Gaspard Ulliel : "J'ai été saisi par le génie de Virginie Efira"

Dans "Sibyl" de Justine Triet, en salles le 24 mai et en compétition à Cannes, Gaspard Ulliel donne la réplique à un formidable trio de comédiennes : Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos et Sandra Huller. Rencontre avec un acteur brillant.

Gaspard Ulliel : "J'ai été saisi par le génie de Virginie Efira"
© Marechal Aurore/ABACA

Impeccable sous les traits d'un comédien écartelé entre l'actrice qu'il a mise enceinte (Adèle Exarchopoulos) et sa petite amie réalisatrice (Sandra Huller), Gaspard Ulliel trouve un rôle de grande qualité dans Sibyl de Justine Triet. Il devient ainsi le réceptacle, lors d'un tournage où il affronte les deux femmes de sa vie, auxquelles se greffe une psychothérapeute borderline (Virginie Efira), de toutes les névroses des héroïnes. Lesquelles ricochent de manière jouissive -pour les spectateurs- sur les siennes. A l'occasion du Festival de Cannes, où le film concourt en compétition, nous avons posé quelques questions psychanalytiques à l'intéressé.  

Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a immédiatement plu dans Sibyl ?
Gaspard Ulliel : J'avais déjà été séduit par les deux premières réalisations de Justine Triet. Le passage entre son premier et son deuxième long-métrage a été très bien négocié, ce qui n'est pas forcément facile. Dans La bataille de Solférino, il y avait ce côté foisonnant, ce pétillement, cette énergie folle et cette sincérité propres à elle. Dans Victoria, c'était plus maîtrisé, canalisé et ordonné, sans pour autant sacrifier le pep's et la densité. Je trouve qu'elle passe un cap avec Sibyl. Ce qui m'a séduit à lecture du scénario et que j'ai constaté en voyant le film, c'est qu'elle réussit à atteindre un véritable espace mental et à tutoyer une complexité et une richesse supérieures, avec notamment ce jeu de mise en abîme vertigineux. On pense forcément à Woody Allen, à Blake Edwards, à des œuvres comme Le Mépris, avec une interrogation au rapport au cinéma, à la vie, à l'amour…

"J'ai vécu le tournage comme un joyeux bordel !"

Justine Triet excelle dans le portrait de femmes…
Gaspard Ulliel : (il coupe) Tout à fait et c'est ce qui rend son cinéma aussi fort, important et moderne. Dans Sibyl, les femmes sont au centre de l'intrigue et les hommes, d'ordinaire moteurs des intrigues, sont à leur service. Je trouve ça super de remettre les choses à leur place. Les rôles masculins agissent en filigrane et, même s'ils ne sont pas sur le devant de la scène, ils revêtent une fonction importante. Ils sont soit objet soit sujet de la construction du personnage campé par Virginie Efira. Ce que j'aimais spécifiquement dans mon rôle, c'est qu'on ne ne sait jamais s'il est dans une manipulation ou s'il est lui même victime de ces femmes. Est-il maître de tout ça ? Ou subit-il ? Au final, on ignore ce qui l'anime, ce qui motive ses gestes…   

Le tournage devait être remuant, non ?
Gaspard Ulliel : Disons que j'ai vécu ça comme une forme de joyeux bordel, de chaos enlevé, ce qui n'était pas désagréable ou contraignant. Il y avait une force qui emmenait toute l'équipe vers une énergie fédératrice et stimulante. Sur le plateau, c'était très vif et entraînant. Nous étions maintenus en alerte, aux aguets. J'aimais le fait que ça parte dans des directions contradictoires. C'est la marque d'une cinéaste qui expérimente en permanence. Il y a chez elle un plaisir à opérer, une inclinaison à cette frénésie qui est de l'ordre de la recherche, comme si elle oeuvrait au coeur d'un laboratoire vivant.

Les plateaux de cinéma sont-ils aussi névrotiques que celui qu'on découvre dans le film ?
Gaspard Ulliel : Pour le coup, on n'en était pas loin là (rires). Les enjeux n'étaient certes pas aussi fatals mais, de manière superficielle, il y avait parfois quelque chose de cet ordre… Une énergie fertile, je dirais. Ce que Justine Triet questionne, c'est cette mise en abime entre la réalité, le plateau et l'idée que, même si on n'a rien à voir avec le milieu du cinéma, on est tous rattachés à nos propres fictions et narrations.

Jouer un rôle, est-ce parfois une forme d'auto-psychanalyse ?
Gaspard Ulliel : Oui… J'ai l'impression qu'avec chaque nouveau personnage, on se met à nu pour sonder plus profondément en nous. Notre outil premier, c'est notre vécu, nos traumatismes, nos névroses et nos frustration. On malaxe cette matière tout au long d'une carrière. Il existe ainsi un rapport psychanalytique presque inconscient avec tout ce qu'on a en nous.

Vous êtes en centre d'un incroyable trio de comédiennes : Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos et Sandra Huller. Comment avez-vous vécu cette collaboration ?
Gaspard Ulliel : C'était assez génial, je dois dire. Humainement, elles sont très agréables, faciles… Au quotidien, c'était d'une paix et d'une simplicité incroyables. J'ai été saisi par tout le génie de Virginie Efira, qui excelle. Elle a vraiment trouvé son identité d'actrice et fait ça comme personne. J'aime son mélange de burlesque, d'empêchement physique et psychologique… Justine et Virginie se sont bien trouvées. La seconde embrasse parfaitement cette forme de tragi-comédie propre à ce que veut la première. Bien qu'on soit dans quelque chose qui semble léger et drôle, ça regorge toujours de tensions. 

Justine a un regard parfois cruel sur ses personnages…
Gaspard Ulliel : Oui… Il y a ce plaisir un peu vicieux et sadique à les croquer. L'expression formelle de cette idée, c'est sûrement la scène où je prends des baffes d'Adèle. Justine m'avait promis de ne pas trop en faire. Au bout de la quatrième prise, je pensais que les gifles allaient s'arrêter. On en a fait 20 (rires)

Sybil de Justine Triet avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos Gaspard Ulliel. En salles le 24 mai 2019.