Louis Garrel : "Je ne suis pas que drôle dans la vie"

Louis Garrel endosse l'uniforme pour "Mon Légionnaire", sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs. S'il est impeccable en officier concerné, le talentueux cinéphile excelle aussi dans la légèreté. Il le prouve avec sa troisième réalisation "La Croisade", également présentée à Cannes. Rencontre avec un obsessionnel dont la mission (accomplie) est de savoir tout faire.

Louis Garrel : "Je ne suis pas que drôle dans la vie"
© Vianney Le Caer/AP/SIPA

Louis Garrel part en guerre. Contre le réchauffement climatique d'abord, dans La Croisade, de et avec lui. Puis pour son pays, dans Mon Légionnaire. Face à la caméra de la réalisatrice Rachel Lang, le comédien impressionne en militaire de la Légion étrangère. Le film s'incruste sur le terrain, au plus près de ces soldats dévoués à la France, et zoome sur les familles, les "femmes de" dans l'attente de leurs hommes. Louis Garrel y joue l'époux de Camille Cottin et nous embarque dans l'Armée de terre avec une retenue qui en dit pourtant long. L'acteur-réalisateur sait aussi très bien faire le fantassin. Derrière et devant sa caméra à lui, le cinéaste surprend par sa finesse humoristique. Sa Croisade est un enchantement écolo sur des parents qui déchantent face à leur fils résolu à sauver la Terre.
"Vous avez trouvé ça drôle ?", nous demande-t-il, concerné par ses fonctions de metteur en scène. Impossible de ne pas faire le lien avec son personnage de légionnaire, lui aussi très inquiet à l'idée de faillir à sa mission. Interview.

Qui est Maxime, votre personnage dans Mon Légionnaire ?
Louis Garrel : Maxime sort de l'école d'officier et demande à commander un groupe de militaires de la Légion étrangère. C'est quelqu'un qui ne connaît pas du tout ce monde, même s'il l'intéresse. Il va découvrir ce que c'est de diriger des hommes prêts à se battre pour un pays qui n'est pas le leur.

Connaissiez-vous cet univers avant d'accepter le projet ?
Louis Garrel
: Pas du tout. Je connaissais juste le mythe autour de la Légion étrangère, cette idée d'absence d'identité, de changement de vie drastique. Je n'avais pas pris conscience que ces hommes, qui sont envoyés sur les missions les plus dangereuses, le font pour la France sans être nés ici. C'est assez incroyable.

Comment êtes-vous entré dans la peau de ce personnage aux antipodes de votre monde ?
Louis Garrel
: Déjà, ça m'a paru assez aberrant que la réalisatrice, qui connaît très bien ce milieu en étant elle-même réserviste, pense à moi. Elle m'a d'abord demandé de changer physiquement, de faire de la musculation pour me fondre dans la foule. Elle m'a ensuite envoyé faire un stage de 3 jours avec des militaires pour entrevoir, ou du moins essayer de sentir, ce que pouvait être leur quotidien en mission.

Louis Garrel dans "Mon Légionnaire" © ML/Cheval deux trois/Wrong Men

Maxime a un langage très particulier. Comment vous l'êtes-vous approprié ?
Louis Garrel
: Au début je ne comprenais pas, parce que ce ne sont que des abréviations. Quand j'ai lu le scénario, j'ai demandé à Rachel de me mettre des notes en bas de page ! C'était une de mes inquiétudes. Je ne voulais pas que l'on perde le spectateur. Mais il y a aussi un certain plaisir à découvrir un nouveau langage. Quand j'ai joué en italien, j'ai appris l'italien. Là, j'ai appris le militaire.

Vous parvenez à faire passer beaucoup d'émotions malgré ce jargon... Cela a-t-il été compliqué ?
Louis Garrel : Ce sont des gens à qui l'on apprend à être stoïques. Etrangement, plus on leur demande de cacher, plus les émotions se voient puisqu'on perçoit qu'ils retiennent des sentiments. C'est plutôt là-dessus que j'ai travaillé. Comment dissimuler à ces hommes ce que je ressentais, comment rester de marbre dans des situations périlleuses, dans des relations intimes qui se compliquent avec la distance ? Le couple, au départ très harmonieux, se désynchronise au fur et à mesure que le temps passe. Camille Cottin, qui joue mon épouse avocate, n'est pas au contact de ce que Maxime vit, de la violence et du meurtre, et ça commence à créer un décalage entre eux.

"J'ai toujours l'impression de n'avoir fait que 10% de ce que je voulais faire"

Malgré ce décalage, on sent que c'est une vocation qu'il ne remet jamais en cause...
Louis Garrel : C'est un engagement auquel il ne peut déroger. C'est comme pour Rachel, qui est donc réserviste et cinéaste. De temps en temps, je lui demande ce qui lui plaît là-dedans et je sens qu'elle n'arrive pas très bien à l'expliquer. C'est une sorte de don d'elle-même pour le collectif. Je ne crois pas que le monde militaire représente l'amour de la violence. L'engagement est autre part.

