Alain Raoust nous invite à une renaissance solaire avec RÊVES DE JEUNESSE

En salles le 31 juillet, "Rêves de Jeunesse" est un très joli réveil à la jeunesse porté par la grâce et la beauté de Salomé Richard. Alain Raoust, son talentueux réalisateur, s'est confié à nous. Rencontre.

Alain Raoust nous invite à une renaissance solaire avec RÊVES DE JEUNESSE
© Shellac Distribution

Présenté en mai dernier en ouverture de l'ACID au Festival de Cannes, Rêves de Jeunesse marque le retour d'Alain Raoust, à qui l'on doit L'Eté Indien, La Cage et La Vie Sauve. Le cinéaste, natif de Nice, y dresse le portrait attachant, solaire et sensoriel de Salomé (incarnée par l'excellente Salomé Richard), une jeune héroïne qui décroche un job d'été dans la déchetterie d'un village et qui, au contact d'une galerie de personnages secondaires fantastiquement paumés, va s'ouvrir au monde et retrouver le goût d'une douce fureur. Une très belle oeuvre, singulière et aboutie, sur laquelle l'intéressé revient pour le Journal des Femmes.  

Salomé Richard et Yoann Zimmer dans "Rêves de Jeunesse". © Shellac Distribution

Qui est Salomé ? Comment la percevez-vous ?
Alain Raoust :
Salomé est chaque spectateur.trice qui voudrait bien se projeter, s'identifier, se joindre, se nouer, faire avec, s'emballer, se fondre, compléter les manques. Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. Un générique bien connu le disait. Quel est ce désir ? On pourrait dire un violent désir de bonheur…

De quelle manière les personnages secondaires qui vont l'entourer influent-ils sur elle ? Quel rôle jouent-ils dans son propre cheminement psychologique ?
Alain Raoust :
Probablement disent-ils le manque. C'est par le manque qu'on dit les choses. Le manque d'amour dit l'amour, le manque de politique dit le politique. Ils sont des satellites. Des satellites de chair, de mots, d'idées, de rêveries. Ils composent, par strates, le choix définitif de Salomé. Ils sont de ces rencontres qui donnent force, courage et lucidité pour choisir une autre manière de vivre.

Il y a une véritable révolte, une colère chez eux. Un feu sacré aussi. Que cristallisent-ils ?
Alain Raoust :
Ils cristallisent, je l'espère, la vie. "La vie qui tient à la vie", comme le dit si bien Marielle Macé dans son formidable livre, Nos Cabanes. Livre qui résonne d'une manière incroyable avec Rêves De Jeunesse.

Comment en êtes-vous venu à choisir Salomé Richard pour le rôle principal ?
Alain Raoust :
Salomé Richard, c'est une rencontre à travers un très beau premier film : Baden-Baden de Rachel Lang. Elle est fragile, émouvante, palpitante, tenace, franche. Un personnage conduit à un autre, plus nuancé, plus mutique, en observation, à l'écoute. Salomé, le personnage, c'est peut-être -aussi- un documentaire sur Salomé Richard l'actrice…

"Mon travail est de faire confiance à mes intuitions."

De quelle façon avez-vous construit son personnage ? Comment l'avez-vous dirigée ?
Alain Raoust :
C'est le fruit d'une collaboration avec Cécile Vargaftig, coscénariste du film. Un personnage de cinéma, je pense, doit être construit à plusieurs. J'aime l'idée qu'il y ait du féminin et du masculin dans sa construction. Reste à savoir qui a équilibré ce dosage... Autrement dit, ici, le féminin a peut-être était proposé par l'auteur, le masculin par la coscénariste. Que reste-il alors de ce dosage quand une actrice, un acteur s'empare du rôle ? C'est une troisième lecture, une troisième collaboration, qui peut renverser à nouveau les choses. C'est passionnant.

