Pierre Deladonchamps : "Je me sens démuni face à la violence"

Avec son regard fou et sa dégaine désarmante, Pierre Deladonchamps campe un effroyable tueur en série dans "Vaurien", premier long-métrage, labellisé Cannes 2020, de Peter Dourountzis. Un nouveau rôle qui pourrait lui valoir une nomination aux César et qui confirme, pour les derniers sceptiques, l'étendue de son talent.

Pierre Deladonchamps : "Je me sens démuni face à la violence"
© Urs Flueeler/AP/SIPA

"Joyeux anniversaire, Pierre". Quand l'interview a lieu, on est le 2 juin, le lendemain de son 43e anniversaire. Pierre Deladonchamps sourit et avoue que ce qu'on pourrait lui souhaiter de mieux, c'est que "Vaurien ait un succès en salles parce qu'il le mérite et que c'est un film très puissant".
Il s'agit de la première réalisation du jeune cinéaste Peter Dourountzis dans laquelle l'acteur prête ses traits, pourtant angéliques, à Djé, un serial killer au passé inconnu qui traîne sa carcasse dans la ville. Sous sa capuche, il est toujours à l'affût de jeunes femmes qu'il pourra importuner ou tuer. Glaçant dans l'attitude et imparable dans le jeu, Deladonchamps porte ce personnage avec le talent manifeste qu'on lui connait depuis sa révélation en 2013 dans L'Inconnu du Lac d'Alain Guiraudie, pour lequel il a remporté le César du meilleur espoir masculin. Entretien.    

La figure du tueur en série est probablement l'une des plus codifiées du cinéma. Comment avez-vous construit ce personnage en vous affranchissant des modèles du genre ?
Pierre Deladonchamps :
Pour être tout à fait honnête, car je n'aime pas faire semblant, je n'ai pas eu de préparation particulière pour incarner Djé. Je me suis reposé sur le scénario et j'ai surtout demandé à Peter Dourountzis : "Pourquoi moi ?" Je ne voulais pas faire un truc de performer à l'américaine, façon Actor's Studio. J'admire ceux qui y arrivent. Pour ma part, je n'aime pas le faire. Je ne sais d'ailleurs même pas si j'y arriverais. Je préfère travailler à l'instinct, échanger avec le réalisateur et mes partenaires, que j'ai tous adorés sur ce projet...

Qui est Djé ?
Pierre Deladonchamps :
Il peut être n'importe qui. C'est un mec paumé. Il se venge sur des femmes qu'il pense assez faibles pour ne pas lui résister. Il les humilie ou les tue. Si, au contraire, elles sont fortes et lui tiennent tête, il perd ses moyens. C 'est un anti mâle alpha qui a des complexes, un serpent qui louvoie. Il rejoint quelque part mon personnage des Chatouilles où, justement, le monstre n'a pas le visage qu'on pourrait imaginer dans l'inconscient collectif (il y campait un pédophile, ndlr). Dans ce film précisément, la portée politique est de dire qu'un monstre est un humain. Pour autant, on ne lui cherche pas d'excuse mais on le montre tel qu'il est. Ce n'est pas un thriller de plus ou un serial-killer de plus. C'est Vaurien et c'est un ovni. Même si Seven ou Le Silence des Agneaux ont inspiré le réalisateur, il n'a pas cherché à imiter ce qui existe déjà.    

Tout est énigmatique chez lui. Même son prénom est évasif. Est-ce que ça vous plait de partir d'une telle page blanche ou, a contrario, préférez-vous les personnages ancrés dans un background précis ?
Pierre Deladonchamps :
J'aime les pages blanches. Il me plait, avant de tourner, de construire le personnage dans mon inconscient et un peu dans mon conscient. Le tout étant de trouver le bon équilibre pour ne pas être fake. J'ai de l'admiration pour les performeurs mais je n'ai pas l'impression d'en avoir l'ambition et l'envie.  

"Ce film est féministe parce qu'il dénonce toutes les façons dont une femme peut être importunée par un homme"

Peter Dourountzis dit avoir mis 20 ans à savoir comment faire ce film sans glorifier le héros. Vous êtes-vous aussi posé cette question ?
Pierre Deladonchamps :
Pour être franc, je ne me suis pas posé la question de la glorification. Pour moi, c'était évident qu'il ne glorifierait pas ce personnage et le résultat final le montre bien. On peut cela dit éprouver une fascination à son endroit comme cela nous arrive pour les tueurs en série en général. Ça fait appel à nos pulsions de mort, de meurtre, même si on ne se mettra pas tous à tuer… Je crois que le cinéma et l'art permettent d'aller très loin en se basant sur des faits qui ont existé et qui existeront.

Avez-vous eu de l'empathie pour lui ?
Pierre Deladonchamps :
Ah, c'est marrant ça… (réflexion) Je ne me suis pas posé la question de le rendre sympathique. Je faisais les scènes comme elles étaient écrites et on composait après avec Peter… On cherchait ensemble. J'ai aimé sa confiance, son envie d'entendre mes idées et sa volonté d'éviter le manichéisme. Les criminels sont tous des êtres humains. On leur a donné naissance, ils ont grandi, ont été enfants, adolescents puis, adultes, ils commettent l'irréparable. (…) On ne parle pas du passé de Djé mais on se doute que ça n'a pas dû être commun. On comprend qu'il sort de prison, que c'est lié à une femme… Ce film est féministe parce qu'il dénonce toutes les façons dont une femme peut être importunée par un homme. Ça va d'un regard dans un autobus jusqu'au pire. Tous les jours, il y a des violences, des féminicides, notamment pendant le confinement… C'est le quotidien de plein de femmes. En parler, ce n'est pas glorifier Djé mais dire qu'il existe.

