AZURO : Matthieu Rozé nous fait chavirer

Matthieu Rozé plonge dans l'univers de Marguerite Duras pour en ressortir AZURO, une carte postale torride sur le désir, le couple, l'amitié et le Campari. Ce premier film passionné, au cinéma le 30 mars, ouvre une parenthèse ensoleillée à Valérie Donzelli, Yannick Choirat et Nuno Lopes. Sur la plage abandonnée, le temps s'arrête et les sentiments s'embrasent. Interview d'un réalisateur exalté.

AZURO : Matthieu Rozé nous fait chavirer
© Marechal Aurore/ABACA

Intemporel. Matthieu Rozé insiste sur l'adjectif alors qu'on l'interroge sur la pépite solaire qu'il vient de réaliser. Azuro, son adaptation des Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras, embrase les écrans depuis le 30 mars. Le metteur en scène l'a donc voulu hors du temps, comme un mirage cinématographique, à la fois réaliste et magique, familier et mystérieux. Pour ancrer son premier film dans la chaleur Méditerranéenne, l'ancien comédien a misé sur un tournage à la pellicule, hommage aux westerns et meilleur moyen de rendre justice à la lumière écrasante des journées caniculaires. Les peaux dénudées, les regards et les paysages gagnent en texture et en profondeur, à l'image de la sensualité qui émane des personnages. Sara, Pierre et leur fils partagent des vacances avec leur couple d'amis Vadim et Gina et l'éternelle célibataire Margaux. Comme chaque année, les journées se découpent entre baignades, siestes au soleil et apéros au Campari. Leurs questionnements sur le couple et l'amour s'intensifient avec la rencontre de l'Homme. Alors que le désir de Sara pour le beau brun devient brûlant, un incendie gagne du terrain sur le lieu de villégiature de la bande. Si le roman de Duras conte l'après-guerre, le réalisateur a préféré placer son film avant un chamboulement apocalyptique, climatique. La tension n'en est que décuplée, nous embarquant encore plus vivement entre les flots de sentiments et les flammes de la tentation. Rencontre avec un cinéaste très inspiré.

Comment avez-vous découvert Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras ?
Matthieu Rozé
 : J'ai lu ce livre dont je suis tombé amoureux pendant une tournée de théâtre en tant que comédien. Tout de suite, j'ai eu envie de le projeter au cinéma. J'avais déjà réalisé deux courts-métrages et j'attendais le coup de foudre pour me lancer sur un long format. Ce roman m'a terriblement fait penser à mes vacances avec mes amis, à mes questionnements sur le couple, le groupe. Je suis parti à l'aventure avec cette première envie de faire incarner par des acteurs ce livre très dialogué, tiré d'une expérience réellement vécue par Duras.

Valérie Donzelli, Maya Sansa et Thomas Scimeca dans "Azuro" © Paname Distribution

Quel a été l'aspect le plus complexe pour imprimer les mots de Duras sur l'écran ?
Matthieu Rozé
 : Je voulais adapter Marguerite Duras sans la vulgariser ou la dénaturer. Je ne la connaissais pas très bien, je n'avais lu que deux livres d'elle, alors je me suis plongé dans son univers. Je suis parti écrire à Trouville-sur-mer, où je suis devenu dingue des Roches Noires (ancien hôtel dans lequel Marguerite Duras possédait un appartement, ndlr), j'ai vu tous ses films, regardé ses interviews. Ce roman glisse des indices de ce que va devenir l'héroïne durassienne. Dès le départ, j'avais envie de montrer que Marguerite Duras pouvait être assez drôle. Il y a quelque chose de joyeux dans cette histoire de torpeur, dans cette bande d'amis. Je n'ai pas vraiment voulu l'adapter, mais la plutôt transposer à l'écran, quitte à retirer des passages trop datés afin d'obtenir un film universel. Je n'ai pas été très directif avec les acteurs : on n'apprend pas à jouer à des Stradivarius ! En revanche, j'ai été très exigeant sur le texte. C'était une prouesse excitante pour eux d'être au plus proche des dialogues de Marguerite Duras en les jouant simplement, pour faire ressortir sa langue particulière.

