Hafsia Herzi : "Ma mère m'a donné l'envie de me battre, de réussir"

Tout juste auréolé à Cannes du prix du casting au Certain Regard, "Bonne Mère", en salles le 21 juillet, propulse sa réalisatrice, Hafsia Herzi, dans une nouvelle dimension. La cinéaste (et actrice) revient sur son formidable portrait de mère courage.

Hafsia Herzi : "Ma mère m'a donné l'envie de me battre, de réussir"
© SBS Distribution

Hafsia Herzi et la figure de la mère

Je n'ai pas connu mon père. Il est décédé d'un accident du travail quand j'avais un an et demi. J'ai été élevée par ma mère. J'ai toujours eu un lien très fort avec elle. Je lui porte tant d'admiration et de respect, notamment dans son parcours de femme, elle qui est issue d'un milieu très pauvre en Algérie. Elle est arrivée en France à 30 ans. Elle a commencé comme femme de chambre et a ensuite trouvé un emploi de femme de ménage dans un collège. C'est elle qui m'a donné l'envie de me battre, de réussir, de bien travailler à l'école, de croire en mes rêves. Je ne voulais pas la décevoir. Il y a beaucoup d'elle dans le personnage principal de Bonne Mère, dans la pudeur, la douceur, la discrétion, le look aussi.
Ma mère est douce, maternelle, calme et ne se laisse pas faire. Avec ce film, j'ai voulu parler des mères le plus sincèrement possible. Dans le cinéma français, je trouve qu'il s'agit une figure qui n'est pas assez mise en valeur. C'est justement ce qui m'a donné envie d'aller au bout de ce portrait de mère-courage. Quand j'écrivais certains dialogues, je demandais l'avis de ma maman car ce n'est pas évident de se mettre dans la peau d'une femme de cinquante ans.
Je l'ai beaucoup consultée et observée. Mais ça, c'est depuis toujours: dans la cuisine, dans ses faits et gestes… J'ai aussi observé les mères de mes ami.e.s, celles des arrêts de bus, partout, etc… Jeune, on ne se rend pas compte à quel point ce rôle est difficile, notamment pour celles qui exercent des métiers épuisants. Un jour, j'avais perdu mes clés et je suis allée voir ma mère à son travail. Quand je l'ai aperçue avec sa blouse, ça m'a bouleversée. J'ai caché cette émotion. Elle était pourtant heureuse, entourée de ses collègues, mais c'était dur de constater cette réalité d'un travail si difficile. Elle en a aujourd'hui des séquelles.

Marseille, le berceau de Bonne Mère

J'ai voulu parler de la ville de Marseille, dans laquelle j'ai grandi, avec sincérité, avec ma vision, ma sensibilité. J'ai écrit le scénario en visionnant des lieux que je connais très bien et cela aide grandement au découpage. Après, on n'a plus qu'à poser la caméra. C'est en effet bénéfique d'écrire en ayant les décors précis en tête. A l'évocation du quartier où j'ai tourné, je revois immédiatement ces tours énormes et isolées, avec leurs couleurs délavées, ces couchers et levers de soleil avec la mer au fond… Je me revois toute jeune, rentrant de l'école, allant à la boulangerie, à la pharmacie… Je visualise les moments passés sur les balcons, tous identiques, avec mes amies. Il n'y avait pas de danger à l'époque, on traînait là des heures.
Je voulais, avec Bonne Mère, capter des personnalités. A Marseille et dans les quartiers nord, il y a tant de gens qui ont des talents cachés, qui parlent sans barrière, avec leur phrasé, leur crudité de langage, leurs expressions… Je voulais témoigner de ces moments d'existence avant qu'on enlève la vie de ce quartier. J'ai dirigé que des non-professionnels. L'avocate est une avocate à la retraite, le dentiste est un vrai dentiste, etc… J'ai tourné dans la cité où j'ai grandi uniquement parce que j'en suis une habitante. Poser des caméras dans un tel lieu, c'est clairement impossible si vous n'êtes pas issu de là. Je n'ai pas eu d'inspiration pour ce film, même si j'aime beaucoup le cinéma d'Andrea Arnold (Elle présidait le jury du Certain Regard au Festival de Cannes, qui lui a remis le prix du casting, ndlr). Je ne désirais pas faire un cinéma classique, mais je voulais, en tant que réalisatrice, frissonner et être émue par une vérité que je capture.

Halima Benhamed dans "Bonne Mère". © SBS Distribution

L'actrice Halima Benhamed, la lumière    

Pour l'authenticité et la crédibilité, je voulais des gens qu'on n'avait jamais vus, de nouveaux visages… Quand j'ai vu Halima Benhamed, j'ai su que ça serait elle alors qu'à l'origine je n'imaginais pas l'héroïne comme ça. Elle dégage de la douceur, de la bienveillance… De toutes les façons, si je n'ai pas de coup de foudre artistique, je ne peux pas poser ma caméra sur une personne. C'est comme en amour, on ne peut pas forcer quelqu'un à nous aimer. J'ai été frappée par elle. Son visage qui me faisait penser à une madone, à une Joconde, elle a quelque chose de mystérieux… Son regard m'a touchée. J'ai senti quelque chose en elle. Elle était timide et a refusé de passer le casting. Elle accompagnait sa fille. Je voulais à tout prix qu'elle le fasse. Un jour, je suis allée la chercher pour un essai d'une heure, et ça a été immédiat. C'était le mektoub parce que j'avais trouvé tous les acteurs de mon film sauf la mère. Je stressais tellement et me disais: "Pourquoi tu as écrit ce film ?" Ce n'est pas évident de trouver une actrice de cet âge, qui accepte cette impudeur… Plus largement, la direction d'acteurs prend du temps, de l'énergie… J'ai repensé à ma première fois car comme eux, je n'avais pas fait d'école. J'étais débutante quand Kechiche m'a prise (dans La Graine et le Mulet, ndlr). J'étais méfiante au début, j'avais confiance en personne, j'étais timide… Et après, le climat de confiance a aidé. J'étais reconnaissante de lui et de la chance qu'il me donnait. Dans notre relation, on marchait à la confiance et c'est ce que j'ai fait ici. J'étais à la fois l'amie et la coach. Il y a eu une intelligence de jeu de la part de tous mes acteurs.
Choper la vie, c'est une question de sincérité et d'être tout simplement humain. L'âme d'un cinéaste se trouve dans le film. L'observation est primordiale, j'aime les gens, les visages, c'est pour ça qu'il y a plein de personnages. J'aime quand il y a du monde.