Soko (A Good Man) : "J'ai toujours rêvé d'être mère"

Soko, l'actrice, est de retour sur grand écran avec un personnage immensément touchant, celui d'Aude dans "A Good Man". Dans ce film de Marie-Castille Mention-Schaar sur un homme trans qui décide de porter un enfant, Soko joue la petite amie, le soutien indéfectible, mais aussi celle qui doit trouver sa place au sein de ce couple hors du commun. Interview avec une artiste engagée jusque dans le choix de ses rôles.

Soko (A Good Man) : "J'ai toujours rêvé d'être mère"
© J.M. HAEDRICH/SIPA

Soko est du genre à dire ce qu'elle pense, à l'ouvrir quand ça ne lui convient pas et à dire "non" quand c'est trop pour elle. L'artiste, actrice et compositrice-interprète, prête cette sensibilité acérée, cette force à peine dissimulée, à Aude dans A Good Man. Dans ce drame de Marie-Castille Mention-Schaar, au cinéma le 10 novembre, le personnage interprété par Soko est stérile, mais rêve d'être maman. C'est donc son amour, Benjamin, un homme trans, qui portera leur bébé. Plus qu'une réflexion sur la transidentité, ce film évoque la parentalité, le désir d'enfant et les chamboulements liés à cet événement au sein du couple. Après son rôle très remarqué de Loïe Fuller dans La Danseuse, la Française expatriée aux Etats-Unis montre une autre facette de son jeu face à Noémie Merlant. Ce personnage "plus lisse" comme elle le décrit n'a pas forcément été aisé pour celle qui mène sa vie comme un combat pour de meilleures représentations des personnes LGBTQIA+. "C'était un peu compliqué pour moi de jouer la fille, d'être en robe pour faire un personnage juste féminin", concède-t-elle, en ajoutant avoir demandé à la réalisatrice de modifier certains éléments pour sortir ce couple queer des normes hétérosexuelles. Un investissement qui en dit long sur celle qu'elle est face caméra et hors-champ. Rencontre.

Qu'est-ce qui vous a plu dans A Good Man ?
Soko : On n'a jamais vu une histoire comme ça, filmée de cette manière. Il y a bien des documentaires qui existent, mais pas encore de film grand public sur ce sujet. La visibilité de la communauté queer est un combat qui m'est très personnel. Il me semble nécessaire d'avoir une prise de parole sur ces thématiques-là. J'y ai vu l'opportunité de donner encore plus de visibilité à une belle histoire d'amour non hétéronormée.

Que saviez-vous des hommes enceints et que vous a appris le film ?
Soko : Même moi qui suis très ouverte et connectée sur les questions de genre, il ne m'était jamais venu à l'idée que c'était possible. Je viens de regarder le documentaire Nuclear Family, sur un couple de lesbiennes, qui montre qu'il y a 40 ans, on ne pouvait pas imaginer qu'elles puissent avoir un enfant. Donc là, on est en 2021 et des hommes trans peuvent tomber enceints, ce qui est incroyable, magnifique. Se poser la question des possibilités prend du temps puisqu'il y a très peu d'exemples et de visibilité. Il est primordial que les gens ne se cantonnent plus à ce schéma limité du couple homme cis et femme cis et du peu d'éventualités que cela représente. J'adore rentrer dans des expériences cinématographiques en me disant que je vais apprendre des choses sur moi et sur l'expérience de quelqu'un d'autre. Ça a été le cas avec ce film.

* personne cis : diminutif de cisgenre. Personne ne se ressentant pas d'un autre genre que celui qu'on lui a assigné à la naissance.

Noémie Merlant et Soko dans "A Good Man" © Pyramide Distribution

Qui est Aude ?
Soko : Aude est une fille très proche de moi parce que j'ai beaucoup d'amies qui ont été elle. Elles ont galéré pour tomber enceintes, fait PMA sur PMA et ont parfois fait le douloureux constat qu'elles étaient stériles. D'autres ont dû avoir recours à des mères porteuses. J'ai aussi des amis mecs dans des couples hétérosexuels qui m'ont dit "si je pouvais porter ce bébé, je le ferais".  C'est pour moi le moment exact dans lequel Benjamin se trouve. Il se dit "si je pouvais le porter je le ferais, et bien je peux le faire". Arriver à ce stade là pour Aude, qui espère être maman depuis 10 ans, représente quelque part une douleur. Elle doit faire le deuil de ce corps qui ne portera pas cet enfant. Et puis il y a aussi le fait que cette grossesse puisse mettre en danger la personne qu'elle aime le plus au monde. Ce sont des sacrifices énormes pour elle. Le film pose la question de la légitimité de sa place en tant que mère. Ça touche à la parentalité. Je suis lesbienne et ce n'est pas forcément évident dans un couple lesbien non plus de se dire "qui porte l'enfant ?, comment on fait ce choix s'il n'est pas évident et qu'on en a toutes les deux envie ?".

Ce personnage vous a-t-il ramenée à votre expérience de la maternité ?
Soko : Indigo avait 6 mois quand on a commencé à tourner. J'ai eu une expérience très différente de celle d'Aude, même s'il y a des choses chez elle auxquelles je connectais énormément. Comme elle, j'ai toujours rêvé d'être mère. Cet aspect me touche beaucoup, me ramène à mon parcours pour devenir mère, même si nos expériences sont très différentes.

