Julie Gayet : "J'ai pleuré devant Bambi, adoré voir Baloo danser..."

Pour son édition 2019, le Festival International du Film d'Animation d'Annecy a choisi une présidente du jury de choix : Julie Gayet. Entretien avec une comédienne et productrice cinéphile et engagée.

Julie Gayet : "J'ai pleuré devant Bambi, adoré voir Baloo danser..."
© HAEDRICH JEAN-MARC/LAURENT VU/SIPA

A Annecy, Julie Gayet nous accueille avec un sourire tout aussi rayonnant que le soleil qui illumine le lac, juste là, à porter de regard. L'actrice et productrice, à la tête de sa société Rouge International, a toujours suivi avec intérêt le  prestigieux et incontournable Festival du Film d'Animation. Sûrement parce qu'elle porte, depuis sa plus tendre enfance, une passion immense pour ce genre. C'est donc avec joie et entrain qu'elle en préside le jury de ce cru 2019, riche de belles surprises et de fééries en tous genres. Rencontre.

Qu'est-ce qui vous a motivé pour endosser le rôle de présidente du jury à Annecy ?
Julie Gayet : Ça faisait longtemps que j'avais envie d'être là. J'aime l'animation depuis toujours. Je suis de cette génération biberonnée aux séries télévisées comme Goldorak, Albator, Candy… Je suis tombée là-dedans comme ça. Vous savez, avec des oeuvres telles que Kirikou et la Sorcière, Les Triplettes de Belleville, Persepolis…, l'animation représente un des fleurons de notre industrie. Mais, malheureusement, les Français ne s'en rendent pas assez compte. Souvent, ils ne le savent même pas. Pourtant, les 5 meilleures écoles d'animation du monde sont en France, à commencer par les Gobelins. On a cette expertise qui fait qu'on est dans le trio de tête avec les Etats-Unis et le Japon. Il faut célébrer ces films et aller les voir en salles. J'adore justement l'expérience collective que ça implique : c'est pour ça que j'aime le cinéma, pour rire et pleurer ensemble.

L'an dernier, vous avez distribué le film d'animation chinois Have a Nice Day de Liu Jian, présenté ici. A quand la production ? 
Julie Gayet : L'animation est un monde qu'il faut bien connaître pour passer à la production. Il est primordial d'être attentif aux talents, de scruter ce qui se fait, d'observer… Pour l'instant, on n'avait personne en interne pour ça. Ça va peut-être changer (sourire). En production, on a juste travaillé sur le documentaire Le Procès de Mandela et les autres de Nicolas Champeaux et Gilles Porte où il y a une partie animée. Il faut savoir que l'animation coûte cher. J'essaye, depuis toujours, de trouver le bon axe pour m'y engouffrer. L'idée, pour l'heure, est de distribuer en attendant de co-produire. 

"Je viens de la génération BD."

Cette année, le Festival de Cannes a par exemple mis à l'honneur l'animation à travers des oeuvres telles que La Fameuse Invasion des Ours de Sicile, J'ai tué Mon Corps ou Les Hirondelles de Kaboul, trois films que l'on retrouve à Annecy. Quel regard portez-vous sur ce plébiscite ?  
Julie Gayet : C'est génial ! L'animation devrait avoir encore plus d'importance, à l'instar du documentaire. A ce propos, je ne comprends pas pourquoi le documentaire et l'animation sont hors compétition au Festival de Cannes. C'était super que Mondovino soit sélectionné en 2004. J'en profite pour dire que L'Oeil d'Or (prix du documentaire décerné chaque année au Festival de Cannes et créé en 2015 par la Société civile des auteurs multimédia, ndlr) devrait être remis pendant la cérémonie officielle, comme la Caméra d'Or. Il faut le dire à Thierry Frémaux.    

