Laetitia Dosch : "Ça me dérange qu'on me prenne pour la fofolle de service"

Depuis son rôle dans "Jeune Femme", Laetitia Dosch apporte sa fraîcheur au cinéma français. Dans "Nos Batailles", en salles, elle est la sœur enjouée et chaleureuse de Romain Duris, celle qui apporte un élan de gaieté à la famille abandonnée par la mère. Rencontre avec une actrice au talent lumineux.

Laetitia Dosch : "Ça me dérange qu'on me prenne pour la fofolle de service"
© Bertrand NOEL/SIPA

Nos Batailles est un drame familial, social. Du jour au lendemain, une mère décide de ne pas rentrer chez elle. Elle laisse son mari (Romain Duris) mener de front son boulot à l'usine et l'organisation de la vie avec leurs deux enfants. Sans parler de la difficulté de composer avec le bouleversement... Jusqu'à ce que sa sœur, comédienne déterminée à percer, débarque et entraîne ces cœurs meurtris dans un tourbillon de joie et quelques éclats de rire. C'est Laetitia Dosch, repérée dans Jeune Femme primé à Cannes, qui a été choisie par le réalisateur Guillaume Senez pour jouer Betty. Un rôle puissant pour cette comédienne intense. Rencontre.

Le Journal des Femmes : Par quoi avez-vous été séduite dans Nos Batailles ?
Laetitia Dosch : J'adore travailler avec Guillaume Senez (le réalisateur, NDLR). J'était aussi curieuse de composer avec Romain Duris, qui est là depuis des années et qui est super bon. La manière de travailler de Guillaume, proche de l'improvisation est vachement bien. Au cinéma, on est dans le décor, il y a des choses dans le tiroir, dans le réfrigérateur. Dans un film plus écrit, on peut utiliser certains éléments, mais là il fallait inventer un réel, on pouvait fouiller partout, se servir de tout. C'était vivant.

Comment ça s'est passé avec Romain Duris ?
On ne s'est pas parlé avant de commencer à tourner ensemble. Juste un bonjour le matin. Mais ça a marché tout de suite, il s'est passé un truc dans l'imaginaire. On avait envie de se provoquer, de s'embêter. On a joué ensemble, vraiment. Comme on se découvrait, on changeait sans arrêt de registre. C'était aussi simple avec les enfants. Il faut juste les aimer, leur montrer de l'attention pour qu'ils s'ouvrent. C'est comme ça qu'on crée du lien avec tout le monde.

Dans le film, vous représentez la joie de vivre, la légèreté...
Guillaume Senez a essayé de faire quelque chose à la Ken Loach : du social avec un souffle de fantaisie. Dans les familles de ces milieux-là, l'homme est assez taiseux pendant que la femme apporte la joie de vivre. C'est presque sa fonction. Les personnages féminins sont courageux dans le film : il y a celle qui part, celle qui s'investit dans le syndicalisme… Elles cherchent un sens à leur vie de manière assez radicale. Mon personnage, Betty est aussi vaillante. Ça ne doit pas être facile d'être une artiste dans un tel milieu. Sa famille a dû beaucoup souffrir de la voir galérer.

Comme elle, avez-vous connu ce genre de période ?
J'ai toujours travaillé. En revanche, je vois des filles qui étaient avec moi à l'école pour qui c'est plus difficile. C'est dur à assumer vis-à-vis de la famille. La vocation est belle, prendre du plaisir à faire ça, le vouloir malgré tout, y croire au-delà de la reconnaissance. Mes proches ne m'ont pas empêchée d'être comédienne, mais ils étaient inquiets et réticents. Ce qui est bien et mal, c'est que tous les métiers deviennent plus fragiles en ce moment. Acteur n'est plus qu'un job compliqué parmi les autres.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
Petite, le théâtre était le seul endroit où je pouvais m'exprimer. Je ne pensais pas que c'était possible d'être comédienne. Et puis, je suis tombée amoureuse d'un acteur vers 20 ans. C'est en le voyant que j'ai réalisé que je voulais aussi faire ce métier. Il m'a aidée, m'a entraînée à entrer dans une école. J'ai fait 7 ans d'études de théâtre. Je n'arrivais plus à m’arrêter, j'avais peur, mais c'était le temps dont j'avais besoin pour être "finie".

Vous réfléchissez au message derrière vos rôles, à l'image qu'ils renvoient ?
Oui et non et ça me pose pas mal de problèmes ! D'un coté, c'est important ce qu'une histoire raconte. De l'autre, c'est ce qu'on comprend de la nature humaine qui compte. Ça m'intéresserait de jouer des personnages très noirs, qui ne délivrent pas de message très positif. Un bon film n'est pas forcément un film moral, mais c'est un film dont on va extraire quelque chose de beau, moche ou même effrayant.

Qu'est-ce que Jeune Femme a changé pour vous ?
Juste après la Caméra d'or, peut-être à cause de la tenue que je portais sur scène à Cannes, on m'a proposé plein de rôles de filles libérées. J'ai refusé des personnages de musiciennes aux mœurs légères, ambiance cool Raoul. Là, on commence enfin à me projeter en des femmes qui ont un travail "valorisant", comme professeure de lettres ou assistante sociale… Dans la vie, je suis aussi cheffe de projet, je dirige neuf personnes. Ça me dérange un peu qu'on me prenne pour la fofolle de service alors que je bosse comme une folle. Ma singularité est devenue une prison. Tout le monde est singulier si on regarde bien, ce qui n'empêche personne d'avoir des postes à responsabilités. On caricature beaucoup.

Avez-vous besoin de la scène autant que du cinéma ?
J'écris et je joue des pièces de théâtre. Je viens de terminer Hate, un projet avec un cheval sur la condition féminine. J'ai besoin d'un endroit à moi, où je décide. Mais c'est aussi important d'être actrice pour d'autres, comme un objet. En tant que comédienne, on doit être belle, droite, on obéit. Malheureusement ou heureusement c'est aussi nécessaire pour moi. 

C'est ce qui fait votre équilibre ?
Je suis constamment à la recherche de mon équilibre. Là, c'était de m'enfermer 4 mois avec un cheval pour me sentir bien. C'était une année où j'avais du succès, j'ai eu besoin de m'isoler. En ce moment, ce qui me manque, c'est un endroit où m'ancrer.

Avez-vous peur que ça s’arrête ?
On sait que le succès est variable, instable, mais il est agréable. La première chose que je me suis dite, c'est "qu'est-ce que c'est que ce truc ?". Et puis, j'ai réalisé que c'était une chance. J'ai décidé de profiter de ces rencontres, de ces opportunités, pour savoir ce que je voulais vraiment et tendre vers ça.

Nos Batailles de Guillaume Senez. Avec Romain Duris, Laetitia Dosch et Laure Calamy. Au cinéma.