Les Frères Dardenne nous livrent les secrets du JEUNE AHMED

Après "Rosetta" et "L'enfant", les frères Dardenne sont en lice pour une troisième Palme d'or avec "Le jeune Ahmed", le récit glaçant d'un adolescent radicalisé. Rencontre avec deux habitués cannois.

Les Frères Dardenne nous livrent les secrets du JEUNE AHMED
© Philippe Doignon/SIPA

Ils font partie des neufs cinéastes –avec Bille August, Francis Ford Coppola, Michael Haneke, Shōhei Imamura, Emir Kusturica, Ken Loach et Alf Sjöberg– à avoir remporté deux fois la Palme d'or. Et pourtant, ce succès et cette reconnaissance n'ont rien entaché à leur simplicité légendaire et à leur gentillesse. Les frères Dardenne, véritables institutions cannoises, sont en compétition cette année pour leur nouveau long-métrage, Le jeune Ahmed. Ils y dressent le portrait d'un adolescent de 13 ans, radicalisé, que personne ne parvient à arrêter dans son chemin obscur. Nous avons rencontré les deux cinéastes qui sont revenus, pour le Journal des Femmes, sur quelques facettes de ce projet.

La genèse 

Luc Dardenne : "Ce film est né du contexte dans lequel nous vivons tous, de ces atroces attaques qui ont eu lieu dernièrement. Il y a eu Merah à Toulouse, le musée Juif de Bruxelles, Charlie Hebdo, le Bataclan, Nice, le métro et l'aéroport de Bruxelles… On se sentait encerclés et attristés par tous ces morts. On s'est dit qu'il fallait qu'on arrive à faire un film sur ça, à voir ce qui se passe avec notre caméra, à comprendre ce qu'est un fanatique religieux. On ne voulait pas que le traitement soit romanesque ou obscène. On a pensé à un adolescent radicalisé dans le rôle principal et à la façon dont on pouvait le déverrouiller, le sortir du fanatisme."

Le personnage

Jean-Pierre Dardenne :"Il était primordial qu'on reste accrochés à lui, qu'on l'aime et qu'on croit qu'on puisse le sauver. Ce qui peut nous lier à ce personnage, c'est son jeune âge. On voulait aussi que la vie soit présente autour de lui, qu'on ne l'enferme pas dans des stéréotypes."

Luc Dardenne : "On n'a aucune prise sur ce gamin, on ne peut pas le comprendre et c'est ça qui fait peur. On voit que son entourage essaye de l'approcher mais il échappe à tous, sauf à son imam. En fanatique qu'il est, il pense faire le bien à ceux à qui il s'adresse. Pour lui, il ne commet pas de mal s'il tue ou insulte. Il est persuadé qu'il est dans le bien et que les autres sont dans le mal. C'est un gamin seul et triste. En écrivant ce personnage, on était vraiment perdus. Il y a beaucoup de silence autour de lui, ce qui permet au public de communiquer avec son intériorité." 

"Le jeune Ahmed"

Maîtriser le sujet

Jean-Pierre Dardenne : "On a toujours vu le film comme une course vers quelque chose qu'on ne pouvait pas freiner. C'était l'image globale qu'on en avait. On a rencontré beaucoup de monde pour bien appréhender la religion musulmane. Le but était d'en comprendre le maximum sans pour autant devenir théologiens. Sur le tournage, on avait un ami consultant qui était là pour les rites, les prières, pour voir si les choses étaient précisément faites.
On essaie ici de ne pas être dans le décoratif ou le pittoresque. Les tentations et les risques étaient énormes. On s'est aussi dit que le film serait plus fort avec des comédiens non connus. Avec des têtes d'affiche populaires, la reconnaissance publique risquait d'être un obstacle entre ce qu'on essaye de raconter et le spectateur. Ainsi, ce dernier évite de s'inventer de faux enjeux dramatiques." 

Idir Ben Addi, le jeune Ahmed

Jean-Pierre Dardenne : "On en a rencontré une centaine de gamins avant de jeter notre dévolu sur Idir Ben Addi. On avait une inquiétude : est-ce que les parents vont accepter que leur fils joue un tel rôle ? Pas facile pour un père et une mère de voir leur fils sous les traits d'un terroriste. La famille peut aussi avoir peur des répercussions. (…) Idir a en tout cas vu ce rôle comme un amusement. Nous ne sommes pas certains qu'il soit conscient de la gravité de ce qu'il jouait (rires). Il mangeait tout le temps sur le plateau et s'y amusait. Il avait un vrai sens du rythme, c'est aussi pour ça qu'on l'a retenu. On a expliqué à ses parents le projet et ils ont été d'accord. On n'a pas eu à les convaincre. On leur a donné le scénario et on leur a raconté l'histoire." 

Le Jeune Ahmed de Luc et Jean-Pierre Dardenne, avec Idir Ben Addi, Claire Bodson, Olivier Bonnaud. En salles.