Le film est marqué par beaucoup d'éléments visuels forts : vous avez tourné à la pellicule et il en ressort un grain, une lumière, des couleurs et finalement une image très personnelle. Comment cela vous est-il venu ?
Matthieu Rozé
 : J'avais envie de questionner le couple, de parler de ce groupe sans dater le film, pour lui conférer un aspect intemporel. La pellicule participe de ça. On sait d'emblée qu'on est au cinéma, qu'on nous raconte une histoire. J'adore les westerns et cette pellicule un peu rouge, qui montre le grain des cowboys, m'impressionne depuis petit. A côté, le numérique me paraît plat et me sort souvent des films. Parce qu'on est à 90% du temps dehors, en maillot de bain, torse nu sur la plage, il fallait approcher le grain de la peau, la transpiration, la chaleur, le rouge des visages. La pellicule me permettait d'aller au plus près de ce que j'avais envie de retranscrire.

"Valérie Donzelli est quelqu'un que j'aime passionnément"

Que vouliez-vous que cette photographie particulière ajoute à l'histoire ?
Matthieu Rozé 
: J'avais une obsession : je ne voulais pas de vert. Peut-être parce que je suis comédien et que ça porte malheur, mais aussi parce que le vert, c'est les plantes gorgées d'eau. J'avais envie de rouge, comme le Campari et le désir, de jaune, comme le soleil, et de bleu, parce que c'est ma couleur préférée et celle de la Méditerranée. De la même manière, chaque personnage représente des thématiques que l'on peut déceler uniquement si on regarde le film profondément...

A propos du casting, aviez-vous vos acteurs en tête dès le départ ?
Matthieu Rozé
 : Je ne voulais pas prendre des acteurs pour les mettre dans un moule. C'était eux, la matière brute. Depuis longtemps, Valérie Donzelli est quelqu'un que j'aime passionnément, comme Thomas Scimeca, qui est un poète fou, et Maya Sansa, une actrice italienne avec une sensualité incroyable. Ces trois rôles étaient pensés dès le départ. Pour le reste du casting, j'ai eu un coup de foudre pour eux en les rencontrant autour d'un café ou d'un Campari. Ils se sont imposés à moi. Je ne peux plus jamais imaginer le film sans eux. Jamais je n'ai eu l'once d'une frustration en les choisissant. J'avais davantage envie de travailler avec ces comédiens que de les distribuer dans un rôle. J'exagère, mais si un acteur m'avait dit "finalement je veux jouer tel personnage", je l'aurais presque fait. Je n'avais pas envie de créer un groupe homogène, j'étais intéressé par leur personnalité propre. Ces acteurs ont un dernier truc incroyable : une voix. Ils ont tous une manière de parler unique, un timbre particulier, un grain poétique. Cela participe à la musique du film.

Nuno Lopes dans "Azuro" © Paname Distribution

Nuno Lopes est particulièrement génial dans le rôle mystérieux de l'Homme...
Matthieu Rozé : Je cherchais quelqu'un d'étranger, qui vienne d'ailleurs. Nuno a travaillé son français avec acharnement. Ce côté magique de l'Homme, c'est lui qui se l'est complètement accaparé. Comme Yannick Choirat, dont le personnage de Pierre monte en puissance au cours du film ou comme Florence Loiret Caille, que l'on n'a jamais vue comme ça. Les acteurs se sont emparés des personnages. Le résultat est le fruit de leur travail, aidé par mon regard.

