Cécile de France : " J'ai besoin d'être en harmonie avec les arbres et les saisons"

Dans "Un Monde plus Grand", en salles le 30 octobre, Cécile de France incarne Corine Sombrun, la première femme à avoir induit la transe par la seule volonté. Un rôle passionnant qu'elle campe avec émotion et puissance. Rencontre.

Quelques mois après l'excellente comédie "Rebelles", Cécile de France revient dans un registre diamétralement opposé : celui du drame initiatique. Dans "Un Monde Plus Grand" de Fabienne Berthaud, la comédienne donne vie au parcours de Corine Sombrun, une femme qui, après avoir perdu l'amour de sa vie, a découvert des dons de chamane lors d'un voyage en Mongolie. Elle est devenue la première personne à induire l'état de transe par la seule volonté. Touchante et habitée, de France livre pour l'occasion une performance saisissante sur laquelle elle revient pour le Journal des Femmes.  

Avant de tourner dans Un Monde plus Grand, vous y connaissiez-vous en chamanisme ?
Cécile de France :
Non, je n'y connaissais rien et je n'avais pas d'avis préconçu sur le sujet. J'espère être quelqu'un d'ouvert d'esprit. Pour Au-Delà de Clint Eastwood, je m'étais pas mal documentée sur les expériences au seuil de la mort puisque mon personnage en vivait une. Ce sont des sujets passionnants : tout ce que la science n'explique pas, tout ce que notre société ultra analytique essaye toujours de décortiquer… A titre personnel, je trouve que les choses qui ne s'expliquent pas font aussi du bien à nos mentalités de cartésiens.  

Êtes-vous plutôt cartésienne ?
Cécile de France :
Non, je sollicite davantage l'hémisphère droit de mon cerveau, qui est le siège de la créativité, de l'intuition, de l'imaginaire. Et c'est celui qui nous permet aussi d'être en empathie avec les êtres vivants, de traduire et de saisir le langage émotionnel des autres. Quand on est comédien, on sollicite souvent ces capacités-là.

A la base, croyez-vous au chamanisme ?
Cécile de France :
Ce n'est pas une question d'y croire ou pas puisque ce n'est pas une religion. Quand on m'a proposé le projet, j'ai d'abord été attirée par le portrait de femme, le voyage intérieur, le parcours initiatique, cette évolution du personnage. Lequel part d'une grande souffrance –celui du deuil– et cherche à entrer en contact avec l'esprit de son amour disparu. Elle va grandir et trouver qui elle est vraiment. En tant qu'actrice, j'avais vraiment le désir d'incarner cette véritable héroïne. En plus, avec Fabienne Berthaud, on ne peut pas tricher, car son instinct et sa sensibilité sont puissants. Elle ne veut pas que ce soit joué, il n'y a pas de place pour la fabrication. Cette exigence m'a fait apprendre des choses sur moi et sur mon métier. Ça a été une expérience positive philosophiquement, artistiquement et humainement.  

Vous avez collaboré avec des acteurs amateurs. J'imagine que ça participe dans cette entreprise de lâcher-prise…
Cécile de France :
Oui ! En tant qu'acteurs, on se donne beaucoup de mal à être au plus proche d'une vérité alors qu'eux n'ont rien à faire puisqu'ils sont eux-mêmes. Ils ne jouent pas. On a toujours à apprendre des non-acteurs, à cueillir cette vérité insaisissable qu'il est difficile de créer et de transmettre. Ça vous aide à vous immerger dans l'histoire, ça vous aspire à l'intérieur et vous permet d'oublier tout ce qui vous rattache à votre vie.

Vous avez filmé en Mongolie, dans une région extrêmement reculée…
Cécile de France :
C'est une chance incroyable. Adolescente, j'ai vu le film Urga de Nikita Mikhalkov et, depuis, je rêvais de visiter ce pays. En tant que touriste, je n'aurais jamais eu l'occasion de vivre pendant un mois avec les Tsataans, qui composent l'un des derniers peuples nomades de Sibérie. Ce fut une occasion unique de les observer, de partager leur mode de vie, de voir comment faire quand on est en interdépendance avec la nature. Nous, on a perdu cette connexion. On doit réapprendre cette gratitude, ce respect et cette attitude qu'ils ont vis-à-vis de leur environnement naturel.

"Mon métier est une transe, un abandon"

Avez-vous ce lien avec la nature ?
Cécile de France :
Oui, je pense que c'est pour ça que je n'habite pas en ville. Au quotidien, j'ai besoin d'être en harmonie avec les saisons, avec les arbres de mon jardin. C'est inspirant. Tout ça est lié au bien-être, cette nécessité de se reconnecter. On fait partie d'un grand tout.

Avez-vous vécu, parallèlement à celui de votre personnage, un voyage intérieur ?
Cécile de France :
Ce que j'ai vécu, je ne le dirai pas aux journalistes (sourire). C'est intime. C'est quelque chose d'organique lié à des événements du passé.

Il paraît que vous avez vécu une transe pour préparer le film…
Cécile de France :
Oui, plusieurs même. Corine Sombrun a fabriqué une boucle sonore qu'elle a expérimentée avec plein de gens, des scientifiques, des étudiants etc… Et la transe a fonctionné sur 90% des personnes. Moi inclus.

Qu'avez-vous ressenti ?
Cécile de France :
J'étais totalement consciente, contrairement à des séances de transe où on peut être amenés à prendre des drogues… J'avais totalement conscience de ce que je faisais et j'avais un besoin de le faire. Il y a souvent un mouvement irrépressible des mains. On traverse diverses émotions. Physiquement, c'est comme un marathon qui nous recharge et nous réinitialise. Des sensations de bien-être apparaissent après. C'est à croire qu'on a procédé à un nettoyage, comme si quelque chose était sorti de nous, que notre corps avait besoin de s'exprimer. Au cinéma, on modifie d'ailleurs d'une certaine manière son état de conscience.

Jouer serait donc une transe ?
Cécile de France :
Oui, tout à fait. Corine me l'avait dit. Elle m'avait expliqué que si un acteur joue par exemple une pièce de théâtre alors qu'il est malade, il ne sentira pas la maladie. C'est, de fait, un état de conscience modifiée.

Etes-vous aussi jusqu'au-boutiste que Corine dans cette volonté d'accéder à un ailleurs, à une zone de reconnexion avec les êtres disparus ?
Cécile de France :
Quand on en revient à notre société bétonnée et rationnelle, c'est difficile de scanner le mystère, l'impalpable… Cette partie de notre cerveau ne s'ouvre pas. On est conditionnés pour ne pas solliciter ces qualités. On n'est pas en connexion avec les esprits de la nature, le vol d'un oiseau, le son amical d'un arbre… Tous ces signes qui, pour les Mongols, sont un langage quotidien. Pour revenir à votre question, j'aurais plutôt tendance à laisser les esprits des défunts dans leur dimension, tranquilles, en gardant les pieds bien ancrés sur terre…   

Qu'est-ce qui vous met en transe dans la vie ?
Cécile de France :
Mon métier. C'est un abandon.

"Un monde plus grand // VM"