Sandrine Kiberlain : "La maternité a fait de moi une meilleure personne"

Sandrine Kiberlain est la pierre précieuse et angulaire de "Mon bébé", la nouvelle réalisation de Lisa Azuelos, en salles le 13 mars. Elle y incarne avec brio une maman poule dont elle se sent proche. Rencontre.

Sandrine Kiberlain : "La maternité a fait de moi une meilleure personne"
© JP PARIENTE/SIPA

Lisa Azuelos, à qui l'on doit notamment LOL et Comme t'y es belle, avait pensé à elle dès l'écriture du scénario de Mon bébé. Et on la comprend. Sandrine Kiberlain était en effet l'actrice idéale, par sa faculté à slalomer entre humour et émotion, pour prêter ses traits expressifs à la maman poule qui en est l'héroïne. Une femme attachante, ancrée dans son époque, et bien décidée à profiter des derniers moments avec son aînée avant que celle-ci quitte la maison pour faire ses études au Canada. La comédienne, nommée récemment au César de la Meilleure Actrice pour Pupille, se confie au Journal des Femmes sur une expérience à la résonance très intime.     

Après Pupille, vous voilà de nouveau au cœur de la maternité avec Mon bébé. En deux films, vous avez parcouru tout le spectre de cette thématique, non ?  
Sandrine Kiberlain :
(rires) Je pense qu'il reste beaucoup à dire sur le sujet. Les deux films sont assez éloignés. Dans Pupille, je fais le lien, en tant que travailleuse sociale, entre le moment où un enfant est abandonné à sa naissance et celui où il va être adopté. Dans Mon bébé, je suis une mère qui a un bébé… de 18 ans ! Mon personnage a nourri sa fille d'un amour inconditionnel, réciproque et fou, de ceux qui suffisent presque à combler une vie. Mais quand arrive le moment où son aînée doit quitter le nid familial, la peur l'étreint. (…) Je suis passionnée par les bébés et les enfants…

Passionnée ?
Sandrine Kiberlain :
Oui, c'est bien ça. On a tous été des bébés et des enfants. On vient de là et ça nous conditionne pour l'éternité. Le nourrisson qu'on a été est forcément en nous. Les enfants me passionnent car ils ont toujours raison. Ils détiennent la vérité. J'en n'ai jamais vu un avoir tort. Même quand il fait une connerie, je suis persuadée que c'est pour être remarqué, parce qu'il a un problème ou parce que ça raconte quelque chose de lui…

"Ma fille est l'enjeu premier de mon existence"

Sandrine Kiberlain dans Mon Bébé © Pathé

Cela veut-il dire que vous êtes davantage sensible aux rôles de mère ?
Sandrine Kiberlain :
Dans Les femmes du 6ème étage par exemple, on s'en fiche que j'en sois une. J'adore mon personnage de mère dans Mon bébé car la maternité est le sujet principalement abordé. La question posée est la suivante : qu'est-ce qu'une mère d'aujourd'hui face au départ imminent d'un enfant ?

Héloïse est une maman nucléaire, très collée à ses enfants. Etes-vous comme ça ?
Sandrine Kiberlain :
Un peu oui… Héloïse est en quelque sorte un mélange entre Lisa Azuelos et moi. Je vois cette héroïne comme un portrait un peu décentré, comme une variation sur moi. Je n'ai pas forcément inculqué à ma fille les mêmes limites et la même éducation. Mais je partage avec Héloïse la complicité qu'elle a avec sa fille. Comme elle, la mienne est ma priorité absolue. Je pourrai passer ma vie à l'écouter. C'est même ma passion. Je suis intéressée par tout ce qu'elle pense, dit ou vit, par ses doutes, ses craintes… Ma fille est l'enjeu premier de mon existence. En ça, je suis proche de Lisa Azuelos.

