Vincent Maël Cardona : "LES MAGNÉTIQUES est une déclaration d'amour au cinéma"

Avec "Les Magnétiques", au cinéma le 17 novembre, Vincent Maël Cardona réalise un premier film singulier sur la jeunesse, les années 80, l'amour et la difficulté de trouver sa place dans un monde bouleversé. À travers l'émancipation de Philippe, le cinéaste diffuse un message captivant. Entretien.

Vincent Maël Cardona : "LES MAGNÉTIQUES est une déclaration d'amour au cinéma"
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Les Magnétiques nous replonge dans les années 80, ambiance petite bourgade française. On suit Philippe, timide génie du son aux manettes de la radio pirate Radio Warsaw, dans sa révélation à lui-même. Alors que la gauche vient d'accéder au pouvoir avec l'élection de François Mitterrand, le garçon effacé, fasciné par les K7 et les possibilités infinies de leur bidouillage, est sur le point de "devenir un homme" et de se créer sa propre définition de cette expression floue. Son amour pour Marianne, la copine de son frère, et son passage par le service militaire vont poser les bases de son émancipation. Tapi dans l'ombre de son aîné majestueux, charmant et destructeur, le héros va devoir déconstruire son rapport au monde pour mieux se trouver.
Avec Philippe, ce sont la jeunesse, l'espoir, le romantisme, la masculinité et la nécessité d'emprunter sa voix/e qui sont questionnés. Le film de son parcours, Les Magnétiques, est une toile magnifique au grain vintage et novateur. Cette épopée est électrisée par une bande-originale à base de Joy Division, The Undertones ou Iggy Pop. On ne dirait pas comme ça, mais son réalisateur, Vincent Maël Cardona, débute. Le metteur en scène vient des lettres, de la poésie, du théâtre, de la philosophie et voit son arrivée tardive au cinéma comme une continuité de ce parcours-là. Son idéal ? Réussir à faire un film qui ressemble à un tableau de Bruegel, le genre d'œuvre que l'on regarde "comme ça" avant de saisir leur portée symbolique. Les Magnétiques, en salles le 17 novembre, est déjà de cette trempe. Conversation.

Quel a été le point de départ de ce film ?
Vincent Maël Cardona
: Mon idée était d'écrire à plusieurs, j'ai donc réuni trois filles et trois garçons de la même génération pour imaginer une histoire sur le monde qui nous a vu naître. Ce qui m'importait, c'était ce sentiment d'écartement, l'impression d'avoir une jambe dans le monde analogique, une autre dans le monde numérique. Tout change extrêmement rapidement, on court après le progrès, mais des choses se perdent dans cette course. Il était important de revenir au point de départ pour se demander ce qu'il s'était passé, pour mesurer l'écart avec le berceau de notre époque.

Pourquoi avoir ancré précisément l'histoire en 1981, autour de l'âge d'or des radios pirates ?
Vincent Maël Cardona : L'élection de Mitterrand est un marqueur historique et politique très fort. C'est une sorte de point de départ pour le spectateur. À partir de là, on peut articuler l'endroit affectif des personnages, qui n'est pas tellement lié aux enjeux politiques. L'arrivée de la gauche au pouvoir crée une rupture importante. On sait que deux ans plus tard, le tournant de la rigueur va remettre en perspective ce moment plein d'espoir pour certains. Il y a la notion de désillusion. Le lien avec les radios libres, c'est qu'à peu près à la même période se situe la libéralisation des ondes, qui vont finalement être chamboulées par l'arrivée des radios commerciales. L'énergie de départ va être totalement modifiée. Ça se ressent du point de vue de la politique, des radios, mais aussi de la musique. Enormément de groupes fondés à la fin des années 70 vont s'arrêter au début des années 80. J'assimile cette période à un feu de paille, quelque chose qui brûle intensément juste à ce moment-là. L'image de Mitterrand qui apparaît à l'écran façon minitel au moment de son élection, c'est pour moi l'indicateur de la fin des années 70 et le tout début de ce qui va devenir le monde de la révolution numérique.

"Les Magnétiques" © Paname Distribution

Malgré son ancrage dans ces années-là, le film est très contemporain...
Vincent Maël Cardona : Le film aborde une période où la question de la transition est très importante. Il y a un fort écho aujourd'hui avec cette notion de monde d'avant vs. monde d'après. Quand on montre le film, il y a ceux qui ont vécu ces années et reconnaissent leur jeunesse et ceux qui ont la vingtaine et qui s'attachent à ce film presque par nostalgie d'un monde qu'ils n'ont pas connu, ou par les similitudes avec ce qu'ils ressentent aujourd'hui. Ce qui ressort beaucoup, c'est le rapport au futur. On a appelé la génération 80 la "génération no future" et actuellement, c'en est une sorte de deuxième. Moi je ne suis ni de l'une ni de l'autre. J'ai eu 20 ans en l'an 2000. J'ai le sentiment d'être à la croisée des chemins et c'est ce que j'ai trouvé intéressant d'exploiter.

