THE ASSISTANT : Julia Garner, dans l'horreur des basses besognes

Difficile de l'imaginer hors du palmarès du 46e Festival du Cinéma Américain de Deauville. Avec "The Assistant", la cinéaste Kitty Green tisse un portrait de femme déchirant, dont la justesse du propos rejoint celle de son exceptionnelle interprète : Julia Garner.

On prend le pari : elle a tout pour atteindre le carré d'or des plus grandes actrices à venir. Lauréate l'an dernier de l'Emmy Award du meilleur second rôle féminin dans une série dramatique, pour sa prestation monumentale de fille de redneck dans Ozark, Julia Garner a déjà saisi à deux reprises l'attention des festivaliers deauvillais: en 2012 dans Electrick Children de Rebecca Thomas et en 2013 dans We are what we are de Jim Mickel (un récit cannibale qui avait causé un évanouissement dans la salle). Avec The Assistant, il est évident qu'ils n'oublieront plus jamais cette New-yorkaise de 26 ans.

Dans ce drame épuré, elle incarne une brillante jeune femme, tout juste diplômée, travaillant depuis 5 semaines -une éternité- comme assistante d'un magnat du cinéma. Sa photocopieuse, avec qui elle a sûrement plus d'interactions que ses collègues méprisants, vomit des papiers comme autant de jours identiques, où la nuit et le jour se confondent, donnant une tonalité grisâtre à son quotidien, à ses déplacements quasi sous-terrains.

Car oui, les tâches ingrates la vissent toujours plus dans une solitude poisseuse : trier le courrier, organiser des voyages, faire le café, commander des sandwichs, ramasser les miettes, gobelets, détritus, faire le porte-manteaux, garder les gosses de je-ne-sais quelle diva et, surtout, gérer la vilénie -teintée de perversité narcissique- d'un patron dont on n'entend que la voix. Pareille à une force obscure qui n'a pas besoin d'être vue pour tout corrompre.

Vers les ombres errantes

La réalisatrice Kitty Green évite ici la dénonciation trop évidente, le piège du film à charge que l'ombre de Weinstein vampiriserait. Evidemment, il est impossible de ne pas penser à l'emprise délétère que ce dernier avait sur les femmes. Mais la cinéaste australienne, dont c'est le premier long-métrage, fait le choix d'un prolongement, d'une triste universalité, en s'adressant à toutes les personnes -les femmes comme les hommes- qui, dans le silence des humiliations, continuent de se livrer à de basses besognes sous les regards souvent cassants de la hiérarchie et des petits chefs.

The Assistant insiste sur ces vexations répétitives, jouant tout du long sur la redite, coiffant les lieux comme s'ils étaient un labyrinthe duquel l'héroïne ne saurait s'extraire. 

C'est justement par la qualité indubitable de sa mise en scène, précise et sèche, que Green nous tient, nous happe, nous étourdit entre tous ces horribles riens qui forment un tout vicié. Elle nous englue, nous comme son personnage, dans tout ce que l'insidieux crée de détresse, de résignation, de chuchotements et, peut-être, de révolte sourde. Quoi qu'il en soit, le constat, d'une noirceur sans appel, est terrible. Et c'est sur le visage diaphane de Julia Garner qu'on le lit. Sa prestation sur le fil, digne d'une équilibriste, redit tout d'un talent qu'on ne cessera plus d'applaudir. Pour l'heure, la date de sortie de The Assistant n'est pas connue. Une place au palmarès changera sûrement la donne.