Qu'est-ce qui t'effraie le plus chez ce type de personne ?
Pierre Deladonchamps :
La pulsion qui aboutit à un accès de violence. Je déteste la violence. J'en ai en moi mais si j'en suis témoin dans la rue par exemple, j'ai le cœur qui accélère et je perds mes moyens. Je me sens démuni et sidéré face à ça.  

Pierre Deladonchamps et Ophélie Bau dans "Vaurien". © Rezo Films

Vaurien, c'est un mot horrible. Cela vous est-il déjà arrivé d'être traité ainsi ?
Pierre Deladonchamps :
Ah bah oui… Je suis justement comédien parce que j'ai ressenti beaucoup de frustration plus jeune. Les gens ne s'intéressaient pas à moi, ne me regardaient pas… J'étais plus petit que tout le monde, j'ai grandi très tard. Du coup, je n'étais pas intégré, on se moquait facilement de moi. Sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, j'étais le vilain petit canard. C'est comme ça que j'ai vécu une partie de mon enfance et de mon adolescence… Je ne me faisais pas harceler, cela dit, car je me défendais avec les mots. Mais physiquement, je craignais les autres. Être comédien est une façon de continuer à m'exprimer avec des témoins qui restent.

"Dans la vie, je ne suis pas dans le drame même si j'ai des névroses et des angoisses"

Depuis le début de votre carrière, vous manifestez une vraie appétence pour les auteurs. C'est le cinéma que vous aimez ?
Pierre Deladonchamps :
Ce n'est pas un hasard car je revendique tous mes choix. Mais ça ne veut pas dire que je ne veux pas faire autre chose. Je n'ai jamais couru après la popularité mais après la qualité. Quand Huppert ou DiCaprio sont dans un film, c'est un choix de leur part et c'est déjà une marque de qualité. J'essaye de tendre vers ça tout en me faisant plaisir de temps en temps…   

On sent chez vous un goût prononcé pour la comédie. Vous avez les yeux rieurs… On dirait que vous avez toujours une vanne en tête qui vous fait marrer… Je me trompe ?  
Pierre Deladonchamps :
(rires) Non, j'ai plein de vannes dans la tête. Dans la vie, je ne suis pas dans le drame même si j'ai des névroses et des angoisses. Disons que le rire les chasse. La comédie est le genre le plus noble et faire rire est la chose la plus dure. Une scène drôle ratée, c'est mort. Une scène dramatique ratée, ça peut passer.

Qui vous a donné ce goût pour l'art ? Cela vient de votre famille ?
Pierre Deladonchamps :
Je ne dirais pas que j'avais une famille dysfonctionnelle mais elle avait beaucoup de névroses. Je ne veux pas forcément m'épancher là-dessus mais ce n'était pas rose tous les jours. Du coup, je faisais des blagues pour désamorcer tout ça, pour crever les abcès, détourner les attentions… Je voulais que tout le monde soit heureux, quitte à faire des blagues de caniveau que j'assumais. Le théâtre m'a aidé à canaliser cette énergie car je pouvais être très fatigant (rires).

"Je voulais que tout le monde soit heureux, quitte à faire des blagues de caniveau"

A l'école, vous n'étiez pas bosseur… Vous faisiez le minium pour passer. Est-ce que le cinéma vous a discipliné ?
Pierre Deladonchamps :
(rires) A l'école, je mettais toujours de l'énergie sur ce qui me passionnait, comme les langues vivantes. En revanche, la physique, les maths, l'histoire: c'était beurk ! Vous savez, je ne vois pas le cinéma, qui est ma passion, comme un travail même si ça peut être crevant… Au début, je voulais être une star mais je ne savais même pas pourquoi. Après, j'ai compris que ce n'était pas ce que je recherchais vraiment, qu'il y avait tant d'inconvénients à l'être. A l'ère des réseaux sociaux, tout le monde veut d'ailleurs être une star… Ma fille me dit parfois qu'elle veut être connue. Je lui réponds : "Si tu n'as rien à raconter, ça ne sert à rien de l'être. Il faut être connu pour quelque chose d'intéressant". Je lui interdis les applis comme Tik Tok avec ces notoriétés "feu de paille", qui s'annulent, ces stars "mouchoir en papier"…

Pierre Deladonchamps dans "Vaurien". © Rezo Films

A la réouverture des salles, qu'êtes-vous allé voir ?
Pierre Deladonchamps :
Je suis plutôt allé en terrasse car j'attendais trop leur réouverture (rires).  

Est-ce que vous continuez à faire des cookies à vos voisins ou ce n'était que pendant le confinement ?
Pierre Deladonchamps :
(rires) Non, j'ai arrêté ! Pendant le confinement, j'ai trouvé chez des primeurs des graines pour faire pousser des plantes. Et je les ai offertes à mes voisins…