Jean Dujardin : "Je ne me suis pas toujours voulu du bien"

Dans "Le Daim" de Quentin Dupieux, en salles le 19 juin, Jean Dujardin campe un homme qui se paye une veste avec laquelle il prépare un plan. Une trip de l'absurde, qui embrasse le genre, et dans laquelle le comédien émerveille par son pouvoir comique... Confidences au Journal des Femmes.

Jean Dujardin : "Je ne me suis pas toujours voulu du bien"
© Bertrand NOEL/SIPA

En France, c'est l'un des meilleurs ambassadeurs de l'absurde, qu'il a érigé en art sous les traits de Hubert Bonisseur de la Bath dans la saga OSS 117. Quelle fut pas notre joie de voir Jean Dujardin au casting d'un autre dingue de cinéma, qui a serti la marge et les héros farfelus dans de superbes écrins : Quentin Dupieux. Après Au Poste, Rubber ou Réalité, le cinéaste propose dans Le Daim à Jean Dujardin un rôle sur mesure : celui de Georges, 44 ans, un homme dont on ne connaît ni le background, ni les intentions futures, si ce n'est son amour démesuré pour une veste en daim qu'il a achetée à prix d'or. Voyage au coeur des névroses, cet opus a eu un effet cathartique pour son acteur. Entretien avec un type bien.

Vous dites que Quentin Dupieux est un cinéaste qui fait du bien à l'humanité. Quelle est sa vertu ?
Jean Dujardin :
 C'est justement d'avoir le recul nécessaire pour rester lui-même, sans se laisser emporter par les fluctuations alentour ou s'enfoncer dans la pensée unique. Avec lui, tout est à remettre en question avec humour. Et ce, sans jamais être définitif.

Jean Dujardin dans "Le Daim". © Diaphana Distribution

On pourrait presque penser que son cinéma défie l'uniformisation du monde…
Jean Dujardin : 
Oui, c'est vrai, vous avez raison. Quentin est un homme qui a beaucoup d'enfance en lui et qui veut que ce lien persiste pour pas être bloqué dans un monde d'adultes pas toujours amusant. Son cinéma est de l'ordre de la sensation. Il fait confiance à son instinct et à son plaisir. Il est même conscient qu'il s'est engouffré dans une niche cinématographique de laquelle il tente ici de sortir.

Il considère justement Le Daim comme son premier film réaliste…
Jean Dujardin : 
Oui. Avant, il faisait des films de fou. Là, il en fait un sur un fou (rires). Vous ne pouvez même pas imaginer à quel point, pendant le tournage, je ressentais ce réalisme. On me dit que je suis déguisé mais, au contraire, je crois que c'est le film où je suis le plus nu, plongé dans un univers totalement ouaté. Au coeur de la montage, avec une lumière blanche, à donner dans des moments barrés que, normalement, on ne filme même pas. J'ai retrouvé toute cette arythmie que j'adore dans la comédie, qui me fait rire. D'ailleurs, quand on jouait trop le film sur la comédie, on s'ennuyait. Il nous fallait revenir au creux, au vide, au flottement. Des espaces que le spectateur remplit à sa manière. Le Daim ne prémâche rien. Quentin pousse les gens à faire l'effort. C'est intéressant car c'est là qu'il fait du bien. Les silences font entendre les névroses et la comédie est souvent placée là.

Avez-vous appris quelque chose sur la comédie du coup ?
Jean Dujardin : 
Disons que je fonctionne déjà comme ça. Sur OSS, on travaille beaucoup par le vide, en réaction aux choses. Je balance une bombe et on voit ce qui se passe. On attend. Dans la vie, c'est ce qui me plait mais ce n'est pas ce qu'on nous vend dans les comédies. Il y a un rire habitué que je déteste parce qu'il nait d'une situation convenue, et qu'il implique des personnages transportables d'un film à l'autre. Quentin ne fait pas le malin, il rit d'autres choses. On ne sent pas sa caméra, il n'y a pas de frime. Et pourtant, il trouve toujours le bon axe à chaque scène.

N'était-ce pas trop compliqué de construire votre personnage en ayant si peu d'information sur lui ?
Jean Dujardin : 
Non car ça serait intellectualiser George, et c'est ce qu'il n'aime pas. Avec Quentin, encore une fois, on est dans le sensoriel. Demain, si vous jouez Georges, vous aurez votre version. Et elle sera sûrement profonde car on est tous potentiellement névrosés, sur la ligne de crête, prêts à partir, à s'enfuir. On est tous un peu en fuite de quelque chose, en cavale. On a tous ce fantasme-là, de péter les plombs, de mettre une tarte à la gueule de son directeur, de son patron, de n'importe qui…, de s'exclure socialement. Tous les acteurs ont envie de traverser ça. J'aime être très normal et jouer des trucs très anormaux. Par ailleurs, je ne voulais pas être dans le numéro d'acteur. Je donne simplement de mes névroses… L'idée était avant tout de s'intéresser à un mec que personne ne filmerait habituellement.

Et qui participe à la célébration de l'absurde, dont Quentin Dupieux est un étendard…
Jean Dujardin : 
C'est son endroit, oui. Il est nourri d'un cinéma de l'absurde. Tous les deux, on s'est retrouvé sur les absurdités de la vie, sur les mots lâchés, sur les moments suspendus…

"Je ne m'attache pas aux objets. J'ai réglé ça très vite car un jour on peut tout emporter."

Que dit Georges sur le monde dans lequel on vit ?
Jean Dujardin : 
Je suis content déjà qu'il existe dans un film, au cinéma. Je ne suis évidemment pas Georges mais je le comprends dans mes moments à moi, dans ces instant où je parle seul. J'ai pu humaniser mes tourments… Je ne me suis pas toujours voulu du bien : ça s'appelle des doutes, des crises d'angoisse… Quand on en est conscient, soit on plonge, soit on guérit avec l'aide d'un second degré salvateur. C'est une bonne manière de se débarrasser de cet autre polluant qui est en nous et à qui on demande de nous foutre la paix. 

Jean Dujardin et Adèle Haenel dans "Le Daim". © Diaphana Distribution

C'était donc curatif ?
Cathartique même ! C'est la plus belle nouvelle que Quentin soit venu me proposer cette aventure que j'avais envie de traverser depuis des années.  

On dit souvent qu'un homme seul n'a rien à perdre et qu'il faut avoir peur de lui. Souscrivez-vous à ce constat ?
Je suis vachement d'accord ! C'est ce qui me terrorise le plus ! Un loup solitaire est bien plus flippant qu'une bande, même si l'hystérie collective peut être dangereuse. Mais la folie ordinaire d'un mec au feu rouge par exemple, c'est terrorisant. 

Avez-vous gardé la veste de Georges ? Et l'expérience du tournage l'a-t-elle sacralisée ?
Jean Dujardin : 
Carrément ! Je ne la regarde plus de la même manière. Elle n'est plus ringarde. Dans notre esprit, Quentin et moi, elle est devenue très graphique et stylisée. Elle est actuellement à la prod. J'aurais voulu la garder mais j'ai la doublure avec moi. Elle est lourde et courte. Je comprends qu'on ait envie de péter un plomb avec elle, avec ce côté nature, trappeur, wild. Elle a le cuir dur, c'est très fantasmant.

Y a-t-il un vêtement auquel vous tenez comme ça dans la vie ?
Jean Dujardin : 
Je ne m'attache pas aux objets. J'ai réglé ça très vite car un jour on peut tout emporter. Il y a certes des choses que je garde, comme un petit cuir de mon père des années 60 qu'il portait pour aller danser. Je l'ai fait réparer par valeur purement affective.