Alma Jodorowsky : "Être actrice, c'est mettre un masque et le retirer"

Alma Jodorowsky joue l'ombre et la lumière dans "L'Ennemi", de Stephan Streker, au cinéma le 26 janvier. La comédienne y incarne Maeva, une jeune femme pétillante et tourmentée, qui sera retrouvée morte dans la chambre d'hôtel qu'elle partage avec son mari, un éminent homme politique. Interview avec une touche-à-tout.

Alma Jodorowsky : "Être actrice, c'est mettre un masque et le retirer"
© Alma Jodorowsky à l'avant-première parisienne de "L'Ennemi", le 18 janvier 2022 - STEPHANE ALLAMAN/SIPA

A 30 ans, Alma Jodorowsky a déjà eu plusieurs vies. Passée par le mannequinat (elle a été égérie Lancôme et reste aujourd'hui ambassadrice Chanel) et la musique avec son groupe Burning Peacocks, la jeune femme a décidé de consacrer entièrement au cinéma... pour le moment. Dans L'Ennemi, en salles le 26 janvier, elle montre une large palette de capacités à travers le rôle de Maeva, épouse amoureuse et plus sombre qu'elle n'y paraît. Quand son corps est retrouvé sans vie dans la chambre d'hôtel qu'elle partage avec son époux, le doute s'empare de ce dernier. L'a-t-il tuée ou s'est-elle suicidée ? Si Jérémie Renier livre une performance dingue en homme perdu dans ses incertitudes, Alma Jodorowsky lui donne matière à composer. C'est par elle, son sourire ou son regard assombri, que passent les rebondissements et questionnements qui suivent le spectateur et qui font du film de Stephan Streker une œuvre troublante. "Le cinéma est un art complet, jouissif à construire ensemble", nous dit-elle. Rencontre.

Qu'est-ce qui fait la complexité de votre personnage dans L'Ennemi, Maeva ?
Alma Jodorowsky
 : Je la vois comme un personnage extrême, qui présente deux faces opposées. Elle est à la fois très sombre et auto-destructrice et aussi solaire et pleine de joie de vivre, de sensualité. C'est un personnage complexe, qui était intéressant à jouer pour ça.

Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre ces deux facettes ?
Alma Jodorowsky
 : En ne le trouvant pas. L'idée était de réussir à se donner à fond dans les deux pôles. C'est le personnage qu'elle est, elle a été écrite ainsi. Le lien entre les deux états se trouve dans sa vulnérabilité, qui la rend à la fois très perméable à la vie et à la joie et qui la détruit en même temps en la renvoyant dans toutes les parts d'ombre qu'elle a en elle.

Le rôle de Maeva est primordial pour ne pas faire basculer l'histoire sur le sujet des violences conjugales ou des mal si mal nommés "crimes passionnels"...
Alma Jodorowsky
 : C'était très important pour moi. Je voulais éviter le côté toxique, ne pas rentrer dans le cliché du crime passionnel, qui est à mes yeux une expression horrible. Maeva devait rester un personnage humain malgré ses zones d'ombres. Pour cela, il m'a fallu la comprendre, me raconter pourquoi elle est comme elle est afin d'en faire un personnage qu'on aime.

Quel regard portez-vous sur l'affaire qui a inspiré l'histoire ?
Alma Jodorowsky
 : Je ne la connaissais pas et Stefan nous a demandé de ne pas regarder, de ne pas nous inspirer de l'histoire réelle, ni des protagonistes, car il voulait construire des personnages de fiction dans lequels on insufflait notre vision. Il aimait s'inspirer de nous et de l'énergie qu'on avait pour travailler. Je ne me suis pas renseignée jusqu'à la fin du tournage et puis j'ai jeté un œil furtif. Je n'ai pas creusé plus que ça parce que je trouvais ça dérangeant. Cette histoire est terrible, jouer un personnage qui a vécu ça, ce n'est pas simple. C'était bien de s'en éloigner.

Qu'est-ce qui vous a intéressée dans cette histoire que vous ne connaissiez pas ?
Alma Jodorowsky 
: J'ai beaucoup aimé la structure du scénario, la construction labyrinthique du film, les flashbacks, le fait de se retrouver totalement dans la tête de Louis Durieux, de ne plus savoir démêler le vrai du faux. C'est très intéressant sur la question du doute, de comment les personnages se positionnent sur sa culpabilité ou son innocence. Il y a pas mal de retournements qui nous font poser beaucoup de questions et j'ai bien aimé mettre le spectateur à cette place-là.

