Gaspard Ulliel : "J'ai toujours eu besoin de me lancer dans le vide"

Gaspard Ulliel abat les cartes de la séduction et de la manipulation face à Isabelle Huppert dans "Eva", au cinéma le 7 mars 2018. Le comédien césarisé dévoile un jeu glaçant en auteur à succès menteur. Interview sans coup de bluff.

Gaspard Ulliel : "J'ai toujours eu besoin de me lancer dans le vide"
© EuropaCorp Distribution

Le Journal des Femmes : Bertrand, votre personnage, est manipulateur, sûr de lui, égoïste... Il y a un côté jouissif à jouer un vrai mauvais ?
Gaspard Ulliel : J'essaie d'éviter de juger les personnages que j'interprète. Je ne peux pas être dans ce genre de calcul. Je dois les accepter tels qu'ils sont, essayer de les défendre coûte que coûte. Bertrand est antipathique, c'est un vrai salop, un usurpateur, un imposteur, mais il me touche différemment.

Où avez-vous trouvé l'empathie chez lui ?
A plein d'endroits. Bertrand a un vrai complexe d'infériorité. Il vient d'une classe populaire. Sa vanité, son envie de réussite et sa revanche sociale l'animent. Pris à son propre piège, il va perdre pied. C'est la trajectoire classique du roman noir. Les personnages sont soumis à un destin irrévocable. Sa rencontre avec Eva va accélérer sa chute.

"La mise en danger est un moteur formidable"

Qu'est-ce qui le pousse vers cette femme ?
Le goût du risque. Il est pris au piège, confronté à son incapacité à écrire la pièce qu'on lui réclame depuis un certain temps. Il voit chez Eva une potentielle solution à son problème, une planche de salut, la matière première de son œuvre à venir. Il se dit que quelque chose chez cette femme va lui permettre d'inventer une histoire. On entre dans un jeu de manipulation, comme s'il la mettait en scène en vue d'en tirer son roman. On se demande qui tire les ficelles. Bertrand et Eva ont beaucoup de similitudes. Ils appartiennent à la même race.

Comme lui, êtes-vous du genre à jouer avec le feu ?
Oui, toutes proportions gardées. Dans mon parcours d'acteur, c'est devenu déterminant. Cette mise en danger est un moteur formidable. Dans la vie de tous les jours, je suis de nature assez prudente, mais j'ai toujours eu besoin de me lancer dans le vide. C'est ce qui me permet d'avancer.

Qu'est ce qui peut vous fasciner chez une femme ?
Le désir est inexplicable. On ne maîtrise pas tous les paramètres. C'est organique, indicible. Je n'ai pas envie de me l'expliquer à moi-même.

Qu'est-ce qu'une femme fatale à vos yeux ?
La femme fatale est vénéneuse, elle précipite le héros vers sa chute. Il y a un coté néfaste, presque funeste chez elle. C'est une rencontre qui va bouleverser l'existence de l'homme qui la rencontre.

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Dans une précédente interview, vous citiez Lars Von Trier : "Un film doit forcément laisser une marque, si ce n'est une blessure." Quelle marque ou blessure a laissé Eva chez vous ?
Je ne peux pas répondre de façon articulée, précise, c'est de l'ordre de l'inconscient. C'est impalpable. La somme de tous mes rôles constitue ce que je suis aujourd'hui. Il y a des tournages qui marquent moins. Là, c'est un rôle riche, complexe, ambigu, il m'a habité assez profondément.

Avez-vous du mal à vous détacher de vos rôles ?
Je ne vais pas prétendre que mes personnages reviennent dans mes rêves (sourire). Certains rôles me suivent plus longtemps que d'autres, mais ça se mesure en journées. De là à dire que je suis devenu schizophrène…

"Il ne faut pas essayer d'être dans le mimétisme"

Avez-vous été intimidé face à Isabelle Huppert ?
C'était plus stimulant qu'intimidant. J'ai aussi eu la chance de me retrouver face à Gérard Depardieu récemment. Ce sont des rencontres qu'on attend quand on est jeune acteur. J'étais content de retrouver Isabelle après un premier film ensemble il y a dix ans. Elle est fascinante à observer sur un plateau.

Vous essayez d'apprendre des autres pendant un tournage ?
Il ne faut pas essayer d'être dans le mimétisme. Parfois je regarde des films et je me dis que je devrais réutiliser certaines mimiques de l'acteur. C'est idiot. Isabelle Huppert et Gérard Depardieu ont un jeu irremplaçable. Isabelle a la capacité de passer d'un registre à l'autre de manière subtile et vive. Elle est à la fois dans un contrôle absolu et en total lâcher-prise. C'est la liberté absolue pour un acteur.

Eva, de Benoît Jacquot. Avec Gaspard Ulliel et Isabelle Huppert. Au cinéma le 7 mars 2018.