ROSE, LINGUI, Une Femme du Monde... nos coups de cœur cinéma du 8 décembre

Pendant que Françoise Fabian illumine les cœurs et les salles obscures dans "Rose", "Lingui" apporte un éclairage nécessaire sur les droits des femmes au Tchad, Spielberg rallume la mèche avec son "West Side Story" et Laure Calamy brille en prostituée dans "Une Femme du Monde".

ROSE, LINGUI, Une Femme du Monde... nos coups de cœur cinéma du 8 décembre
© Silex Films - Germaine Films - Apollo Films

Rose d'Aurélie Saada

© Apollo Films

Aurélie Saada, connue pour ses douces mélodies au sein du duo Brigitte, revendique être une épicurienne. L'artiste est une grande amoureuse, une immense gourmande, une fervente organisatrice de dîners où cultures et âges se croisent et s'enrichissent. Dans Rose, son premier film en tant que réalisatrice, c'est tous ces ingrédients qu'elle a saupoudrés sur l'histoire d'une juive tunisienne de 78 ans, prise au dépourvu au moment de la disparition de son mari. Si sa raison d'être n'est plus, Rose peut-elle continuer à vivre ? Après tant d'années à n'être que mère, grand-mère et épouse, la femme en elle l'a-t-elle quittée ? Cette héroïne irrésistible, campée avec une classe intemporelle par Françoise Fabian, va découvrir qu'elle le droit de croquer la vie, mais surtout qu'elle a encore faim d'aimer, de séduire, de picoler, de fumer des pétards, de sortir. Ne plus rien s'interdire. La voilà qui goûte aux plaisirs quotidiens comme autant d'aventures à picorer, sous les yeux ébahis et inquiets de ses enfants, triangle formé par Aure Atika, Grégory Montel et Damien Chapelle. Ce premier film déjà primé à travers le monde pose la question du deuil, du rapport à la vieillesse, de l'émancipation féminine, mais surtout du désir et de la détermination à jouir de ce qui nous plaît tant qu'il en est encore temps. Rose est une pépite. Savoureuse comme une bille de chocolat, entourée d'une feuille d'or à faire briller les yeux.

Avec Françoise Fabian, Aure Atika, Grégory Montel, Damien Chapelle, Pascal Elbé... 1h43

Lingui, les liens sacrés de Mahamat-Saleh Haroun

© Ad Vitam Distribution

Lingui est un puissant récit féministe. Amina et Maria, mère et fille de la banlieue de N'Djaména, sont prises au piège des traditions culturelles et religieuses alors que la liberté de disposer de son corps se fait criante pour l'adolescente. Enceinte à 15 ans, Maria compte trouver un moyen d'avorter coûte que coûte, alors que l'IVG est illégale dans son pays. Amina est terrifiée à l'idée de braver les interdits, mais voit en cette grossesse hors-mariage l'avenir qui lui a été réservé : être considérée comme une paria, à l'image de toutes les filles-mères. La solution semble insolvable pour ce duo porté par l'amour et la quête de droits fondamentaux. Le réalisateur Mahamat-Saleh Haroun pointe du doigt le poids de la société patriarcale lourdement posé sur les épaules des femmes. Il montre que même lorsque les hommes sont coupables de leur sort, elles en payent le prix fort, celui de leur vie, de leur réputation, de leur destin. Le film se targue d'une réalisation au plus près des émotions, montée comme un thriller dans lequel la débutante Achouackh Abakar Souleymane court après les solutions, le temps, la réparation. À travers le parcours de ces personnages universels, la révolte d'une génération indocile gronde. Le film prouve le pouvoir indéfectible de l'amour d'une mère et la nécessité de la solidarité féminine, sous la forme du précepte tchadien du lingui, ce lien sacré unissant la communauté. Une leçon.

Avec Achouackh Abakar Souleymane, Rihane Khalil Alio, Youssouf Djaoro... 1h27

West Side Story de Steven Spielberg

© The Walt Disney Company France

Un classique revisité par une légende. Rien que pour le principe, le West Side Story de Steven Spielberg mérite le coup d'œil. En s'attaquant à la comédie musicale multi-oscarisée d'il y a 60 ans, le père de Jurassic Park joue avec style sur la magie du grand écran, empruntant à la pièce de Broadway autant qu'au film de 1961. Dans la version 2021, musiques et paroles n'ont presque pas bougé, les éclairages sont tout aussi théâtraux et les danses restent ancrées dans l'énergie et la flamboyance des originales. Là où Spielberg déplace le curseur, c'est sur le fond de sa toile colorée. En réalisant son rêve de porter sur écran le musical de son enfance, le metteur en scène peint au passage une fresque sociale. La guerre de territoire entre les Sharks portoricains et les Jets blancs résonne particulièrement de nos jours. Si l'action se passe bien dans les années 50, impossible de ne pas voir le coup de projecteur braqué sur l'actuel racisme américain, le danger du port d'arme à feu, le sexisme ambiant et l'ultraconsumérisme comme miroir aux alouettes. Pour incarner cette réalité projetée dans un visuel spectaculaire, le cinéaste a fait le choix de comédiens aux âges et aux origines similaires à leurs personnages. Ansel Elgort et Rachel Zegler, les Tony et Maria de Spielberg, paraissent un peu lisses face aux charismatiques Ariana DeBose (Anita), David Alvarez (Bernardo) et Mike Faist (Riff). Résultat : leur histoire d'amour semble presque superflue face aux enjeux de la rue.

Avec Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBose, David Alvarez, Mike Faist... 2h37

Une Femme du Monde de Cécile Ducrocq

© Tandem

Marie mène son existence de front. Prostituée depuis 20 ans, elle est la mère d'un fils de 17 ans tombé dans les affres de l'adolescence. Au quotidien, elle revendique fièrement son activité et remonte les manches quand elle doit se justifier auprès d'une banque ou militer pour ses droits. Sans jamais baisser la tête. Marie dépense le reste de son énergie à motiver son ado à faire quelque chose de sa vie. Il cuisine, alors elle lui trouve une grande école pour devenir chef. Et en porte la responsabilité financière. La voilà qui se démène pour faire rentrer l'argent dans l'idée d'offrir un avenir à son garçon. Dans Une Femme du Monde, l'actrice révélée par Dix pour Cent fait preuve d'une fougue à toutes épreuves. Laure Calamy est bluffante dans la séduction, la colère ou l'épuisement. Nissim Renard, qui lui donne la réplique, est saisissant jusque dans les disputes les plus explosives. Le coup de génie de Cécile Ducrocq réside dans l'idée de décaler le sujet. Un film sur les travailleuses du sexe ? Oui, sans rien de polémique ou de tapageur... mais en fait non. Plutôt l'histoire d'une mère célibataire, le quotidien d'une battante prête à défendre ses intérêts et à remuer ciel et terre pour son fils. Un portrait de femme comme tant d'autres : dévouée, pugnace et courageuse.

Avec Laure Calamy, Nissim Renard, Béatrice Facquer... 1h35