Valeria Bruni Tedeschi : "Je n'ai plus rien à perdre"

Dans "Les Amours d'Anaïs", en salles le 15 septembre, Valeria Bruni Tedeschi incarne une auteure qui intrigue l'héroïne jusqu'au trouble amoureux. L'actrice joue de son charme et de sa sensualité pour embrasser ce rôle de femme ébranlée. Conversation autour de l'angoisse et du désir.

Valeria Bruni Tedeschi : "Je n'ai plus rien à perdre"
© Shootpix/ABACA

Valeria Bruni Tedeschi s'affirme dans des regards et des sourires qui en disent long pour Les Amours d'Anaïs, de Charline Bourgeois-Tacquet. Dans cette comédie romantique au cinéma le 15 septembre, elle joue une femme posée et intellectuelle, une écrivaine mariée et épanouie, amante en devenir d'une Anaïs Demoustier fascinée par elle. Il émane de Valerie Bruni Tedeschi une sérénité sensuelle. Pour devenir Emilie, la réalisatrice d'Un Château en Italie et des Estivants a dû temporiser son envie de provoquer le rire et "faire l'actrice". Un exercice qui continue de l'enchanter, elle qui sera bientôt à l'affiche de La Fracture et Cette Musique ne joue pour personne. La Franco-italienne serait-elle insatiable ? On s'interroge, quand on sait qu'elle prépare aussi en ce moment son prochain film en tant que cinéaste et que les projets de comédienne sont nombreux. Peut-être cette soudaine hyperactivité de la caméra est-elle le reflet d'un lâcher-prise acquis au fil du temps, pour celle qui avoue "ne pas toujours avoir vécu pleinement sa vie" ? Ou peut-être simplement que le milieu a cerné les multiples talents de Valeria Bruni Tedeschi. Tendre, drôle, bavarde, névrosée, sage, exubérante... A l'écran, elle peut être tout ça et plus encore. En interview, elle mise sur la douceur et l'introspection. Rencontre.

Pourquoi vous dans ce film ?
Valeria Bruni Tedeschi : Quand j'ai rencontré Charline, on s'est entendues, au sens premier. Puis j'ai regardé son court-métrage, lu son scénario et j'aime beaucoup Anaïs Demoustier. Plusieurs choses m'attiraient dans l'idée de faire ce film. J'avais envie de me mettre au service de cet univers si particulier, original et puissant.

Quelle a été votre première impression en découvrant votre personnage ?
Valeria Bruni Tedeschi : J'ai pensé qu'Emilie était assez loin de moi, tout en me disant qu'elle m'était familière. Je voyais le fil qui pouvait nous relier. Cela m'amusait que ce soit un personnage avec une énergie différente de la mienne. C'était vraiment très fort de la part de Charline. A chaque fois que mon énergie s'imposait, par exemple quand j'essayais de vouloir faire rire, il y avait un très simple refus de sa part. Elle était très précise dans ce qu'elle voulait. C'était intéressant, excitant.

Valeria Bruni Tedeschi dans "Les Amours d'Anaïs" © Haut et Court

Comment était-ce de se faire diriger par une réalisatrice débutante ?
Valeria Bruni Tedeschi : 
Ça ne change pas grand chose. A partir du moment où je fais l'actrice, je me mets au service du réalisateur ou de la réalisatrice, peu importe que ce soit son premier ou son centième film. Si je ne sens pas la possibilité de me plier à ses envies, si je ne lui donne pas pleins pouvoirs, je préfère refuser. Je dois avoir la sensation que pour ce film-là, c'est lui ou elle qui sait, pas moi.

La réalisatrice en vous ne sort jamais de l'ombre ?
Valeria Bruni Tedeschi :
Ça peut arriver, mais je me maîtrise. Je n'aime pas ça. C'est le fondement d'un acteur. Si j'ai des sursauts, des envies de contrôler, je dois arrêter ce métier. Le comédien peut conseiller, donner des idées de mise en scène, de dialogues, mais le dernier mot doit revenir au réalisateur.

Revenons à Emilie. Qui est-elle ?
Valeria Bruni Tedeschi : Elle est apparemment accomplie. Je dis apparemment parce que pour moi personne ne l'est jamais vraiment. En tout cas, elle pense l'être. Elle a atteint une sorte de tranquillité dans son travail et sa vie amoureuse. Cette stabilité lui paraît joyeuse, pas morne. Elle est calme, sereine. Ce n'est pas une femme frustrée. Sauf qu'en rencontrant Anaïs, elle se confronte à une mise en danger irrésistible.

Toutes les deux, elles s'intriguent, s'attirent…
Elles se reconnaissent, elles s'entendent, elles se plaisent aussi. Parfois il se passe des choses non pas physiques, mais organiques. Pourquoi tombe-t-on amoureux de quelqu'un ? Il y a des névroses qui nous attirent, quelque chose qui touche à l'âme. Et puis des particularités physiques qui nous rappellent peut-être notre enfance, on ne sait pas. Tout ça devient un mélange qui nous plaît. Et alors elles se plaisent...

