ROCKS : quand Sarah Gavron prend le pouls de l'adolescence

Quatre ans après "Les Suffragettes", Sarah Gavron signe son retour avec "Rocks", un coming-of-age touchant, en salles le 9 septembre. Elle y brosse le portrait d'une jeune londonienne de 15 ans qui, suite à l'abandon de sa mère, protège son frère et organise sa vie avec l'aide de ses meilleures amies. Pour le Journal des Femmes, la cinéaste britannique revient sur trois aspects de ce film naturaliste.

ROCKS : quand Sarah Gavron prend le pouls de l'adolescence
© Anthony Harvey/REX/SIPA

L'adolescence (malgré tout) joyeuse

Rocks, mon héroïne, semble forte de l'extérieur mais elle est tout aussi vulnérable. J'aime l'amour qu'elle porte à son frère, sa résilience, sa sensibilité. En tant que société, nous avons le devoir de protéger les jeunes et les institutions qui veillent sur eux afin que leurs rêves ne soient pas déçus. Les enfants avec lesquels j'ai travaillé m'ont surpris tous les jours par leur bravoure et leur intelligence. Ils comprennent le monde avec profondeur.  

L'histoire, en elle-même, émane d'une des co-scénaristes : Theresa Ikoko. D'origine nigériane, elle a grandi dans le quartier londonien de Hackney. Elle y évoque un peu son parcours puisqu'elle vient exactement du lieu où vit l'héroïne. Même si elle a connu des moments difficiles, qu'elle avait parfois l'impression de porter le poids du monde sur ses épaules, elle a aussi voulu raconter les moments de rire, de joie et témoigner de cette solidarité entre filles qu'elle a connue et que le film véhicule.

Theresa dit que Rocks est une lettre d'amour à sa grande sœur Tracy, qui l'a protégée et qui lui a permis de garder un peu son enfance. C'est la même relation qu'on retrouve entre Rocks et son petit frère.

Autour de Theresa et de Claire Wilson, on a fondé une vraie équipe créative pour mener à bien ce projet. J'ai beaucoup appris à leur contact, auprès des jeunes filles également qu'on a rencontrées dans le cadre d'ateliers de travail. J'étais témoin de leur vie, j'écoutais assidûment les discussions ; c'était une conversation ouverte sur ce qu'elles vivent et ressentent. Nous voulions vraiment évoquer l'histoire de jeunes filles à Londres, parler de leur communauté, leur quotidien, leur background et de la manière dont l'amitié est au centre de leur vie.

L'adolescence est fascinante car c'est une période de changement et de drame. On passe de l'enfance à l'âge adulte et cette transition libère beaucoup d'énergie. La manière de voir le monde est différente. Je ressens d'ailleurs ça quand je voyage dans un lieu nouveau. Toutes les premières fois rappellent l'adolescence. Elles sont gravées en nous.

Des actrices avant le scénario

Avec les scénaristes, on voulait vraiment que les filles soient au cœur de l'histoire. Celles que nous immortalisons sont partout : dans nos salles de classe, dans nos bus, etc. Et pourtant, elles ne sont pas assez représentées au cinéma. On est allés à leur rencontre dans les écoles, dans la rue et avons monté des ateliers de travail au cours desquels une véritable relation s'est établie.

Les filles qu'on voit à l'écran viennent de ces ateliers qu'elles ont suivis scrupuleusement. La plupart d'entre elles n'aurait jamais pensé pouvoir jouer. Ce n'était pas dans leurs prérogatives, ni dans celles de leurs familles. Mais elles se sont révélées talentueuses et impressionnantes au fil des mois. J'ai assisté à des classes, j'étais assise derrière elles et je les observais pour voir leur comportement, leurs interactions avec leurs amis. Elles étaient vivantes et pleines de personnalités.

