Emmanuel Mouret : la recette d'un cinéma qui va droit au coeur
Le magnifique "Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait", en salles le 16 septembre, marque la 10ème réalisation d'Emmanuel Mouret. Le cinéaste y convie une pléthore de superbes comédiens le temps d'une folle danse des sentiments. Pour le Journal des Femmes, la spécialiste Maryline Alligier se prête à un décryptage de son art.
Un baiser s'il vous plait (2007), Caprice (2014), Mademoiselle de Joncquières (2018)... Depuis ses débuts de cinéaste -il est également acteur-, Emmanuel Mouret a fait du sentiment amoureux et du marivaudage le ciment d'un cinéma où la légèreté et la gravité se marient à merveille. Preuve en est avec son dernier-né, Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait, dans lequel il plonge Camelia Jordana, Niels Schneider, Emilie Dequenne ou Vincent Macaigne dans une ronde des coeurs. Auteure du livre Emmanuel Mouret. Entretiens d'un rêveur en cinéaste, paru chez Rouge Profond, Maryline Alligier, enseignante en histoire et en cinéma-audiovisuel au lycée et chargée de cours à l'université d'Aix-Marseille (AMU), commente trois facettes de son travail.
Le sentiment amoureux
La singularité d'Emmanuel Mouret sur le sentiment amoureux est avant tout de l'interroger, en affirmant aucune certitude. Dans son cinéma, l'état de candeur, de joie mais aussi d'hésitation dans lesquels l'amour plonge les personnages renvoient au sentiment plus profond et existentiel de leur désarroi face à la complexité du monde.
L'amour est changeant, capricieux, mouvant, le peut-être d'une histoire est ce qui peut être, mais aussi à tout moment être contrarié par le hasard, un désir, un geste ou une parole !
Le "cœur est élastique", l'amour n'a pas besoin de raisons, et Emmanuel Mouret, à travers ses récits, nous dit aussi que c'est celui qui aime qui a raison, ce qui fait que ça se complique toujours !
Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait est un film merveilleux, mais je ne dirais pas qu'il est "une sorte d'apogée" dans son questionnement : il en est une nouvelle et très belle variation, avec peut-être davantage de mélancolie et de joie entrelacées.
Les influences
Plus qu'ils ne l'influencent, je dirais que Guitry, Lubitsch, Truffaut, Becker et Rohmer sont les cinéastes auprès desquels Emmanuel Mouret puise sa vitalité, sa fantaisie, sa beauté. Mais son cinéma, parce qu'il est si singulier, ne leur ressemble pas ! "Marivaux des temps modernes" ? Je ne crois pas... D'abord parce qu'Emmanuel Mouret est un cinéaste ! Même s'il y a évidemment une gaieté et une singularité d'esprit, notamment à travers la mise en scène de la parole aussi pleine de vivacité et d'intelligence que dans une pièce de Marivaux.
Ce "côté l'air de rien" de son cinéma vient d'un goût pour la légèreté, mais au sens où, pour le cinéaste, il y a une élégance à ne pas être grave, même si on peut être meurtri ou blessé par celui qui, par exemple, nous quitte ou nous trompe, ou par l'impossibilité à être avec celui qu'on aime. C'est aussi la légèreté qui laisse la place à davantage de possibles.
Pour Emmanuel Mouret, "faire des films, c'est jouer sérieusement" et cette légèreté n'empêche pas la profondeur, bien au contraire ! Le spectateur ressort avec plus de questions que de réponses, et il s'interroge en prenant du plaisir.
L'art de la direction d'acteurs
Emmanuel Mouret, plus que diriger les acteurs, dit "se diriger lui-même" et adapter le rôle au comédien, à sa "couleur". Il y a peu d'improvisation, les acteurs restent au plus près du texte. Et c'est souvent la mise en scène de la parole qui découvre des visages comme si c'était la première fois qu'on les voyait.
L'amour du film choral vient d'un goût pour le récit, et l'enchâssement des récits. Le désir pour quelqu'un peut venir du récit qu'il nous fait de quelque-chose ; c'est d'ailleurs ce qui arrive dans Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait. Un récit peut en construire un autre !
Ses personnages se définissent par leurs désirs, jamais par leur psychologie. Ils cherchent des réponses rationnelles et morales à des questions qui ne le sont pas, d'où souvent leur côté fantaisiste. Mais ils sont toujours bienveillants, dans une forme de tolérance et de compréhension : jamais ils ne sont dans le jugement. Aussi, ils prennent sur eux, ils ne sont pas dans le ressentiment ou la plainte et donnent à voir la beauté, même derrière la légèreté.