"J'ai toujours eu l'angoisse du temps qui passe"

Qu'est-ce qui peut vous toucher, vous, chez un ou une inconnu(e) ?
Valeria Bruni Tedeschi : L'enfant intérieur qui transparaît dans les yeux. Chez certains adultes, il est encore très présent, on peut le voir qui nous dit bonjour et ça m'attire. Je n'aime pas quand les gens font taire leur enfant, qu'il est caché ou amputé. Ce n'est pas une question de légèreté, ce lien peut être douloureux, mais il doit être là. Il y a ce très beau livre du moine bouddhiste Thich Nhat Hanh, Prendre soin de l'enfant intérieur, qui m'interpelle beaucoup.

Comme l'héroïne, avez-vous vécu l'angoisse de la trentaine ?
Valeria Bruni Tedeschi : (Rire.) J'étais angoissée à 30 ans comme à 20 et 40 ans. J'ai toujours eu l'angoisse du temps qui passe, même avant. Je me posais 10 000 questions, mais j'étais extrêmement bloquée, à la différence d'Anaïs. Je n'étais pas du tout libre, je ne suivais pas mon désir. C'est pour cette raison que je trouve le film réjouissant : il donne envie de suivre ses envies. Je sais que j'ai vécu beaucoup d'années sans m'écouter. Aujourd'hui c'est différent parce que je n'ai plus rien à perdre, mais pendant très longtemps, par culpabilité, par peur, je n'ai pas pleinement vécu ma vie. C'est comme ça... Beaucoup de gens sont comme moi.

Vous vous êtes brimée ?
Valeria Bruni Tedeschi : 
Beaucoup.

Certains regrets vous suivent-ils encore ?
Valeria Bruni Tedeschi : Ça va. Je n'ai pas vraiment de regret parce que mon chemin me convient. Les films que je n'ai pas faits et mes traversées du désert ont fait éclore d'autres projets. J'ai commencé à écrire à un moment où on ne me proposait plus grand chose. Même les échecs génèrent des miracles.

"J'ai fait l'amour avec une fille sur une plage..."

Le désir passe beaucoup par vous dans le film. La caméra vous aide-t-elle à révéler cette sensualité ?
Valeria Bruni Tedeschi : Il peut arriver qu'on soit un peu mort dans la vie et que le tournage réveille toutes les énergies sous le couvercle. Ça ne veut pas dire qu'on tombe amoureux de quelqu'un. Ce n'est pas parce qu'on fait une scène d'amour qu'il se passe quoi que ce soit, mais c'est vrai que c'est une façon de vivre. Sur le tournage, je me disais "aujourd'hui, j'ai vécu quelque chose d'érotique pendant cette scène". Même si cela se joue dans la fiction, dans la représentation, cet été là, j'ai fait l'amour avec une fille sur une plage pour un film et quelque chose dans ma vie n'était plus tout à fait pareil après. Ce qui n'empêche pas d'avoir un rapport sans aucune ambiguïté avec Anaïs Demoustier !

Valeria Bruni Tedeschi et Anaïs Demoustier dans "Les Amours d'Anaïs" © Haut et Court

À quoi ressembleraient Les Amours de Valeria ?
Valeria Bruni Tedeschi : 
Aux hommes que j'ai aimés, qui m'ont fait rire, qui m'ont émue, fait pleurer, qui m'ont donné envie de leur courir après, de parler d'eux dans des films, qui m'ont inspirée... A ceux qui m'ont rendue vivante. Je vois le sens de ma vie sentimentale, mais si on la regarde de l'extérieur, j'ai conscience que c'est très confus (rire). En tout cas, je n'ai jamais suivi quelqu'un dont je ne voyais pas l'enfance dans les yeux, pour revenir à ça.

"J'adore faire rire, mais je ne joue pas en essayant d'être drôle..."

Les Amours d'Anaïs,Cette Musique ne joue pour personne, La Fracture… Vos prochaines sorties sont drôles, d'où vous vient cette envie?
Valeria Bruni Tedeschi : Pour Cette Musique ne joue pour personne, Samuel Benchetrit (le réalisateur, ndlr) est un ami et j'aime beaucoup son univers. C'est tendre. J'adore faire rire, mais je ne joue pas en essayant d'être drôle. Feydeau disait que ses pièces ne devaient être jouées que par des tragédiens. La beauté vient du mélange de légèreté et de profondeur, comme dans Les Amours d'Anaïs.

Où en est votre prochain film en tant que réalisatrice ?
Valeria Bruni Tedeschi : Je dois encore tourner quelques scènes en hiver, mais le montage a commencé. C'est un film sur l'école de théâtre que j'ai faite il y a longtemps, dirigée par Patrice Chéreau et Pierre Romans. Louis Garrel joue le rôle inspiré de Patrice Chéreau.

Vous avez toujours ce désir de faire tourner le père de votre fille (Louis Garrel, ndlr)...
Valeria Bruni Tedeschi : Il se trouve que nous sommes liés et que c'est un immense comédien. J'ai longtemps réfléchi avant de savoir si on faisait le film ensemble, mais c'était vraiment la meilleure personne. Son évolution en tant qu'acteur, que metteur en scène et qu'artiste est extraordinaire.