Maxime rentre d'une de ses missions avec l'impression de ne pas en avoir fait assez. C'est un sentiment auquel vous vous êtes déjà confronté ?
Louis Garrel : J'ai toujours l'impression de n'avoir fait que 10% de ce que je voulais faire. La frustration est le compagnon le plus fréquent de tous les tournages. D'ailleurs, on fait d'autres films pour se dire "la prochaine fois, je serai moins frustré".

Vous êtes à Cannes avec ce rôle dramatique, mais aussi avec une comédie très drôle, que vous réalisez : La Croisade. Où prenez-vous le plus de plaisir ?
Louis Garrel : En tant qu'acteur, c'est encore les deux. J'aime de plus en plus ce genre que l'on pourrait appeler comique ironique, parfois dramatique. Comme réalisateur, je m'oriente davantage vers la comédie. Lors de la projection ici à Cannes, j'ai entendu les spectateurs rire et j'ai senti que mes situations étaient bonnes. C'est un des trucs que je préfère. J'adore ça. Peut-être que cela me vient des films italiens, qui mélangent toujours le tragique et le comique, la dérision et la passion. C'est un bon mix.

Louis Garrel et Laetitia Casta dans "La Croisade" © Shanna Besson - Why Not Productions

C'est dans Mon Roi que l'on vous a découvert ce potentiel comique…
Louis Garrel : Oui et les gens me disaient "eh mais t'es drôle en fait toi" ! L'image que l'on a de soi ne correspond jamais vraiment à la réalité. D'ailleurs, je ne suis pas que drôle dans la vie. Mais cela m'a ouvert un nouveau terrain d'expériences que j'aime explorer depuis.

Les réalisateurs vous surprennent-ils parfois avec leurs propositions ?
Louis Garrel : Avec Mon Légionnaire, j'ai été surpris. A priori, ce n'est pas du tout le genre de rôle dans lequel les spectateurs qui m'identifient vont m'imaginer. Rachel a eu confiance en moi, mais elle a surtout eu confiance en elle. C'est l'une des raisons qui m'a motivé. Quand un réalisateur te dit "j'y crois, tu peux le faire", tu finis par y croire aussi.

Maxime a du mal à être présent pour ses proches quand il rentre chez lui. Vos rôles vous habitent-ils ?
Louis Garrel : Cela peut être l'un des défauts des métiers prenants, ramassés sur des périodes très intenses. Parfois on ne parle que de ça et c'est une erreur de jeunesse, de manque d'expérience. Au fur et à mesure, on apprend que tout le monde ne peut pas trouver cela intéressant tout le temps dans la vie réelle. Il faut arriver à décrocher. Et on se rend compte que ce n'est pas parce que l'on s'obsède davantage que l'on fait de meilleurs films.

"Je ne suis pas du tout activiste ou militant"

Certains de vos films vous ont-ils marqué, changé ?
Louis Garrel : La Croisade, par exemple. Je ne suis pas tout activiste ou militant, mais mon scénariste était très saisi par la question du réchauffement climatique. Alors pour le projet, j'ai écouté certains sociologues ou scientifiques. C'est un sujet auquel on ne peut pas rester insensible. Il y a forcément un aspect apocalyptique, mais j'essaie de me dire que cette histoire de changement climatique va ouvrir un champ des possibles extraordinaire. Il faut arriver à y voir du positif. Une révolution énorme doit s'opérer. Elle ne pourra se faire que de manière collective, joyeuse, sans se foutre sur la gueule.

C'est ce qui vous a encouragé à aborder l'écologie avec beaucoup de légèreté dans La Croisade ?
Louis Garrel : Je ne voulais pas faire un film noir, qui fasse peur. Le sujet est si inquiétant que les gens ne veulent plus y penser. C'est trop anxiogène. C'est bien d'en parler avec une dynamique, un certain élan. Il y a eu le moment où l'on s'est pris l'information en pleine tête, on l'a digérée et maintenant il faut se dire que ça peut être génial de trouver des solutions, quitte à se transformer en Indiana Jones (en faisant attention à ne pas virer colonialiste, évidemment) !

Trouvez-vous qu'il est plus difficile de faire du cinéma avec les débats actuels ?
Il ne faut pas vivre cela comme quelque chose qui ôterait à notre liberté. Il faut plutôt y voir des perspectives nouvelles. C'est plus stimulant pour l'imaginaire. On a tous tendance à être un peu réactionnaires. Quand il faut évoluer, on se dit "attends 2 secondes, mon salon est organisé avec le canapé à gauche et la table à droite, pourquoi je changerais ?" Et finalement, on se rend compte que c'est avec le changement que les choses seront mieux organisées.

Mon Légionnaire, de Rachel Lang, au cinéma le 6 octobre

La Croisade, de Louis Garrel, au cinéma le 22 décembre