Geena Davis : "Thelma et Louise a changé ma vie et permis aux femmes de s'identifier"

Bien qu'absente du grand écran depuis quelques années, la comédienne Geena Davis défend corps et âme la représentation de la femme au cinéma. En atteste le documentaire "Tout peut Changer" qu'elle a produit et qui a été programmé au Festival de Deauville, où un hommage lui a été rendu.

Geena Davis : "Thelma et Louise a changé ma vie et permis aux femmes de s'identifier"
© Merritt/Radarpics for/REX/Shutterstock/SIPA

Icône de la fin des années 80 et du début des années 90, avec des succès comme La Mouche de David Cronenberg, Beetlejuice de Tim Burton ou Thelma et Louise de Ridley Scott, Geena Davis, 63 ans, a été honorée en 2019 cette année au Festival du Cinéma Américain de Deauville pour l'ensemble de sa carrière.
Outre ses rôles emblématiques, la comédienne, également productrice, oeuvre depuis 2004, via sa fondation (Geena Davis Institute on Gender in Media), pour une meilleure représentation des femmes au sein de l'industrie cinématographique. Et ce, devant comme derrière l'écran. En témoigne le documentaire Tout peut changer de Tom Donahue, en salles le 8 janvier 2020, dans lequel elle prend la parole aux côtés de nombreuses actrices (Meryl Streep, Natalie Portman, Taraji P. Henson, Cate Blanchett...) pour changer durablement les consciences. Nous l'avons rencontrée, souriante, affable et plus conquérante que jamais.

Etes-vous féministe avant d'être actrice ?
Geena Davis :
Ce que je peux vous dire, c'est que j'ai décidé d'être actrice à l'âge de trois ans. et j'en ai fait part à mon entourage (sourire). A 10-12 ans, mes parents étaient abonnés au magazine Reader's Digest. Je le lisais souvent. Un jour, je suis tombée sur un article intitulé Le féminisme détruit le monde. Je me suis dit : "Je n'ai jamais entendu ce mot avant, mais je ne veux pas faire partie de ce mouvement." Les féministes détruisent le monde, vous imaginez ça ? (rires)

Qui vous a fait comprendre qu'être féministe, ce n'était pas grave ?
Geena Davis :
Après l'école, j'ai été confrontée à des situations de la vie, à plein de petites choses qui me l'ont fait comprendre. J'étais particulièrement intéressée par l'empowerment des femmes. Très vite, j'ai commencé à me revendiquer féministe. Et ce, ouvertement. A la sortie d'Une Equipe hors du Commun, en 1992, tous ceux qui m'interviewaient me demandaient, à un moment ou à un autre : "Est-ce que c'est un film féministe ?" Et je répondais : "Oui !" Ils s'en étonnaient : "Quoi ?! Ça l'est vraiment ?" Et moi : "Bah oui, évidemment." Ça parle tout de même de la création d'une ligue de base-ball féminine avec des femmes qui font des choses cool. Ils enchaînaient avec : "Attendez… Vous êtes féministe ?" Je le leur confirmais et ils relançaient, hagards : "Est-ce qu'on peut le dire ?" Dites-vous qu'on était au début des années 90. Voilà comment était perçu le féminisme.

"J'ai commencé à me battre très tôt."

Avez-vous constaté les disparités entre les hommes et les femmes dès vos débuts au cinéma ? 
Geena Davis :
J'avais conscience de certaines choses oui… Quand j'ai débuté, c'était le moment exact où Meryl Streep, Sally Field ou Jessica Lange avaient tous les ans un gros film pour lequel elles étaient nommées aux Oscars. Moi je me disais : "Oh, quelle belle époque pour être une actrice ! J'ai hâte que ça m'arrive aussi !". Au fil du temps, j'ai cru à chaque fois que les choses évolueraient drastiquement. Quand Thelma et Louise est sorti, on s'est tous dit qu'il changerait définitivement la donne. Une dizaine d'années plus tard, rien n'avait changé. 