Elle est presque de tous les plans. Quelles difficultés cela implique ?
Alain Raoust :
Aucune. Du bonheur. De la joie et du plaisir. Tout autant partagé par ma merveilleuse chef opératrice, Lucie Baudinaud, qui filmait. A vrai dire, c'est plutôt une question qu'il faudrait poser à Salomé Richard. Etre au centre d'un film est effectivement un travail de toutes les secondes, sur le plateau comme en dehors. C'est une discipline. Pour ma part, mon travail est de faire confiance à mes intuitions. Il n'y a aucune approche théorique sur le sujet. Si je sens que quelque chose correspond à ce que je cherche, je creuse. Inversement, je tente de comprendre ce qui peut faire blocage. Et puis tout cela se joue à plusieurs. Un acteur, une actrice, ça sait, ça sent, ça a une capacité inouïe d'être là où il faut être. De proposer. Au final, c'est souvent une question de dosage : le ton de la voix, une histoire de registre, une pause dans un déplacement, un regard plus ou moins marqué. C'est aussi une alchimie avec les autres acteurs.trices. Et cela s'invente en casting, lors des premières rencontres. Estelle Meyer et Salomé Richard, en casting, c'est déjà une grande partie du film. Un grand contraste. Tout est déjà là !

Salomé Richard et Estelle Meyer dans "Rêves de Jeunesse". © Shellac Distribution

Il y a presque un côté western avec ce paysage chaud et ce décor…
Alain Raoust :
Une déchetterie, c'est extraordinaire. C'est un endroit très romanesque. On vient y jeter des objets de sa vie, de la vie des autres -parents, grand-parents décédés… On vient se débarrasser de choses parfois aussi délicates que des jouets d'enfants, des livres, des disques. On y retrouve toutes les classes de la société, tous les âges aussi comme dans le film avec Jacques Bonnaffé. Etrangement, en province, c'est aussi un lieu où les gens se croisent, discutent, échangent, prennent des nouvelles des uns et des autres. Bref, c'est un lieu idéal pour saisir des vies, des destins, cartographier une société. J'aimerais beaucoup faire une série sur ce lieu. Avis aux producteurs. Je suis prêt !

Assumez-vous la portée politique du film ou n'est-ce qu'une métaphore inconsciente ?
Alain Raoust :
J'assume. Mais attention, parfois le politique s'invite malgré soit. Il se propage du monde vers le film. Il fait sens sans qu'on le cherche. Nous avons tourné ce film en septembre 2018. Aucun gilet jaune en vue par exemple. Seulement, peut-être, il y a le sentiment que quelque chose gronde dans notre société. Plus largement qu'une partie de la jeunesse cherche des alternatives de vie : les ZAD, le collectif Catastrophe, le Comite invisible, dont ,d'une certaine manière, je me suis nourri.

Au-delà du beau portrait de femme que vous exécutez, et de ces personnages qui s'accrochent comme à un radeau de la méduse, que vouliez-vous véhiculer de plus précieux ici ?
Alain Raoust :
Merci pour le beau portrait de femme. Il y a, je crois, dans mes films précédents cette même ambition. Je ne sais pas bien répondre à la deuxième partie de votre question. Je veux dire, ce n'est plus à moi de le formuler, ce n'est plus le temps. Maintenant, c'est le temps des spectateurs, chacun y verra son " précieux ". Par exemple, un jeune critique, Erwan Desbois, a écrit ceci après la projection cannoise, et je trouve cela merveilleux : "Salomé, Jess et quelques autres brindilles qui refusent d'être broyées et brisées plus longtemps trouveront dans l'épilogue bienveillant de Rêves de Jeunesse un échappatoire, une ZAD miniature ou plutôt une ZAR, zone à rêver. Une utopie, mais c'est à ce niveau qu'il faut se hisser pour lutter contre les dogmes cyniques actuels qui nous usent jusqu'à la corde". Je crois qu'il est exactement à l'endroit que j'espérais.