Le couple Aude/Benjamin montre l'amour au-delà du genre. Comment avez-vous construit cette alchimie avec Noémie Merlant ?
Soko : On s'est beaucoup parlé. C'était un rôle vraiment difficile pour elle. Elle était tellement dedans que cette concentration extrême a créé la même dynamique entre nous que le couple à l'écran. J'ai pu ressentir ce truc de "y'en a que pour ta transidentité" sauf que moi c'était "Noémie a 3/4 heures de préparation par jour, on n'a pas de temps ensemble". J'avais aussi cette frustration, qui n'était pas réelle parce que j'étais évidemment dans le soutien complet. Cette sorte d'écho a ajouté un vrai truc à notre relation.

"J'ai réalisé que le seul truc que je regretterais si je mourrais demain, c'était de ne pas avoir été maman"

Aude sacrifie sa carrière pour Benjamin. Pourriez-vous tout sacrifier par amour ?
Soko : J'ai plutôt été dans l'autre rôle dans ma vie. Je viens de me séparer, mais la personne avec qui j'ai eu mon enfant s'est beaucoup sacrifiée pour notre famille. Elle venait sur tous mes films par exemple. Elle était encore étudiante donc c'était plus facile, mais je sentais que c'était difficile pour elle d'être juste la personne qui me suivait. C'était aussi dur pour moi d'être avec quelqu'un qui se sacrifie. J'avais forcément envie qu'elle ne soit pas frustrée, qu'elle se sente bien, qu'elle soit épanouie, qu'elle ait sa vie... Je culpabilisais qu'elle puisse accumuler du ressentiment, ce qui a malheureusement été inévitable.

Comment trouvez-vous l'équilibre entre votre vie de comédienne et de chanteuse et votre vie personnelle ? Vous êtes-vous déjà fixé des limites ?
Soko : J'ai posé une limite quand je suis tombée enceinte. J'ai pris un an pour faire un break et juste être maman. Je travaille depuis que j'ai 16 ans, j'ai une vie très riche, j'ai vécu énormément de choses. J'avais l'impression d'être arrivée à un point où j'avais exaucé tous mes rêves de carrière, d'expériences, de rencontres, d'histoires, de romances... J'ai réalisé que le seul truc que je regretterais si je mourrais demain, c'était de ne pas avoir été maman, alors j'ai tout mis en pause pour ça. Je suis très présente dans la vie de mon enfant. D'ailleurs, je fais exprès de dire "enfant", parce que j'aime bien que les gens se posent la question et fassent l'effort de ne pas lui assigner un genre.

Soko, Vincent Dedienne et Alysson Paradis dans "A Good Man" © Pyramide Distribution

"La visibilité de la communauté queer est un combat très personnel"

Qu'est-ce qui vous pousse à vous servir de votre carrière pour mettre en avant ces sujets personnels ?
Soko : Parce que la visibilité, c'est trop important. J'ai souffert toute mon enfance de ne pas avoir quelqu'un qui me fasse me dire "cette vie est possible" ou "différentes choses existent et je peux choisir ce que je veux pour moi". Je n'avais que la vision du couple hétéro, j'ai grandi en me disant que c'était la seule option et ce n'est pas juste. Pas mal de gens me suivent sur mes plateformes, alors je le prends comme une responsabilité d'en parler.

Le film a provoqué un débat sur le fait qu'une femme cis, Noémie Merlant, joue un homme trans. Comment l'avez-vous ressenti ?
Soko : C'est une des premières questions que j'ai posées à Marie-Castille. Pourquoi ce n'est pas un homme trans qui joue ce rôle ? Je suis tout à fait d'accord avec la polémique. C'est important que ça change. En même temps, je trouve ça aussi primordial qu'un film comme ça existe pour commencer à parler de la transidentité, qu'on n'a jamais vue en France au cinéma. Il faut que ces personnages s'ouvrent aux personnes trans, c'est une évidence pure et dure. Comme le fait qu'ils puissent jouer autre chose que des hommes trans. Noémie a eu une approche juste et sensible. Sa démarche est noble. Je n'ai pas ressenti chez elle la volonté putassière de vouloir exploiter ces gens pour livrer une performance. J'ai aussi dit à Marie-Castille qu'elle devait me prendre pour que son film tienne la route. Elle ne pouvait pas faire un film sur un couple queer avec deux actrices cis hétérosexuelles...

"Donnez-nous des chances de raconter des histoires qui nous ressemblent, sans qu'elles soient édulcorées par des gens qui ne les vivent pas"

Vous intervenez souvent à ces endroits-là ?
Soko : Tout le temps ! Je veux que les gens se posent des questions, qu'ils réalisent que la représentation est importante. Il y a des actrices qui ne sont pas hétéro. Donnez-nous des chances de raconter des histoires qui nous ressemblent, sans qu'elles soient édulcorées par des gens qui ne les vivent pas ! Je dois avoir mon mot à dire si une femme filme un couple lesbien qui fait du sexe et qu'elle n'a pas fait ça elle-même. Quand il y a un discours sur la visibilité, c'est très personnel, mais je tiens à privilégier des projets ouverts à l'inclusivité quelle qu'elle soit. Une fois, on m'a proposé un film sur les femmes où toutes les actrices étaient blanches et minces. Je leur ai dit "vous vous foutez de ma gueule, il n'y a pas une seule femme de couleur, pas une seule femme forte ?". Ce n'est pas ça la représentation des femmes, alors j'ai refusé.