Farid Bentoumi (ROUGE) : "Aucun combat n'est possible sans sacrifice"

Après "Good Luck Algeria" (2015), le réalisateur Farid Bentoumi renoue avec la thématique de la famille en plantant cette fois sa caméra dans le thriller écolo. "Rouge", en salles le 11 août, met en scène Zita Hanrot dans la peau d'une lanceuse d'alerte qui tente de révéler la troublante vérité sur l'usine qui emploie son père, incarné par Sami Bouajila. Confidences.

Farid Bentoumi (ROUGE) : "Aucun combat n'est possible sans sacrifice"
© Ad Vitam

Ecrire Rouge en partant du réel

Quand je suis à la recherche d'un sujet, je lis beaucoup le journal. Il est nécessaire d'être au fait des choses pour aboutir à un film s'inscrivant dans l'actualité. J'ai encore cette naïveté de croire que le cinéma peut changer les choses. J'aime bien partir de ce qui se passe autour de nous à l'instant "T". Le processus d'écriture, qui dure à peu près deux ans, se nourrit justement des articles que je lis, des documentaires que je vois, de ces autres films qui abordent la même thématique, etc… C'est d'autant plus important pour les comédiens que ces derniers partent ainsi de faits réels et solides, d'éléments qui leur permettent de créer de la fiction à partir du réel. Je fais d'ailleurs relire mes scénarios à des spécialistes -selon le sujet abordé- pour être sûr que tous les dialogues tiennent la route, qu'ils sonnent juste.
On part aussi de soi pour écrire. Avec mes co-auteurs, c'est un peu de la psychanalyse. On discute beaucoup pour cerner ce qu'on aborde, parfois pendant des heures. On digère nos points de vue pour les réintégrer dans le film. Les émotions des personnages viennent avant tout de nous. Au-delà de son côté engagé, Rouge est un film où il y a beaucoup d'amour. Comme Good Luck Algeria, il parle de la famille, de l'héritage, de ce qu'on transmet. Zita Hanrot et Sami Bouajila retranscrivent parfaitement tout ça.  

Le cinéaste Farid Bentoumi évite d'être manichéen

Rouge est aussi basé sur mon rapport à mon père, mon histoire familiale, mon questionnement sur l'engagement. Notre génération de quarantenaires-cinquantenaires s'engage peu par rapport à celles de nos parents. Les miens étaient syndiqués, inscrits au parti communiste, ils étaient dans une lutte pour des idéaux. Celle à venir, qui a 20-30 ans, va malheureusement s'engager pour éviter un capitalisme débridé, pour sauver ce qui peut l'être du climat. C'est triste parce qu'ils vont davantage lutter pour un sauvetage des choses que pour des idéaux. Les luttes de l'époque, de mes parents, étaient très orientées vers le monde: on se souciait de Cuba, des Etats-Unis, du bloc de l'est… J'ai eu conscience de ça très jeune. Et le fait d'être franco-algérien fait par ailleurs réaliser tôt qu'il n'y a pas que Paris dans le monde, qu'on fait partie d'un tout.
Avoir deux cultures oblige tout de suite au consensus (…) Sur le plan écologique, je vis comme un occidental. Je consomme trop. A partir du moment où on habite en France, on abuse déjà de la planète et de ses ressources. J'ai énormément voyagé, partout dans le monde. Cette vie-là est aujourd'hui remise en cause. Mes enfants ne pourront pas faire ça. La Covid a fait que les gens voyagent maintenant davantage dans leurs propres pays. J'espère que cela va accélérer un changement de comportement. A Paris, je me déplace à vélo ou en métro. Ce n'est pas en triant uniquement ses ordures qu'on va aller loin.
Rouge ne donne en tout cas aucune leçon. Je fais des films où chacun a ses raisons: c'est une manière de créer le dialogue dans une société de plus en plus individualiste. Au spectateur de se faire son avis ! On ne s'en sortira pas en disant que les écolos et les pauvres sont gentils et que les patrons sont méchants: c'est faux. Il y a des cons partout.

Zita Hanrot et Sami Bouajila dans "Rouge". © Ad Vitam

Zita Hanrot est Nour, une femme face à un monde d'hommes

Le film dit qu'il faut briser l'omerta quand on le sent, même si c'est un choix de vie difficile, avec des destins souvent tragiques et solitaires. Les lanceurs d'alerte sont en effet seuls contre tous, contre leur patron, leur famille, le monde entier… Je suis admiratif d'eux. De la même manière que je ne surligne jamais les origines maghrébines de mes personnages, je ne le fais pas non plus avec mes héroïnes. Elles sont des femmes et le féminisme, c'est ça. C'est de dire qu'on peut être une femme enceinte de six mois et continuer à être journaliste, qu'on peut être infirmière et se battre dans un monde d'hommes, au cœur d'une usine.
L'égalité homme-femme passe par l'égalité de traitement. Au départ le personnage de Zita était un garçon. Quand j'ai réécrit le rôle pour elle, je n'ai quasiment rien changé. C'est vous dire. Ce qui rend peut-être Rouge féministe aux yeux de certains, c'est que le courage est souvent associé aux hommes. Les femmes ont tout autant de courage que les hommes, voire plus. Il y a eu autant de résistantes que de résistants pendant la guerre. Nour dit en tout cas à sa génération que le changement est possible. C'est aux trentenaires de faire bouger les cinquantenaires. Il faut écouter la jeunesse. On n'a pas à attendre 50 ans pour prendre des décisions.
Le film rappelle aussi qu'aucun combat n'est possible sans sacrifice. Là est son côté tragique et cornélien. On ne perd jamais l'intime et la famille dans le combat de Nour. Ma construction consiste à toujours placer le personnage au centre. Où qu'on soit, on est dans le point de vue de Nour. Plus elle se rapproche de la journaliste, plus elle s'émancipe de son père et de ses proches. Cela simplifie la narration et crée de l'épure, un chemin simple et direct.