Florence Loiret Caille (AZURO) : "Je suis sauvage"

Florence Loiret Caille insuffle fraîcheur et gouaille à la bande d'amis d'AZURO, de Matthieu Rozé, au cinéma le 30 mars. Aux côtés de Valérie Donzelli et Yannick Choirat, la comédienne incarne l'un de ses personnages favoris tiré de l'œuvre de Marguerite Duras. Interview.

Florence Loiret Caille (AZURO) : "Je suis sauvage"
© Moritz Thibaud/ABACA

Campari ! Dans Azuro de Matthieu Rozé, en salles le 30 mars, Florence Loiret Caille est Margaux, l'amie célibataire de la bande, pour qui toute problématique trouve solution dans un verre de cette liqueur italienne rouge, amère et sucrée. Margaux est en fait Diana dans Les Petits Chevaux de Tarquinia, de Marguerite Duras, dont c'est là l'adaptation. L'œuvre raconte les vacances d'un groupe d'amis sur la côte méditerranéenne. Leurs relations, la fidélité, l'ennui et les secrets sont mis à mal par l'arrivée d'un bel inconnu (Nuno Lopes) au milieu de leur carte postale estivale. Pendant que les émotions s'emmêlent, un incendie féroce ravage les alentours. Florence Loiret Caille nous a confié adorer ce roman et jouer l'un de ses personnages rêvés dans ce premier film embrasé. L'actrice du Bureau des légendes est solaire en copine toujours partante, volubile, bonne vivante et secrète. Interview.

Que vous évoquait Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras avant de dire "oui" à Azuro ?
Florence Loiret Caille
 : C'était l'un de mes livres préférés. Je le lis presque une fois par an depuis mes 17 ans. Un jour, dans le cadre de la promotion d'un film, à la question "quel personnage de fiction aimeriez-vous rencontrer ?", j'ai répondu que je rêvais de boire un Campari avec Sara (Valérie Donzelli dans le film, ndlr) au bord d'une plage. Le réalisateur d'Azuro est tombé sur cette interview et on s'est alors rencontrés. C'était l'un de mes rêves d'incarner Diana dans le livre et donc Margaux dans le film.

Qu'est-ce qui vous touche particulièrement chez elle ?
Florence Loiret Caille
 : C'est un vrai personnage de fiction et en même temps, je me sens très proche d'elle. Diana/Margaux représente une forme de liberté. J'aime ce qu'elle dit, l'amour qu'elle porte à ses amis, son humour, son secret... L'incarner m'a fait l'effet d'un rêve. C'était comme si j'avais 5 ans à nouveau et que c'était Noël. Au moment du tournage, on sortait du premier confinement, on avait juste besoin de lumière. C'était une période de ma vie très difficile. Faire ce film a été une renaissance pour moi.

"Je pensais que j'allais mourir noyée"

Margaux est un bout-en-train : était-ce alors difficile d'aller chercher cette légèreté en vous ?
Florence Loiret Caille
 : C'est un peu les vases communicants. Il y avait beaucoup de peur, d'anxiété à l'époque du tournage, mais une fois sur le plateau, je ne sais pas ce qui se passe au niveau des neurones, mais on croit en tout. Par exemple, pour les séquences où je devais partir nager au large, je n'avais aucun souci quand on tournait, mais dès que j'entendais "coupez" au loin, je faisais une crise de panique dans l'eau : je pensais que j'allais mourir noyée. Yannick Choirat venait me chercher et me ramenait sur son épaule. Je suis en train de lire Dans le cerveau des comédiens d'Anouk Grinberg où elle interviewe des neurologues pour comprendre les mécanismes d'un acteur quand il joue. Le moment de jeu est tellement sacré, précieux, qu'il n'y a pas d'espace pour sa propre vie et pourtant, on témoigne quand même de nous.

Avez-vous ressenti une sorte d'accomplissement en incarnant ce personnage longtemps fantasmé ?
Florence Loiret Caille
 : Une fois qu'on a joué, on mue. La peau portée le temps du tournage tombe et une autre se met en place. Je n'ai pas de nostalgie pour autant, je suis heureuse de faire de ma passion mon métier. Par les temps qui courent, c'est bien de partager du beau : un beau texte, de belles lumières, des acteurs qu'on n'a pas l'habitude de voir, un film fragile économiquement, mais fort dans ce qu'il partage.

