L'AUTRE CONTINENT : Romain Cogitore nous fait visiter ses thématiques

Avec "L'Autre Continent", son second long-métrage en salles le 5 juin, le cinéaste alsacien Romain Cogitore, 34 ans, explore l'amour et le langage à travers les destins de deux personnages émouvants, impeccablement campés par Déborah François et Paul Hamy. Focus.

L'AUTRE CONTINENT : Romain Cogitore nous fait visiter ses thématiques
© Sophie Dulac Distribution

Et de deux ! Huit ans après Nos Résistances, premier film dans lequel il dirigeait François Civil dans un récit d'amour et de perte d'innocence en temps de guerre, Romain Cogitore revient très inspiré avec L'Autre Continent. Pour l'occasion, il met en scène avec sensibilité le duo Déborah François et Paul Hamy. Ce passionné d'écriture, de photographie, de théâtre et de composition musicale y raconte plus précisément la déchirante relation entre la pétulante Maria, 30 ans, et l'introverti et polyglotte Olivier. De leur rencontre à Taïwan aux tourments qui les malmènent, Cogitore en extrait surtout deux passionnantes thématiques : le langage comme catalyseur mémoriel et l'amour comme somme de contraires. Pour le Journal des Femmes, il commente trois aspects de son travail.

L'amour matriciel
"J'ai voulu raconter l'amour comme mélange des contraires : fort et fragile, chaud et froid, immense et ténu, terrible et drôle. La lourdeur du mélo vient souvent d'une simplification, où on cherche à nous faire rêver d'un amour qui ne serait qu'un seul extrême - et d'ailleurs la tristesse des 'films cyniques' vient exactement de l'endroit opposé. Pour ma part, j'ai sans cesse cherché à passer d'une échelle à l'autre, d'un régime à l'autre, pour dessiner les contours de ce que pourrait être un amour du 21e siècle. Cinématographiquement, ça se traduit par des alternances de styles : une caméra à l'épaule, 'humaine', à laquelle répondent des images microscopiques ou des plans aériens extrêmement larges. En termes de montage également, on va passer d'un temps présent détaillé, à des ellipses énormes - un peu à la façon de nos souvenirs intimes. Avec les acteurs et l'équipe, nous avons travaillé en amont du tournage au contraste du couple, d'une façon très théorique, presque mathématique. Dans la façon pour chacun de parler, de bouger, mais aussi sur leurs couleurs de cheveux, qu'on a travaillées complètement à l'opposé de leurs couleurs naturelles. Tout ça était vraiment de l'ordre du pari… C'est au moment de leur première scène face à la caméra que j'ai eu un vrai choc : il s'agissait de leur scène finale dans le film, qui est très intense, et ils s'y sont tous les deux jetés à corps perdu, au point que j'ai eu peur physiquement pour eux. L'alchimie était immédiate, j'ai ressenti un frisson physique de joie et d'excitation à la fin de cette première prise. C'est d'ailleurs cette prise qui est montée dans le film."

Le pouvoir de la langue 
"On dit souvent que les femmes et les hommes ne parlent pas la même langue, je ne sais pas si c'est vrai, mais en tout cas, dans les stades d'apprentissage, des différences notables ont été remarquées. Ça demeure une des questions essentielles de notre humanité : en amour, comment se parler ? Le film joue avec cette question. Au début de l'intrigue, Maria et Olivier ont du mal à se comprendre, puis ils en viennent à parler une langue qui n'appartient qu'à eux - mélange de français, néerlandais et chinois. Ce qui me fascine dans le langage, c'est sa puissance, et l'ampleur du territoire qu'il englobe dans ses filets : on pense avec des mots, on se met à la place de l'Autre grâce à des mots, on entre en guerre ou en union sur une parole, etc. Le langage est l'art d'extérioriser ce qui sinon n'appartiendrait qu'à l'individu, qu'à l'unité. On peut se souvenir d'une odeur, d'une image, d'une sensation, mais dès qu'il est question du moindre événement, il nous faut des mots pour le formuler, et donc pour s'en souvenir. D'ailleurs plus on raconte quelque chose, plus on s'en souvient."

En terre étrangère
"Dès le titre, en effet, il est question de l'Autre. Et dans l'Autre, il y a toujours une part d'incompréhensible, d'inexplicable. Pour le meilleur comme pour le pire. Tourner en Asie permet de se placer sur cette terre de l'incompréhensible, pour nous Européens. Ça donne aussi aux personnages une liberté immense. Ils se retrouvent sans attaches, plongés dans un nouveau monde, où tout semble possible. Et cinématographiquement, cette île chaude et colorée participe beaucoup à la romance de leur rencontre. Pour autant, en tant que société, le film n'oppose pas tant que ça l'Asie et l'Europe : chacun se débat avec l'inexplicable, que ce soit à un niveau religieux ou à un niveau médical. La médecine traditionnelle chinoise côtoie la médecine occidentale, sans qu'aucune parvienne à fournir une explication à toute cette aventure."

"L'AUTRE CONTINENT // VF"