Geena Davis à l'inauguration de sa cabine au Festival de Deauville. © Jacques BENAROCH/SIPA

Thelma et Louise reste quand même un symbole. C'est important d'en avoir dans un tel combat, non ?
Geena Davis :
Je suis d'accord avec vous. Les symboles peuvent revêtir une grande importance. Les réactions des gens étaient folle. Quand on me croisait dans la rue, ce n'était pas la même chose que pour Beetlejuice (rires). Là, les femmes étaient extrêmement passionnées dans leurs mots. C'était prononcé. Ma vie a complètement changé avec ce film. Alors oui, il n'a pas fait bouger les chiffres mais, comme vous le dites, il est clairement symbolique.

Ce documentaire -Tout peut changer- prouve que vous aviez des années d'avance sur les mouvements #MeToo et Time's up
Geena Davis :
J'ai en tout cas commencé à me battre très tôt. En faisant Thelma et Louise, j'ai réalisé ô combien on court-circuitait profondément les femmes en leur proposant si peu de personnages féminins forts auxquels s'identifier. La meilleure chose face à un film, c'est de s'identifier aux héros et aux héroïnes. Les hommes y ont quasi systématiquement droit. C'est beaucoup plus rare pour une femme. Thelma et Louise l'a permis. C'est resté en moi et ça a eu un impact retentissant. Ça a d'ailleurs changé ma manière de choisir mes rôles. Je me demandais toujours ce que les femmes allaient penser du personnage que je choisirais… 

Est-ce pour ça qu'on vous voit moins au cinéma ? Ou plutôt parce que votre fondation vous prend du temps ?
Geena Davis :
J'ai toujours été très difficile quand vient le moment de choisir mes rôles. C'est pourquoi je n'ai pas fait autant de films que je le pouvais. Et, malheureusement, plus on vieillit, moins on a d'options.

"La confiance en eux des garçons augmente en regardant les divertissements tandis que l'estime des filles diminue"

Avec votre fondation, vous travaillez au chiffrage. Vous menez des enquêtes détaillées pour illustrer, de manière imparable, les inégalités hommes-femmes que vous dénoncez….
Geena Davis :
Quand j'ai réalisé qu'il y avait moins de personnages animés féminins que masculins, ça m'a bousculée. Ce déséquilibre est fou. Je me suis dit : "Que faire face à ça ? On est quand même au 21e siècle !" Je le disais à tout le monde : des amis, des producteurs, des acteurs, etc… On me répondait que je me trompais, que les choses avaient changé. Du coup, j'ai décidé de récolter les chiffres pour qu'on me croit ! La confiance en eux des garçons augmente en regardant les divertissements tandis que l'estime des filles diminue.

Ce film aurait pu être fait avant l'affaire Weinstein et les mouvements qui ont suivi. Pourquoi ne l'avez-vous pas sorti plus tôt ?
Geena Davis :
Tom Donahue, le réalisateur, a en réalité commencé les interviews un ou deux ans avant l'affaire Weinstein. Il avait d'ailleurs des difficultés à faire parler les gens de tout ça, face caméra. Avec l'affaire Weinstein, les langues se sont subitement déliées. On a eu tout le monde ! De très nombreuses actrices s'expriment dans ce film. 

Comment expliquez-vous qu'une femme puisse élire un président qui dit : "Tiens-les par la chatte !" ?
Geena Davis :
Je. Ne. Sais. Pas. (elle détache chaque mot, incrédule) Je l'ignore ! Je ne comprends pas, honnêtement. Plein de femmes ont voté pour lui, surtout les Républicaines… A ce moment, tout le monde croyait qu'il était cuit, même ses alliés. On pensait qu'il était fichu. Et il s'en est relevé. On se bat contre un système corrompu. Il faut que les femmes aient la même importance que les hommes dans tous les domaines.

Disney mise sur des héroïnes fortes et conquérantes comme Mulan, Pocahontas ou Rebelle…
Geena Davis :
Disney, ce sont les premiers que je suis allée voir quand j'ai mené mon enquête chiffrée sur la question de la représentativité des femmes. Face aux résultats, ils étaient horrifiés à l'idée qu'ils auraient pu être plus positifs pour les enfants. Tout le monde y a répondu favorablement. Là, ils ont annoncé que 40% de leurs films à venir seront réalisés par des femmes. Le combat continue...