Handicap et cinéma : la révolution est en marche

Dans "Marche ou Crève", en salles depuis le 5 décembre 2018, la réalisatrice Margaux Bonhomme explore la thématique du handicap avec justesse. Si le sujet a longtemps été délaissé au cinéma, il est à l'honneur en 2018 avec les films "Touch me not", "Champions" ou encore "Chacun pour tous". Rétrospective.

Handicap et cinéma : la révolution est en marche
© Nour Films

"Pas de bras, pas de chocolat". La cultissime réplique d'Intouchables résonne encore. En 2011, plus de 19 millions de Français se pressaient dans les salles obscures pour découvrir la touchante rencontre entre Driss, banlieusard sorti récemment de prison (interprété par Omar Sy), et Philippe, riche tétraplégique (campé par François Cluzet). Ce film au succès foudroyant contribue à mettre la lumière sur le handicap physique et l'aborder avec humour. Un pari réussi pour les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Toledano.

De plus en plus, les cinéastes osent aborder ce sujet, longtemps resté tabou, dans leurs œuvres. C'est le cas avec Marche ou crève, sorti en salles obscures le 5 décembre 2018, dans lequel la réalisatrice Margaux Bonhomme nous transporte dans le quotidien ardu d'Elisa, qui prend en charge sa sœur Manon, handicapée mentale, interprétée par Jeanne Cohendy. Un rôle de composition pour la comédienne, époustouflante face à la caméra.  Le 7e art prend de moins en moins de pincettes pour aborder ce sujet et commence seulement à oser dépeindre la réalité, aussi dure soit elle. Cela n'a pas toujours été le cas...

Remontons dans le passé, direction la première moitié du XXIe siècle : en 1932, La Monstrueuse Parade de Tod Browning, en avance sur son temps, met en scène des personnages infirmes - jeune fille sans bras, "homme-tronc", nains - exhibés dans un cirque. Le réalisateur tend un miroir critique de la société du début du XXe siècle, qui marginalise encore largement les personnes invalides. Une idée audacieuse, pour l'époque.

Ce n'est que bien plus tard, en 1980, alors que les mentalités commencent doucement à évoluer, que l'on retrouve ce thème au cinéma. À l'époque, dans Elephant Man, David Lynch braque son projecteur sur le personnage de John Merrick - très largement inspiré par la réelle histoire de Joseph Merrick, jeune homme de 21 ans atteint du syndrome de Protée, maladie génétique qui lui cause des déformations corporelles, comme une tête proéminente.

Le handicap physique : parcours de combattants 

À partir des années 90, les cinéastes se montrent moins réticents à l'idée d'évoquer le sujet du handicap moteur sur grand écran. Ils délivrent des messages d'espoir et de résilience, comme dans My left foot, sorti en 1990, où l'on découvre l'histoire de Christy Brown, atteint de paralysie spasmodique. Il utilise son pied gauche, seule partie de son corps qu'il peut contrôler, pour peindre et écrire et parvient à faire de son handicap... une force. En 2012, dans De rouille et d'os, Marion Cotillard campe Stéphanie, dresseuse d'orques qui se fait amputer des deux jambes. Alors qu'elle perd espoir et tente même de se suicider, la jeune femme retrouve la rage de vivre au côté d'Ali, ex-boxeur et père célibataire. Plus récemment, dans Don't worry, he won't get far on foot, sorti en juin 2018 au cinéma, le réalisateur Gus Van Sant raconte l'histoire (vraie) de John Callahan, devenu tétraplégique à 21 ans, qui trouve son réconfort dans le dessin et devient dessinateur de bandes-dessinées. Dans un autre registre, Touch me not, sorti en octobre 2018, explore la thématique de la sexualité des personnes ayant une déficience physique, à travers le personnage de Christian, qui parvient à s'épanouir sexuellement avec son épouse, alors qu'il est atteint d'une grave atrophie musculaire.

Le handicap mental : odes à la tolérance

Comment oublier le cultissime Forrest Gump, porté par Tom Hanks ? Comme ce long-métrage de 1994, les films évoquant le handicap mental commencent à voir le jour à la fin du XXe siècle. En 1988, Dustin Hoffman campe Raymond Babbit, personnage qui souffre du syndrome du savant (une forme d'autisme). En 1997, Will Hunting nous plonge dans le quotidien de Will, atteint du syndrome d'Asperger, et en 2001, Sean Penn interprète Sam Dawson, père célibataire et autiste, dans Sam, je suis Sam. 

Après avoir exploré le thème du handicap invisible, tel que l'autisme, le 7e art s'intéresse désormais aux formes de déficiences mentales plus "flagrantes". Champions, long-métrage espagnol sorti en salles en juin 2018, parle d'estime de soi et de de persévérance, à travers l'histoire d'une équipe de basketball entièrement composée de personnes atteintes de déficience mentale ou neurologique. "Une des grandes injustices provoquées par l'ignorance est le mauvais traitement infligé à certaines personnes par peur de leur différence. Ce film donne des pistes pour savoir comment se comporter avec des gens différents", précise le réalisateur Javier Fesser. Le cinéaste explique avoir été marqué par l'affaire des Jeux Paralympiques de 2000, au cours desquels l'équipe de basket espagnole a été condamnée pour avoir fait jouer de "faux" handicapés mentaux. Un épisode historique dont s'est également inspiré Vianney Lebasque pour sa comédie Chacun pour tous, dévoilée au cinéma en octobre 2018.

La sensibilisation au handicap n'est pas l'apanage du cinéma. La télévision aussi éveille les conscience à travers ses productions. Le documentaire Laissez-moi Aimer, réalisé par Stéphanie Pillonca, qui sera diffusé sur Arte au printemps 2019, met en lumière le destin de trois amis handicapés, persuadés qu'ils n'ont pas le droit à l'amour et à la reconnaissance. Tout change lorsqu'ils découvrent la pratique de la danse. L'expression artistique leur ouvre de nouvelles perspectives et les aide à prendre conscience qu'eux aussi, ont le droit de croquer la vie à pleines dents. 

Marche ou crève s'inscrit dans la lignée de ces films qui sensibilisent les populations et osent braquer la lumière sur un sujet encore tabou... plus pour longtemps ?