter des histoires par les films, alors je partagerais ma quête dans ce film. Le fait d'avoir obtenu l'autorisation de faire cet enregistrement était tout à fait exceptionnel, puisqu'une des clauses essentielles de la justice restaurative est la confidentialité dans les rencontres mises en place. Quand j'ai expliqué que j'avais l'intention de documenter mon protocole, il a fallu vaincre un certain nombre d'obstacles et convaincre de l'intérêt de mon projet. J'ai eu à jongler entre ces deux casquettes : vivre ma démarche et construire mon film, mais le fait de déléguer une partie des responsabilités à la boîte de production 416 Productions m'a aidée.

Est-ce à dire que la justice pénale ne serait pas suffisante dans la plupart des cas ?
Maiana Bidegain : 
Les avocats ont des rôles extrêmement importants à jouer, mais le problème est que le temps du procès n'est pas forcément le temps de la vérité, il ne permet pas aux personnes concernées de parler directement. Ils s'expriment seulement par le biais de l'avocat ou du procureur. Je connais des victimes qui ont été détruites après le procès, parce que même si leur agresseur a été en prison, elles n'ont eu aucune réponse à leurs questions. Par ailleurs, quand les avocats de la partie adverse, pour minimiser les faits des agresseurs, vont fouiller dans leur vie à la recherche de détails qui prouveront que la victime n'est pas crédible, c'est souvent abominable. Après tout, la justice restaurative est basée uniquement sur le volontariat et la reconnaissance des faits des deux côtés.

Avez-vous accordé une sorte d'absolution à votre agresseur ?
Maiana Bidegain : 
Pas vraiment, l'acte ne peut pas être pardonné. Par contre, je sais que cet homme, qui s'est révélé très intelligent et articulé, pourrait faire des choses magnifiques, j'en suis persuadée. Mon respect pour lui pourrait naître des décisions qu'il prendrait par la suite dans sa vie, même si je ne le recroiserai pas. Je pense que l'on a tous besoin d'un soutien, qu'on ait fait du mal ou pas. Il faut que quelqu'un nous dise que l'on est capable de mieux faire, et c'est ce que j'ai voulu lui apporter, tout en essayant de me détacher de lui.

Ne manquez pas Rencontre Avec Mon Agresseur, réalisé par Maiana Bidegain et produit par Mélissa Theuriau, le 4 juin à 20h50 sur France 5. Après le documentaire, un débat sera animé par Marina Carrère d'Encausse.