Nicolas Silhol, cinéaste du social

Avec "Corporate", Nicolas Silhol projette Céline Sallette en responsable des ressources humaines tiraillée après un suicide dans ses équipes. En guise de premier film, le réalisateur signe un intelligent thriller social en open-space, dont il nous a parlé en interview.

Nicolas Silhol, cinéaste du social
© Kazak Production

Nicolas Silhol ouvre les portes du cinéma par le biais d'une grande entreprise en crise avec Corporate, en salles le 5 avril. Quand Emilie Tesson-Hansen, émérite responsable des ressources humaines, fait face à un suicide dans ses équipes, son travail et son éthique sont remis en question. Une enquête s'ouvre. La "killeuse" doit sauver sa peau sans entacher la société. S'en suit un thriller psychologique porté par une Céline Sallette impressionnante.
Grâce à une réalisation haletante et un talent certain pour la mise-en-scène, le jeune premier délivre-là une œuvre juste et percutante, critique d'un management où l'humain n'a pas sa place.. Rencontre. 

Le Journal des Femmes : Comment est née l'idée de Corporate ?
Nicolas Silhol : Corporate est né de la rencontre de plusieurs paramètres. Il y a eu le terrain de l'intime, parce que mon père est consultant en ressources humaines et que je discute avec lui du management depuis longtemps. Il y a eu la découverte il y a 8 ans des conséquences dramatiques du management par la terreur chez France Telecom. Et il y a eu mon envie de raconter des histoires avec des références cinématographiques, l'envie de m'inscrire dans le polar social par un personnage en rupture avec un système.

Céline Sallette, Lambert Wilson, Stéphane De Groodt... Avoir des grands noms pour son premier film : challenge ou pression ?

"Céline Sallette était très sensible au sujet"

Il n'y a pas de pression quand les acteurs sont bienveillants et disponibles. Ils ont accepté de faire un premier film, c'était une vraie démarche de confiance envers moi. Avoir des acteurs d'horizons très différents, mais qui correspondent à leur rôle apporte du réalisme au film. Pour le DRH, qui est au sommet de la hiérarchie, c'était intéressant d'avoir quelqu'un de connu et reconnu comme Lambert Wilson. Dans le rôle de l'inspectrice du travail, c'était bien d'avoir une actrice qu'on n'a pas beaucoup vue au cinéma (Violaine Fumeau, ndlr). On y croit tout de suite. Stéphane De Groodt a un fort potentiel sympathie auprès du public. Il fonctionne en collègue bienveillant.

Qu'est-ce qui vous a séduit chez Céline Sallette ?
J'ai pensé très tôt à elle parce qu'elle m'a impressionné dans tous ses rôles. Elle est à la fois puissante et fragile. Mon désir est devenu un défi quand j'ai vu que les gens étaient surpris par mon choix. Elle n'était pas attendue dans ce rôle. C'est un personnage très loin d'elle, qui est si expressive, tout sauf corporate. Ensemble, on a construit quelque chose qu'elle n'avait pas déjà fait. C'était comme un champ d'exploration vierge. Céline était très sensible au sujet. Ca n'a pas toujours été évident de construire ce personnage antipathique, coupé de ses émotions. Elle avait envie de le ré-humaniser plus tôt qu'il ne le fallait.

Image tirée de "Corporate" © Claire Nicol

L'histoire aurait-elle été la même avec un personnage principal masculin ?
Pour moi ça a toujours été une femme et oui, l'histoire aurait été différente si ça avait été un homme. Emilie traverse un parcours de remise en question radical. Elle se retourne contre elle. Les femmes sont plus douées que les hommes pour effectuer ce genre de travail sur soi. Dans le film, les figures masculines incarnent le déni. C'était aussi l'occasion d'interroger sur la place des femmes dans le monde du travail.

Qu'avez-vous voulu démontrer ?

"A force de refouler l'humain, ça finit par exploser"

Au début du film, Emilie prend la place qu'on lui a laissé prendre. Elle est l'executive woman avec une vraie part de masculinité, qui s'est imposée dans un monde d'hommes en faisant part de virilité. Elle a montré qu'elle était capable de faire le sale boulot, qu'elle avait des couilles. A travers le jeu de miroir avec l'inspectrice du travail, tout aussi autoritaire, mais dont la féminité est plus spontanée, elle se reconnecte avec sa propre part de féminité. Ces deux femmes fortes se reconnaissent. Elles se sont imposées dans un milieu masculin grâce à leur tempérament. Ce point commun contribue à leur rapprochement.

La gentillesse et la douceur ont-elles leur place dans le monde de l'entreprise ?
J'espère, au même titre que le respect des individus. Emilie en donne peu à voir. Même à la fin de son parcours, elle reste assez dure. Avec l'inspectrice du travail, au-delà de leur différence, de ce qui les oppose, de leur fonction, elles se voient comme des personnes. Il y a du ressenti, des émotions. On ne peut pas totalement nier l'individu. A force de refouler l'humain, ça finit par exploser.

Corporate, de Nicolas Silhol. Avec Céline Sallette, Lambert Wilson et Stéphane de Groodt. Au cinéma le 5 avril 2017.

Voir aussi :