Comment décrivez-vous Les Magnétiques ?
Vincent Maël Cardona : C'est un premier film à la forme assez singulière, une sorte de déclaration d'amour au cinéma. J'y montre à quel point le cinéma peut être puissant dans l'articulation des images et du son et comment il peut réinventer des manières de raconter des histoires. C'est une émission de radio au sens premier, au sens d'émettre un message radio. Ce film, c'est Philippe qui parvient à prendre la parole et qui confie aux ondes un discours, comme on confierait une bouteille à la mer. Il ne sait pas s'il sera entendu ou s'il parle tout seul dans un grenier. Dans la construction, ça a pour conséquence de créer une certaine distance à l'action, qu'il a fallu trouver. En se plaçant trop loin, on prenait le risque de ne pas créer d'empathie, mais il fallait garder cet aspect de résumé. Si on a l'ambition de faire des films pénétrants, profonds, il faut prendre le risque de laisser de l'espace pour que chacun vienne combler les blancs. Quand on facilite trop le travail au spectateur, on ne flatte pas sa propre sensibilité et son intelligence, mais surtout on fait des films un peu plus superficiels, qui restent moins.

"C'est un film d'hommes, mais avec un personnage féminin très important dans son rôle de pivot"

Les Magnétiques puise sa profondeur dans le cheminement personnel de Philippe, personnage fascinant pour ce qu'il dit du monde et des hommes...
Vincent Maël Cardona : Le film est construit sur la question "comment Philippe va pouvoir y croire ?". Il se demande s'il y a du possible pour lui. C'est aussi un propos sur la masculinité. Philippe appartient aux jeunes gens modernes, c'est une masculinité différente de son frère et encore plus de son père. On pourrait l'extraire du film et le mettre dans la rue aujourd'hui qu'il ne dénoterait pas. Philippe est un personnage romantique. Il a un rapport problématique à son ancrage dans le monde. Le romantique va trouver, par le sentiment amoureux, un chemin, une manière de pacifier ses relations avec l'existence.

En quoi Marianne est-elle importante dans sa trajectoire ?
Vincent Maël Cardona : Par le choix d'une histoire de frères et de l'institution du service militaire, c'est forcément un film d'hommes, mais avec un personnage féminin très important dans son rôle de pivot, de déclenchement dans cette histoire. Comment, par rapport à Marianne, se différencient des nuances de masculinité ? On explore ce que c'est de devenir un homme et les différentes manières d'en être un. Cette dimension-là est aujourd'hui extrêmement forte, pensée, débattue, interrogée par la plus jeune génération. Le personnage de Marianne est arrivé très tôt dans l'écriture, il a été achevé avant les autres. Comme pour le personnage du frère, on a pu se permettre de la retrouver seulement par petits bouts. On peut se connecter à elle par des touches précises, parce que son histoire est complexe, profonde et qu'on n'a pas besoin d'énormément de choses. Il suffit de saisir le bon endroit de la trajectoire de Marianne pour dessiner son portrait.

Marianne et Philippe, personnages de "Les Magnétiques" © Paname Distribution

Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
Vincent Maël Cardona : Ça a été long. On a eu la chance de pouvoir faire un casting de révélations, de pouvoir chercher tous azimuts, pas forcément dans des registres d'acteurs déjà vus ailleurs. Cela m'allait très bien parce que je voulais que le film ait un goût de découverte. Philippe est la figure centrale, il est de tous les plans. La contradiction, c'est qu'il fallait quelqu'un de crédible en mutique, qui soit à la fois le personnage qui disparaît derrière sa console et celui que l'on a envie de regarder, celui qui nous magnétise en permanence. Ce n'était pas évident. Il fallait aussi un trio qui fonctionne. Avec ces comédiens-là, j'ai trouvé plus que ce que je recherchais. Je ne m'attendais pas à la puissance de cinéma qu'ils dégagent dans leur corps, leur visage, leur jeu. C'est frappant comment grâce à eux, le film en appelle d'autres. Pour moi, ce sont des personnages qui restent, qui dépassent le cadre.

Thimotée Robart, qui joue Philippe, n'a pas de formation d'acteur. Etait-ce une contrainte pendant le tournage ?
Vincent Maël Cardona
: Thimotée surtout, mais les autres aussi, est une nature de cinéma. Il a un corps, un rapport à la caméra qui lui appartiennent et l'éloignent la fausseté. Quand il joue, il y a des options, des chemins possibles, mais ce n'est jamais faux, c'est toujours intéressant, exploitable. Cela tient à son attitude, à son corps et peut-être à une certaine science du jeu. Ce n'est pas important pour moi que les comédiens aient une formation ou des antécédents. La différence ne se fait pas là. Thimotée se distingue également par son rapport au son. Ce n'est pas un hasard si ce qui l'intéresse peut-être même plus que le jeu, c'est le travail du son et son métier de perchman. Quelque chose dans l'attitude, dans l'attention à l'extérieur, est spécifique aux gens qui ont une très grande sensibilité au son. On ne peut pas fabriquer ça.

Pourquoi Les Magnétiques ?
Vincent Maël Cardona : C'était le titre le plus évident, celui qui permettait d'englober à la fois l'hommage à l'époque, le rapport au monde analogique et le lien entre les personnages. Les Magnétiques, c'est ce trio, c'est leur génération et c'est nous tous. Au fond, nous sommes magnétiques. On s'attire ou l'on se repousse, mais il y a une énergie entre chacun. Cette force nous rattache à l'expérience. Malgré les épreuves ou la difficulté de l'existence, il y a étonnamment toujours un lien, un contact qui nous fait aller de l'avant.