Fanny Ardant : "Si l'on n'a pas peur, on n'est pas amoureux"

Fanny Ardant apparaît sublime en amoureuse vulnérable dans "Les Jeunes Amants", au cinéma le 2 février. Sous le regard délicat de Carine Tardieu, elle devient Shauna, une femme de 70 ans (é)prise de passion pour un homme 35 ans son cadet. Rencontre, sans fards, autour du sentiment amoureux et de la confiance en soi.

Fanny Ardant : "Si l'on n'a pas peur, on n'est pas amoureux"
© Fanny Ardant au Festival du Cinéma de Rome pour "Les Jeunes Amants", le 16 octobre 2021 - Insidefoto/Sipa USA/SIPA

"J'aime beaucoup la contradiction entre ce qui émane de soi et ce que l'on peut avoir comme discours", nous dévoile Fanny Ardant. Dans Les Jeunes Amants, en salles le 2 février, l'actrice ultime joue de ce paradoxe pour devenir Shauna, femme de 70 ans timide et peu sûre d'elle. Un rôle éloigné des qualificatifs que l'imagination collective prête habituellement à l'actrice fétiche de la Nouvelle-Vague. La charismatique comédienne, connue pour son esprit libre et provocateur, incarne ici le manque de confiance en soi et la peur du vertige amoureux. Alors que la mort la rattrape, elle s'éprend d'un quadragénaire et se refuse à vivre pleinement ces sentiments effrayants. Cette pudeur sied magnifiquement à Fanny Ardant, qui a accepté d'être filmée au plus près pour ce personnage sans poudre aux yeux ou aux joues. La réalisatrice Carine Tardieu voulait montrer l'âge naturellement, poser sa caméra sur les rides pour que la peau révèle l'intensité de la vie. Son souhait n'a pas été contrarié par Fanny Ardant, 72 ans, pour qui la confiance et l'amour priment sur le regard de la société. Rencontre.

Qu'est-ce qui fait de Les Jeunes Amants un film important ?
Fanny Ardant 
: Je n'aime pas penser à l'importance. J'ai lu le scénario d'une seule traite, comme si je dévorais un roman. J'avais très envie de savoir comment ça se finissait. Le personnage de cette femme me plaisait. J'ai dit "oui" à Carine parce que j'aimais tout. J'adore le romanesque, les amours fous, ceux qui vont à l'encontre de toutes les lois de la société, qui rendent encore plus vulnérable. J'aime aussi la façon dont était écrite l'histoire, la déclinaison de l'amour à travers la fille, la femme de l'autre. J'aimais l'idée que l'amour faisait tout exploser. J'aime Shauna parce qu'elle n'est pas résignée. Elle est vulnérable, puisqu'elle est presque à la fin de sa vie et malgré tout, elle a quelque chose de très vivant.

Carine Tardieu dit qu'elle vous a "dé-fanny-ardantisée" avec ce rôle...
Fanny Ardant
 : (Rires). J'ai aimé ce rôle parce qu'il va à l'encontre de ceux dans lesquels on me voit habituellement et aussi à l'encontre de ce que l'on a cru que j'étais. On peut jouer des personnages très éloignés de soi. Quand j'aime un rôle, ce n'est pas juste parce qu'il me ressemble. J'aime aussi l'idée qu'il y a des marques de caractères à l'opposée ou concurrentes aux miennes. J'apprécie le leitmotiv de Carine : ne pas avoir fait de Shauna une séductrice. Elle n'a pas cédé à cette vague arrivée d'Amérique où les femmes plus âgées sont comme des prédatrices qui jettent leur dévolu sur un homme plus jeune. Tout ça n'y est pas. Ce que j'aime dans cette histoire, c'est qu'ils sont incroyablement attirés l'un par l'autre, d'une façon amoureuse, d'âme à âme, avant que le corps n'intervienne. Parce que c'était lui, parce que c'était elle. Curieusement, c'est comme si à la fin de sa vie, cette femme retrouvait la vulnérabilité adolescente : est-ce qu'il ne va pas me trouver moche, ou trop ceci, trop cela ? La peur de Shauna montre qu'elle est très amoureuse. Si l'on n'a pas peur, on n'est pas amoureux.

"Je me suis très vite dit qu'il ne fallait jamais suivre les diktats"

Avez-vous toujours eu confiance en vous ?
Fanny Ardant
 : Jamais de la vie ! Dans aucun domaine. Le trac, qu'on a sur scène ou sur un plateau, c'est comme si toute cette incertitude remontait, qu'on marchait sur du verre. On y va sans être sûr de rien et encore maintenant, je continue, peut-être attirée par le précipice, les abîmes et le fait de ne rien savoir.

Vos rôles vous ont-ils aidée à vous accepter ?
Fanny Ardant 
: Non et c'est ce que j'aime aussi. Quand je fais un film avec des metteurs en scène très célèbres ou avec beaucoup de films au compteur, j'aime percevoir chez eux une certaine innocence, comme s'ils remettaient toujours leurs billes en jeu. A chaque film, les paramètres sont différents, les alchimies incontrôlables. C'est la magie de ce métier : dès que ça recommence, tout est nouveau. Personne ne peut avoir de certitude. La certitude, ce serait comme éteindre des lumières.