Quel a été votre premier souvenir d'animation ?
Julie Gayet : Mon premier choc a été Le Roi et l'Oiseau. Ça me faisait peur et ça m'intriguait en même temps. J'ai beaucoup pleuré devant Bambi. En tant que fan des comédies musicales, façon West Side Story ou Grease, j'aimais également les dessins animés chantants. J'ai cette image qui me vient de Baloo qui danse dans Le Livre de la Jungle. J'adore Fantasia aussi, qui est un petit chef-d'oeuvre. L'autre déflagration a été l'arrivée de l'animation japonaise avec Le Tombeau des Lucioles et plus récemment Le Voyage de Chihiro… La première chose que j'ai faite en allant au Japon, c'est d'aller visiter le musée Ghibli. (rires)

Qu'aimez vous dans l'animation qu'on ne trouve pas dans le cinéma live ?
Julie Gayet : L'expression visuelle du dessin, un incroyable côté plastique… Je viens de la génération BD, celle qui vient après Tintin… On aime sûrement les séries pour ça d'ailleurs, pour l'attente du prochain épisode, du prochain opus… J'aime aussi l'abstraction que ça engendre, cette faculté de nous plonger instantanément dans un nouveau monde… 

Quels sont les films qu'il faut à tout prix montrer aux enfants ?
Julie Gayet : Au risque de me répéter, Kirikou et la Sorcière parce que ça parle avec poésie des raisons qui poussent les gens à être méchants. Et puis visuellement, c'est sublime : ça a été un enchantement pour mes enfants et moi. Je dirais ensuite Princesse Mononoké sur la question de la nature et de l'environnement. Et enfin Vice Versa, qui est formidable. 

"Il y a seulement 25% de réalisatrices de longs-métrages en France."

L'enfant qui sommeille en vous prend-il de la place ?
Julie Gayet : Elle est toujours là oui (rires). J'ai toujours eu un goût prononcé pour la BD. La BD m'a construite, comme la littérature et le cinéma. (Réflexion) Je pense à une anecdote là, d'un coup. Mon fils, qui adore lire, a voulu voir Hunger Games au cinéma, car il avait dévoré tous les bouquins de la saga. En sortant de la projection, il a lâché la chose la plus jolie du monde : " Elle est moins jolie que dans le livre ". Comme quoi, le pouvoir de l'imaginaire…

Vous combattez ardemment pour les droits des femmes, dans le cinéma et ailleurs. D'où vient cette envie de justice et d'équité ?
Julie Gayet : En 2012, j'ai eu envie de faire un documentaire sur ces questions autour de la place de la femme au cinéma. J'ai interviewé des réalisatrices françaises. Petite précision : je ne suis pas réalisatrice, contrairement à la brillante Julie Delpy avec qui on me confond souvent (rires). Je suis comédienne et productrice et ce documentaire était un prétexte pour parler à des gens que j'admire. J'ai remarqué que quand un projet n'est pas cher, il y a des femmes. Et dès que c'est coûteux, il n'y en a plus. Il y a seulement 25% de réalisatrices de longs-métrages en France. Et ce chiffre tombe à 12% dans l'animation. Aux Etats-Unis, on retrouve surtout les femmes dans le cinéma d'art et essai. Quand on passe dans les studios, elles ne sont que 3%. Il y a une espèce de plafond de verre, comme si elles ne pouvaient pas assumer un gros budget. Ce n'est pas forcément les garçons qui empêchent les filles. Parfois, ces dernières ne s'autorisent pas, ou pas assez. Il faut dire et redire que les choses sont possibles le plus tôt : au collège, au lycée… Il y a des préjugés qui ont en effet infusé de manière imperceptible, une pression sociale selon les pays. Je pense par exemple à l'Allemagne, où la femme doit s'occuper de son enfant les cinq premières années de sa vie. Il n'y a pas de crèche. J'ai fait tout récemment un film, qui passera en septembre sur Ciné+ avant son passage par Angoulême, où je pose ce type de questions à l'international, en Afrique, aux Etats-Unis… : je suis tombée des nues… Avec Me Too, Balance ton Porc, etc…, un mouvement s'est en tout cas mis en marche. 

Il parait que vous suivez la coupe du monde de football féminin de près…
Julie Gayet : Oui ! A ce propos, j'ai produit un documentaire sur le foot féminin. A la base, tout le monde me disait : "Qui ça intéresse ?" Je suis heureuse de voir que le premier match de l'Equipe de France féminine de football a réuni 10 millions de spectateurs !