Si faire un film c'est muer, avec quoi êtes-vous repartie d'Azuro ?
Florence Loiret Caille
 : Je ne sais pas si quelque chose reste après, mais j'ai vraiment la sensation d'avoir grandi avec ce personnage. La trace que ça a laissé, c'est cette sensation de chaleur, le fait de se laisser voir, de se dire que l'on fait quelque chose qui nous fait du bien et qu'on le partage avec d'autres. C'était une chance de vivre tous ensemble pendant le tournage. Il n'y avait pas de commerce, pas de bar, ça a créé une espèce de bulle. Je suis assez claustrophobe et de savoir qu'à ce moment là, nous étions à l'air libre, avec une équipe heureuse d'être là, c'était précieux. Je vois ce moment comme un souvenir de vacances, avec l'idée d'être vraiment "vacant" : ouvert, disponible, insouciant, tenant la mort qui rôde à distance.

Florence Loiret Caille dans "Azuro" © Paname Distribution

Qu'est-ce qui vous a convaincue de faire confiance à Matthieu Rozé, dont c'est le premier film en tant que réalisateur, pour adapter Duras ?
Florence Loiret Caille
 : Je suis assez instinctive, animale. Je renifle les personnes. Si je me sens à l'aise, libre, la confiance vient tout de suite. Avec Matthieu, ça s'est fait en 5 minutes. On a bu un Campari et j'étais fixée, je savais qu'il serait au rendez-vous du texte et du projet. C'était d'ailleurs le premier Campari de ma vie ! Je n'osais pas en prendre un pour de vrai jusqu'alors, ça m'a toujours intriguée.

Comment vous êtes-vous approprié ce texte si cher à votre cœur ?
Florence Loiret Caille 
: Matthieu voulait qu'on colle à 100% au texte. Il ne fallait absolument pas ajouter des "hein", "euh", "ouais". C'est ce qui rend le film intemporel. Il a son propre rythme de dialogues, sa façon de paler. Chaque acteur s'est approprié le texte et c'est devenu naturel pour nous de nous exprimer comme ça. Ce langage est à la fois littéraire et très moderne. La liberté de jeu était davantage physique. Comme on tournait en pellicule, il n'y avait pas autant de cadres, de plans qu'en numérique. Matthieu a opté pour des plans larges, grâce auxquels on voit les corps qui bougent. C'est bien quand un corps parle autant qu'un visage.

Qu'avez-vous ressenti en découvrant le film ?
Florence Loiret Caille
 : Je l'ai trouvé intemporel donc, mais aussi profond sur l'amour, sur l'amitié et sur le fait qu'il peut toujours y avoir une catastrophe qui couve. Cet incendie est un peu en retrait, mais menaçant. Cela reflète l'état dans lequel on se trouve en ce moment, entre une pandémie et une guerre insensée... Le message, c'est qu'il faut d'autant plus partager du beau, de l'amitié et de l'amour.

"C'est important de faire un petit pas de côté de la réalité pour pouvoir la supporter"

Dans le film il se tiennent à distance de cet incendie, comme s'ils décidaient de ne pas trop y faire face...
Florence Loiret Caille
 : Il se passe des choses horribles face auxquelles on se sent parfois impuissants. Il faut s'extraire. Si je passe énormément de temps à prendre des nouvelles de l'Ukraine, c'est difficile de ne pas me sentir débordée par les émotions ou que ça n'éveille pas d'autres traumatismes. Il ne faut pas que ces catastrophes deviennent une habitude. C'est d'autant plus important, pendant 1h45, de voir de la lumière et de la fraternité.

A part le cinéma, qu'est-ce qui vous extirpe de ces inquiétudes ?
Florence Loiret Caille 
: L'amitié, l'amour d'un petit garçon et le voir grandir, l'amour de mes parents, la beauté des inconnus que l'on croise dans les transports en commun, l'attitude de certaines personnes, la littérature, la photographie... C'est important de faire un petit pas de côté de la réalité pour pouvoir la supporter.

Margaux incarne la liberté au sein de la bande d'amis. Comment êtes-vous dans un groupe ?
Florence Loiret Caille
 : Ça dépend. Je suis assez sauvage, je ne pars pas beaucoup en vacances avec des groupes d'amis. Je m'enferme plutôt dans un hameau au milieu des bois dans le Berry. Si je décide de partir avec des proches, c'est forcément parce que je suis enjouée et que j'ai de la joie à partager.

Maintenant que Diana/Margaux c'est fait, y a-t-il d'autres œuvres ou personnages que vous voudriez incarner ?
Florence Loiret Caille
 : Bien sûr ! J'ai le projet d'adapter Love me tender de Constance Debré et c'est en cours...