Alma Jodorowsky dans "L'Ennemi" © Alba Films

Même si c'est un rôle plutôt émotionnel, on sent que le tournage du film a été physique...
Alma Jodorowsky 
: On a donné une part importante au corps. Avec Jérémie, notre manière de jouer les scènes était très intense. Il fallait que leur amour, la complexité de leur relation s'incarne dans leur corps. On a cherché à mettre de la violence dans toutes les scènes physiques, même quand ce sont des scènes d'amour.

Ce personnage induit une certaine vulnérabilité. Dans quelle scène vous êtes-vous sentie la plus à nu ?
Alma Jodorowsky 
: Peut-être la chanson du début. Même si j'adore chanter, c'est vraiment un dénuement. On touche très fort à l'âme de quelqu'un quand on l'entend chanter, surtout là, a capella, les yeux rivés sur l'objectif. Il a fallu me mettre dans un état vulnérable, de pureté.

Etre actrice, c'est mettre un masque ou le retirer ?
Alma Jodorowsky
 : Les deux, je crois. Il faut réussir à le retirer parce que l'on doit donner beaucoup de soi-même et enlever une couche de pudeur. En même temps, c'est mettre un masque aussi parce que les personnages que l'on a envie de jouer sont souvent éloignés de qui on est. Cette curiosité m'intéresse.

Le film questionne le regard que l'on pose sur soi. Etes-vous plutôt exigeante ou indulgente vis-à-vis de vous-mêmes ?
Alma Jodorowsky
 : Plutôt exigeante, comme la plupart des gens. J'ai l'impression que l'on est sans arrêt dur avec nous-mêmes, mais c'est en train de passer un peu. En grandissant, on s'accepte, on s'affirme, on se comprend mieux et je sens quelque chose s'apaiser en avançant.

"Je respire, je fais du yoga ou de la méditation"

Que faites-vous quand votre ennemi intérieur prend le dessus ?
Alma Jodorowsky
 : Je respire, je fais du yoga ou de la méditation. La respiration permet de s'ancrer dans le présent, de prendre du recul sur plein de situations qui viennent interférer dans notre cerveau, mais quand il y a des moments avec de la douleur, il faut accepter ces émotions-là aussi.

Les questions d'apparence, d'a priori vous interrogent-elles ?
Alma Jodorowsky
 : Ce sont des questions qui me travaillent depuis très jeune fille parce qu'on est souvent renvoyées à notre apparence, notre physique. Cela peut être un peu encombrant, parce qu'on a d'autres choses à exprimer qui ne sont pas juste plastiques, des facettes plus denses et plus profondes. C'est en train de changer, on lutte pour sortir des stéréotypes. Cela passe par le travail aussi, avec des rôles plus complexes et intéressants. 

Avez-vous déjà refusé des rôles qui vous mettaient mal à l'aise par rapport à ça ?
Alma Jodorowsky
 : Oui. On m'a souvent mise dans la case de la jeune première. En début de carrière, on peut nous proposer des personnages qui sont juste là pour être la gentille fille mignonne. Si c'est pour servir une histoire, des gens intéressants, je n'ai pas souci pour me mettre au service d'un projet, mais il ne faut pas qu'il y en ait trop. On a envie de jouer autre chose.

Quelles sont vos envies pour la suite ?
Alma Jodorowsky
 : Je viens de tourner trois projets d'affilée avec des réalisatrices et j'ai vraiment adoré. Il y a Harmony, un court-métrage de science-fiction dans lequel je joue une androïde, un film polonais qui s'appelle Dry Land et une série suédoise qui sortira sur Canal + cette année. C'était hyper agréable de travailler avec elles trois parce que j'ai senti une confiance, une bienveillance s'installer tout de suite. Comme une reconnaissance entre nous, une sorte de sororité. Je recherche vraiment ce genre de rapport, avec les hommes aussi, mais avec les femmes cela me semble plus inné. Ça n'a pas toujours été le cas, puisqu'on nous a raconté qu'on devait être en compétition entre nous, nous marcher dessus pour être meilleure qu'une autre. On doit se déconstruire de ces idées préconçues horribles pour être soudées, comme les hommes le font depuis toujours.