Le groupe se délite au moment de l'arrivée de cet Homme parmi eux. Que représente-t-il ?
Matthieu Rozé
 : L'amour, voire l'amour impossible, le désir fantasmé. Il a quelque chose de magique. Il n'a pas de nom, personne ne l'appelle jamais. Comme l'enfant d'ailleurs. C'est comme si tout ça était une boucle, comme si Sara était partagée entre son enfant et l'Homme. Je me suis même dit un moment donné que l'enfant, c'était l'Homme plus tard. Quelque chose d'étrange se joue avec la mer au centre. L'Homme nage parfaitement bien, Sara ne sait pas nager, elle fait la planche. C'est un personnage horizontal qui se redresse au cours du film. Ce n'est pas rien de faire la planche, ça raconte quelque chose sur le fait d'être en dehors du monde, entre deux eaux...

La joyeuse bande passe son temps à boire du Campari. Pourquoi avoir voulu conserver cet alcool comme une pièce centrale de leurs rapports ?
Matthieu Rozé
 : Je dis peut-être une bêtise, mais le Campari, grâce à ce livre, a été remis au goût du jour à l'époque de la sortie. Sans faire l'apologie de l'alcool, c'est une boisson incroyable, à la fois amère et très sucrée. J'y vois un rapport au désir, à l'amour. J'aime le fait de l'assumer complètement, de ne pas chercher à lui donner un autre nom. C'est presque l'alcool des vacances.

"Marguerite Duras m'a beaucoup accompagné"

Si le Campari est un élément fort du film, la musique participe aussi à lui donner ce ton très personnel. Qu'est-ce qui vous a amené à demander à Kid Francescoli de composer la bande-originale ?
Matthieu Rozé 
: J'adore les films musicaux. Pour mon premier film en tant que comédien, je jouais Michel Legrand et il m'a influencé. Mon superviseur musical m'a fait découvrir Kid Francescoli et je suis devenu complètement dingue de son art, alors je lui ai proposé de faire la musique d'Azuro. C'était sa première bande-originale. On a beaucoup discuté de nos références, de couleurs, de mots... Il vit au bord de la Méditerranée, il connaît bien cette ambiance. Cette pop électro décale un peu le film pour l'emmener ailleurs. Il a composé la musique en amont et j'aimais bien l'idée de la garder très brute, de l'ajouter ensuite aux images. C'est à la fois joyeux et nostalgique. Je ne voulais pas que la musique illustre trop les scènes ou qu'elle ne renforce le sentiment. Le côté intemporel passe aussi par là, on ne sait pas trop de quelle époque proviennent ces sonorités.

Pourquoi ce titre, Azuro ?
Matthieu Rozé
 : Dans ce petit village, les personnages sont un peu renfermés sur eux-mêmes. Ils vont depuis des années dans cet endroit où ils bouffent super mal, mais qu'ils adorent. On ne sait pas où on est, si ce n'est en vacances, au bord de la Méditerranée. Les gens parlent une langue qu'ils ne comprennent pas... parce que je l'ai inventée et que c'est un mélange de corse, d'italien, de croate, de grec. C'est une sorte d'esperanto estival. Le titre vient de la même envie. Azuro écrit comme ça n'existe dans aucune langue. Evidemment, c'est une référence au bleu, mais ce titre est à l'image de la langue parlée dans ce village. Je joue avec ce flou sur l'affiche aussi. Elle est hyper lumineuse, mais les personnages sont dans des positions inconfortables sur ces rochers. Est-ce l'heure de la sieste, du réveil ? On ne peut pas dire à quel moment de la journée ça se passe.

Cette expérience a-t-elle éveillé en vous d'autres envies de réalisation ?
Matthieu Rozé
 : Je n'ai qu'une envie, c'est de faire un deuxième long-métrage aussi singulier. J'aurais pu ne pas aimer réaliser, mais j'ai adoré suivre la construction d'un film. Partir d'une idée, adapter un roman, m'a passionné parce que c'est comme épouser quelqu'un. Marguerite Duras m'a beaucoup accompagné. J'ai envie de poursuivre cette aventure avec un autre livre.