PETITE SŒUR : l'osmose Véronique Reymond et Stéphanie Chuat

En salles le 6 octobre, "Petite Soeur" marque la 3e réalisation du duo inspiré que composent Véronique Reymond et Stéphanie Chuat. Les cinéastes y transforment les brillants Nina Hoss et Lars Eidinger en frère et sœur jumeaux qui font face à la maladie, sur fond de renaissance artistique. Un bijou de cinéma.

PETITE SŒUR : l'osmose Véronique Reymond et Stéphanie Chuat
© DR

Après La Petite Chambre (2010) avec Michel Bouquet et le documentaire Les Dames -Encore Femmes (2018), Véronique Reymond et Stéphanie Chuat dirigent leur comédienne rêvée, Nina Hoss, dans Petite Sœur, une nouvelle réalisation pleine de déchirements et d'espoir. La comédienne allemande y incarne dramaturge qui abandonne tout pour être au chevet de son frère jumeau, célèbre acteur de théâtre atteint d'une grave maladie. Alors que la mort rode, les pulsions de vie sont aussi là. Les cinéastes y parlent avec brio de renaissance et d'élan artistique. Entretien. 

La gémellité est au cœur de Petite Sœur. En quoi le lien fusionnel que vous avez a-t-il nourri le récit ?
V.R. : Stéphanie et moi-même n'entretenons pas un lien fusionnel du même type que celui que l'on peut voir dans Petite Sœur. D'abord, nous ne sommes pas jumelles, nous sommes meilleures amies -de très longue date, certes !-, et je pense que cela fait une grande différence. En revanche, la complicité qui nous lie, la vision du monde, l'humour aussi sont des composantes uniques de notre amitié. Mais surtout, l'univers créatif que nous partageons, l'imaginaire que nous cultivons en duo depuis près de trente ans, constituent une réelle source d'inspiration pour décrire le lien entre nos deux jumeaux : Sven et Lisa. Ils inventent des histoires ensemble, créent des mondes imaginaires qui les aident à mieux supporter la réalité, à savoir la maladie de Sven.

Pourquoi la thématique de la finitude vous fascine-t-elle tant ? Est-ce un moyen d'exorciser quelque chose en vous ?
S.C. :
Oui, sûrement. Parler de ce qui nous fait peur nous aide peut-être à se l'apprivoiser un peu... C'est en tout cas le cas avec notre film précédent, Les Dames, un documentaire qui explore l'univers des femmes sexagénaires seules en amour. Nous avons nous-mêmes peur de nous sentir "invisibles" passé un certain âge et ce film nous a permis de découvrir à quel point la vie est riche et pleine de surprises, peu importe l'âge et le physique !
V.R. : Et concernant Petite Sœur, c'est aussi une façon d'entrevoir ce à quoi nous risquons d'être confrontées, Stéphanie et moi, le jour où l'une partira, entraînant de facto avec elle l'imaginaire commun que nous partageons depuis des décennies.

Créer ensemble une histoire, est-ce votre façon à vous d'être immortelles ?
V.R. :
Grande et vaste question ! Je dirais plus modestement que c'est notre façon à nous de déjouer la finitude. Car l'imaginaire est sans limites...

Souvent le désir de mise en scène nait du désir pour une actrice ou un acteur. A quel point le besoin de tourner avec Nina Hoss était-il fort et pourquoi ?
S.C. :
La rencontre avec Nina Hoss s'est faite de manière tellement "téléguidée" que dès le départ, nous avons ressenti cette collaboration comme une évidence. En effet, alors que nous écrivions le scénario depuis six mois en l'imaginant dans le rôle principal -sans qu'elle le sache évidemment-, nous l'avons rencontrée pour la première fois par hasard dans une boutique à Berlin. Impressionnées, nous nous sommes présentées en expliquant que nous écrivions un film pour elle. Un peu perplexe mais néanmoins très ouverte, elle nous a donné rendez-vous quelques jours plus tard. Un court rendez-vous pour lui exposer notre projet. Et la rencontre a duré trois heures ! Tant de points communs, de liens au théâtre, à nos racines, à la vie, à l'art en général... A l'issue de ce premier rendez-vous, Nina Hoss a demandé : "Quand est-ce qu'on tourne ?" On ne peut pas rêver mieux. Même s'il a fallu cinq ans pour venir à bout de ce projet...