C'est ainsi qu'on a pu construire notre histoire. Ces jeunes filles ont beaucoup nourri le récit. Elles ont très clairement contribué au scénario. D'ailleurs, on les a trouvées avant le processus d'écriture, ce qui n'est pas commun. En général, on ne fait pas les films comme ça (rires). J'aime autant bosser avec les acteurs non-professionnels qu'avec les pros. La seule différence ici, c'est qu'on a fait des efforts pour les mettre à l'aise. On a par exemple tourné chronologiquement. Les scénaristes étaient souvent sur le plateau pour les aider au quotidien à ne pas perdre le fil, à ajuster les répliques selon les situations. On leur donnait les dialogues la veille pour le lendemain. Elles avaient toute la liberté nécessaire. Notre chef-op Hélène Louvart, qui est Française, a participé à cette dynamique de spontanéité ; on a tourné avec deux caméras pour ne pas faire de trop longues prises.

Theresa Ikoko, Claire Wilson et moi-même connaissions vraiment bien ces filles. Entre nous, il y avait de la confiance : on était leurs grandes sœurs et elles nos petites sœurs. Nous composions une famille. Elles ont aussi alimenté les personnages de leurs vies, sur de petits détails. Culturellement, c'était un enrichissement permanent. Au total, la phase de casting a duré un an donc vous imaginez que les gamines sont restées amies.

Sarah Gavron et Bukky Bakray sur le tournage de "Rocks". © Haut et Court

Bukky Bakray était super impliquée dès le début. Theresa voulait qu'elle soit au centre de l'histoire : elle est drôle, chaleureuse… On a exploré d'autres options mais elle a naturellement pris cette place dans l'échiquier. Elle était présente à tous les ateliers. Elle a montré sa vulnérabilité, sa force aussi, et elle nous a convaincues qu'elle tiendrait le rôle principal.

La tradition du film social européen : un cinéma réaliste

Le mot liberté était notre leitmotiv. Réaliser, c'est d'une certaine manière être dans le contrôle. Ici, nous voulions au contraire qu'il y ait un lâcher-prise permanent et de la part de tout le monde. On s'écoutait beaucoup, la voix de chacun était entendue. Nous étions dans l'échange constant, en flux tendu. Si les actrices avaient des questions, elles les posaient. On y répondait du mieux que possible. Nous étions tous connectés créativement et humainement à ce projet, à cette histoire racontée.

Nous avons opté pour des décors réels, dans les vrais lieux. Je voulais à cet effet qu'on ressente la réalité du quotidien de ces filles. On a tourné dans des maisons, des marchés, des rues de Hackney. Cela permettait aussi aux actrices d'oublier qu'elles étaient dans un film et d'être toujours plus naturelles. Beaucoup de personnes qu'on peut apercevoir dans le film apparaissent dans leur propre environnement, comme de vrais professeurs par exemple.

Encore une fois, j'ai mis en scène chronologiquement pour faciliter la tâche aux actrices et ça nous permettait aussi de nous ajuster. Ça nous a aidés dans le storytelling. Je voulais qu'elles restent dans le présent, raison pour laquelle, encore une fois, je leur donnais les dialogues la veille pour le lendemain. Pour ne pas anticiper le futur, pour rester dans une forme de présent, pour maintenir le bon pouls.

Etre dans le moment était mon envie principale.  C'est un projet qui a été très stimulant d'un point de vue créatif ; les jeunes ont été très impliqués. On devait aussi s'adapter aux horaires légaux pour tourner avec eux. Ce n'était pas un plateau très contrôlé (rires)… C'était très bruyant, comme une salle de classe. Il y avait clairement du challenge, mais du bon challenge. En tout, le tournage a duré 7 semaines, ce qui n'est pas long du tout.

Côté références, je leur ai montré beaucoup de films français comme Divines, Mustang, Bande de filles… Les films de Shane Meadows aussi, d'Andrea Arnold qui sait si bien diriger des non-professionnels, de Ken Loach, de Horace Ové… Beaucoup de longs-métrage où le groupe forme un personnage à part entière. Avec Rocks, on était en tout cas dans cette tradition du film social européen.

"Rocks // VOST"