"Je voulais un enfant, mais je le voyais comme la prolongation de l'amour que j'avais pour l'homme que j'aimais"

C'est quoi être une bonne mère pour son enfant ?
Sandrine Kiberlain :
J'ai l'impression que le film est fait pour dire justement qu'on est toutes de bonnes mères, chacune à notre façon. Le mode d'emploi idéal n'existe pas. On passe notre vie à se demander ce qu'on aurait dû faire ou dire, comment on aurait dû réagir ici et là, toujours conditionnées par la peur de commettre des erreurs, de merder… Au final, on fait ce qu'on sent. L'idée, c'est tout simplement de les aimer et de les écouter…

Aviez-vous ces appréhensions-là ?
Sandrine Kiberlain :
Non, je n'ai jamais eu ça. J'ai rencontré un problème à la naissance de ma fille. J'ai perdu deux jours et eu l'impression de courir derrière ce retard. J'en culpabilisais. Je ne fais pas partie de ces mères qui se disent : "Oh la la, j'ai envie d'avoir un enfant !" Je savais que j'en voulais un. Mais je le voyais davantage comme la prolongation de l'amour que j'avais pour l'homme que j'aimais. Je n'avais pas l'idée de la mère que je serai. Je n'ai pas fantasmé là-dessus. Quand ma fille est arrivée, j'ai fait connaissance avec elle, vraiment, comme une personne que je désirais découvrir, à qui j'avais envie d'enseigner des choses et de qui j'allais apprendre. Je l'ai beaucoup regardée. Je me souviens, j'avais toujours les genoux relevés et je la mettais face à moi. On discutait comme ça dès sa naissance. J'ai dû la soûler (rires). Mais j'ai l'impression qu'elle comprenait. C'est la relation que j'ai préférée de ma vie.  

Sandrine Kiberlain dans Mon Bébé © Pathé

Héloïse filme tous les souvenirs anodins qu'elle peut recueillir avant le départ de sa fille. A-t-elle raison ?
Sandrine Kiberlain :
C'est en tout cas un film sur notre époque, celle où on filme et on photographie tout. On a toujours voulu retenir ce foutu temps qui passe. Mais, malheureusement, on n'a pas de prise sur lui. C'est la seule chose non maîtrisable. Le seul moyen de l'arrêter, c'est dans les films, avec les histoires qu'on raconte. Dans la vie, on peut toujours essayer de le figer par des photos sans jamais retrouver la force de l'instant. Héloïse filme des moments qui ont l'air inconséquents, comme quand sa fille fait ses tartines. Ce sont les petits gestes quotidiens, à l'instar des courses par exemple, qui nous manquent cruellement quand on ne les fait plus. Pour revenir à votre question, je ne filme pas beaucoup mais je photographie. Il y a des ambiances et des odeurs qui reviennent avec un cliché. C'est mieux que de ne rien avoir.

La maternité a-t-elle contribué à faire de vous une meilleure actrice ?
Sandrine Kiberlain :
Je dirai que ça a contribué à faire de moi une meilleure personne. Et sans doute une actrice différente. On n'aborde plus les choses de la même manière. On n'est pas centrée au même endroit, le cinéma n'est plus la priorité.

En psychologie, le mot fusion est souvent associé à une forme d'atrophie ? Etes-vous d'accord avec ce constat ?
Sandrine Kiberlain :
Complètement. Quand on laisse partir son enfant, c'est le moment où on l'aime le mieux, où on lui fait confiance. On le lâche en l'aimant. Il n'y a pas besoin d'être collés serrés et de se dire "Je t'aime" quinze fois par jour. Si on est capable de ressentir ce lien filial, on peut prendre une distance saine. En étant trop fusionnels, même en couple, on finit forcément par étouffer quelque chose.

Est-ce qu'une mère coupe vraiment le cordon dans sa vie ?
Sandrine Kiberlain :
Oui j'y crois. Il est coupé dès la naissance, c'est réel. Il faut le vivre. Il y a un autre lien, différent du cordon. C'est celui de la vie et de l'amour, et il durera toute la vie. Il faut savoir calmer et évacuer ses inquiétudes, bien qu'elles soient légitimes, pour ne pas étouffer les enfants. L'enfant part un jour mais reste notre bébé pour la vie. C'est quelque chose qu'il faut taire au risque de les agacer (rires). Vaut mieux un enfant qui part trop tôt que trop tard. On a en tout cas mieux réussi notre travail si l'enfant a envie de partir tôt. Ce n'est pas un abandon. Mais un envol.

"MON BÉBÉ // VF"