"L'amour et la créativité l'emportent sur la mort"

Lars Eidinger est impressionnant. Pourquoi s'est-il imposé à vos yeux ?
V.R. :
Nous connaissons Lars via Thomas Ostermeier, metteur en scène de notoriété internationale, directeur artistique de la Schaubühne. Il joue d'ailleurs son propre rôle dans le film. Lars Eidinger est son acteur fétiche, qui a créé avec lui de nombreuses mises en scène en incarnant chaque fois le rôle principal. Hamlet en fait partie. Peut-être son rôle favori. Lars est une bête de scène et nous voulions vraiment un acteur de théâtre pour incarner ce personnage en lutte avec la maladie, déchiré intérieurement depuis qu'il est "interdit de scène". Sur le tournage de notre premier film La Petite Chambre, Michel Bouquet disait que l'acteur ne se sent vivant que lorsqu'il est en jeu. C'est vraiment le cas pour Lars Eidinger et pour son personnage, qu'il incarne si bien.

Qu'est-ce qui vous touche dans ce qui unit Lisa et Sven ?
S.C. et V.R. :
L'amour inconditionnel. Le désir de transmission. L'espoir que ce que l'on partage de plus beau continue de vivre en l'autre. La conviction que l'amour et la créativité l'emportent sur la mort.

Nina Hoss et Lars Eidinger dans "Petite Sœur". © Arizona Distribution

L'imaginaire et la création sont-ils un moyen d'éviter de penser à la fin des choses ou, au contraire, une manière d'accepter l'ordre des choses ?
V.R. :
C'est peut-être la parade que les artistes ont trouvée pour défier l'inévitable. La conter, la chanter, la décrire, la peindre... Explorer l'inconnu et l'appréhender sans fatalisme, mais avec ludisme et curiosité. Car -chose importante-, Petite Sœur aborde des thèmes graves mais sans s'appesantir. Nous parlons de vie, de vivants, de personnes qui luttent avec leurs désirs et leurs aspirations profondes. En bref, oser faire face à sa finitude, c'est surtout parler de l'essentiel, de ce qui compte vraiment, ici et maintenant, avant que l'on s'en aille pour de bon.

"On peut être acteur et passer à côté de sa vie"

Il existe cette idée selon laquelle jouer la comédie neutralise la réalité pour un temps. Vous y souscrivez ?
S.C. :
Oui ! Richard Peduzzi, le scénographe de Patrice Chéreau disait: "Jouer met la mort à distance". C'est tellement vrai. Et nous qui sommes comédiennes, qui venons du théâtre et du jeu, nous rappelons ces représentations chaotiques où l'une ou l'autre était malade, extinction de voix, migraine, blessure, chagrin d'amour etc... Il n'empêche, le miracle a toujours opéré sur les planches, comme si une seconde nature s'éveillait pour prendre le dessus sur la réalité, le temps de la représentation. 

Est-ce que le théâtre est aussi une école de la vie ?
V.R. :
On peut être acteur et passer à côté de sa vie, être comptable et se sentir accompli dans sa nature profonde... Je ne sais pas. Ceci dit, en ce qui me concerne, oui, le théâtre est une école de la vie car comme je suis de nature très timide, j'ai découvert le monde par le prisme du jeu scénique. J'ai osé vivre sur scène là où je sommeillais dans la vraie vie. Réellement.

Quels ont été les principaux défis de mise en scène sur un projet aux thématiques aussi denses qu'universelles ? 
S.C. :
Le défi principal, c'était de réunir les acteurs sur ce tournage. Nina Hoss et Lars Eidinger ont des agendas de ministres et ça tient du miracle si nous sommes parvenues à les avoir ensemble sur la durée du tournage. Un autre défi est celui d'avoir choisi une caméra à l'épaule qui danse autour des acteurs, qui se fond parfois dans l'action, comme si elle était un personnage à elle seule. Nous avons conçu les scènes comme des chorégraphies et les acteurs ont très bien réagi à ce procédé. Ils ont adopté la caméra comme un ami, un proche... Car c'était notre volonté, notre désir de rester "en vibration" afin de ressentir les émotions refoulées de Lisa, une femme "qui a tout pour elle", un mari, une famille, une vie confortable, et qui pourtant souffre de ne pas être elle-même.
V.R. : De manière plus large, le gros défi c'est de parvenir à raconter une histoire intimiste à portée universelle. L'histoire d'une femme qui accompagne son frère malade, qui veut arranger tout le monde, qui devient la mère universelle... et finit par se perdre elle-même, jusqu'à ce que son jumeau, celui qui a le plus besoin d'aide, la rappelle à ses besoins fondamentaux, à sa nature d'artiste. Sven redonne à Lisa l'élan créatif indispensable à sa vie. Car si on évoque la finitude et la séparation, Petite Sœur est avant tout un film sur la renaissance d'une femme.