Le film aborde le poids des conventions sociales. Vous ont-elles déjà brimée dans vos envies ?
Fanny Ardant
 : Depuis très jeune, je me méfie de la société. Je me suis très vite dit qu'il ne fallait jamais suivre les diktats. C'est ce qui réduit la vie, ce qui la fait entrer dans des normes, marcher bien à droite, se taire, tout accepter. Pour moi, un être humain est un être libre avec des vies différentes. Aucune existence ne ressemble à une autre. Il faut lutter contre le poids des familles, de la société, des classes sociales, du qu'en-dira-t-on. Ce sont nos plus grands ennemis. On dit que la société est là pour vous protéger. Elle protège le groupe social, mais elle peut diminuer l'être humain. Au cours d'une vie, trop de fardeaux sur les épaules peuvent vous éteindre. C'est ce qui arrive lorsqu'on obéit au regard de la société.

"Il ne faut jamais se laisser amoindrir ou blesser par des critiques"

En tant qu'actrice, comment arrive-t-on à dépasser le qu'en dira-t-on ?
Fanny Ardant 
: Je fais confiance à la vie. Les grandes vagues qui nous balayent, j'ai conscience qu'elles paraissent énormes mais qu'elles se retirent vite. Depuis très jeune, je m'évertue à ne pas avoir peur, tout en étant prête à payer le prix de mes actes. La liberté face à la sécurité. Il faut choisir un camp. Pour la sécurité, vous choisirez ce qui vous mettra à l'abri. Il ne faut jamais se laisser amoindrir ou blesser par des critiques, ça ne dure jamais longtemps. Surtout si vous êtes intègre et que vous avez agi parce que c'était plus fort que vous.

Quel a été le plus gros risque que vous ayez pris au nom de votre liberté ?
Fanny Ardant
 : Je n'ai jamais posé cette chose du risque. Je me répète régulièrement cette phrase: "Ce n'est pas Hiroshima." Ce n'est pas comme si vous alliez appuyer sur un bouton et que les catastrophes que vous imaginez allaient vous tomber dessus. Pour moi, c'est très rare le risque. J'aime beaucoup jouer aux cartes, je cherche cette adrénaline. L'excitation est plus forte que soupeser les dangers.

"Je n'étais épatée ni par l'argent, ni par la gloire, ni par le pouvoir"

Quelles sont vos pudeurs, vos limites ?
Fanny Ardant
 : Je n'en n'ai pas et dans cette histoire-là, j'ai eu confiance en Melvil (Poupaud) dès notre rencontre. Je voyais l'être humain, pas l'acteur ni le personnage. Rien ne m'a embarrassée. J'avais confiance en lui et en Carine. Je savais qu'elle était délicate, que son film touchait à des choses que l'on peut comprendre avec une ou deux phrases, surtout les scènes d'amour. Elle ne filmait pas comme une voyeuse. Ce n'était pas une démonstration, mais plus comme si chacun pouvait s'insinuer, comprendre les atermoiements, les hésitations, les craintes.

L'amour est-il essentiel à votre vie ?
Fanny Ardant
 : Oui ! Depuis très jeune, dès que j'ai commencé à lire, j'ai pensé que c'était la seule chose qui comptait dans la vie. L'amour a toujours été ma seule référence. Je n'étais épatée ni par l'argent, ni par la gloire, ni par le pouvoir. Ces choses sont sans intérêt, mais l'amour que je pouvais éprouver et celui des autres, celui qui me racontait, c'était ce qui était le plus magique. Une histoire d'amour intensifie la vie. Même s'il y a un début, un milieu, une fin, il y a quelque chose qui ne peut être remplacé par rien.

"J'ai lu comme on se drogue"

Quelles sont les grandes histoires d'amour qui vous ont marquée ?
Fanny Ardant
 : Je suis entrée dans la vie à travers les romans. Souvent à l'école, on vous dit de lire pour vous cultiver. Moi je n'ai jamais lu pour me cultiver. J'ai lu comme on se drogue. Je me suis fait une morale des hommes et des femmes dans la littérature, avant même le cinéma, par les histoires très romanesques de Balzac, Dostoïevski ou Tolstoï ou les retournements plus cruels de Maupassant ou Flaubert. J'ai lu Madame Bovary très jeune en me posant la question "est-ce que ça valait le coup ?". Ma réponse est que oui, même si ça finit mal. J'adore saisir cette attirance, par exemple pendant les spectacles. Je pense à une fois où j'assistais à un opéra de Wagner, dans une salle silencieuse. Je regardais les gens autour de moi en me disant qu'il y avait sûrement des juges, des gens très sérieux... Tous étaient fascinés par ce qui se passait sur scène. Pour chacun de nous, assis sur un siège, la seule chose qui nous poussait à vouloir savoir ce qui allait se passer, c'était l'amour. Et tant mieux !