Carla Juri fait de sa vie une œuvre d'art

La comédienne Carla Juri prête ses traits à l'artiste peintre Paula Becker dans un film qui porte son nom, en salles le 1er mars 2017. Pétillante, rieuse et dans un charmant français, cette Suisse italienne nous a esquissé un portrait de celle qu'elle incarne avec fraîcheur. Rencontre.

Carla Juri fait de sa vie une œuvre d'art
© Pandora Film

"J'ai toujours aimé les marginaux. Ça tombe bien j'attire ce genre de personnages !", balance Carla Juri dans un rire guttural. Une expressive pour jouer une expressionniste. Dans Paula, la comédienne de 32 ans s'empare du pinceau pour devenir Paula Becker, première femme du mouvement d'Edvard Munch et de Van Gogh. La toile signée Christian Schwochow dépeint la vie de cette peintre oubliée de l'histoire. A une époque où les dames sont priées de s'occuper de la maison, l'Allemande s'est entêtée à vivre de sa passion, malgré les critiques, par-delà les désaveu. La comédienne de 32 ans l'incarne avec fougue, fraîcheur et sensibilité. Des qualités précieuses, qui commencent à faire du bruit à Hollywood, où elle donnera bientôt la réplique à Ryan Gosling et Harrison Ford dans Blade Runner 2049 et à Guy Pearce et Kit Harrington dans Brimstone. Avant que son talent explose au grand jour,

©  Happiness Distribution / Pyramide Distribution

Le Journal des Femmes : Le réalisateur a dû vous convaincre d'accepter le rôle. Pourquoi avoir hésité ?
Carla Juri : Parce que je n'étais pas sure qu'on puisse rendre justice à cette artiste. J'avais peur de ne pas avoir le même regard que lui sur le personnage. Je n'étais pas totalement convaincue par le scénario non plus. Je ne suis pas réalisateur, mais c'était important que je donne mon avis pour ce rôle. Puis on a parlé, confronté sa vision et la mienne et on a trouvé un accord.

Connaissiez-vous Paula Becker ?
Non, je ne suis pas allemande, mais suisse italienne. A l'école, on a plutôt appris Giacometti. Elle n'était pas dans le répertoire, mais que je l'ai découverte, j'ai trouvé sa vie passionnante en tant que première femme expressionniste. Elle et son mari ont écrit beaucoup de journaux. On a aussi retrouvé plein de correspondances à sa mère, son père, sa sœur. C'est rare d'avoir autant de matière pour travailler un rôle. Ça faisait beaucoup à digérer.

Comment avez-vous travaillé le rôle avec toutes ces informations ?
Je me suis dit que je devais faire de la peinture pour m'approcher d'elle de la manière la plus authentique. J'ai parlé avec des peintres pour comprendre le procédé quand on commence une toile. Ca veut dire quoi montrer son œuvre ? Quelle intimité y a-t-il là-dedans ? C'est comment d'avoir un atelier ? Ce lieu a toujours été mystifié. Alors j'ai observé un peintre et ça m'a beaucoup inspirée.

En quoi cela vous a-t-il aidée ?
J'ai cerné la finesse, les sentiments, la sensibilité. Quand je peignais, je m'oubliais. Je ne pensais plus à qui j'étais, mon nom, mon âge, que je suis une fille, de quelqu'un... Je n'étais plus rien. Ce sentiment libérateur est devenu une drogue.

"On connaît Camille Claudel, Paula Becker, Virginia Woolf, mais les autres ?"

S'oublier pour son art, c'est aussi le métier d'actrice...
Oui, mais c'est encore plus fort avec la peinture. Je pense que Paula ressentait la même chose. qu'elle était très attachée à la liberté d'être elle-même. Surtout que la société de l'époque n'était pas libre du tout, Ca devait être encore plus addictif. Elle voulait être peintre et c'était interdit pour une femme. on était à la maison, mère, on ne travaillait pas. Elle était seule dans ce désir d'autre chose. C'était la bataille de sa vie.

En quoi est-il important pour les femmes d'avoir des films comme Paula aujourd'hui ?
C'est important parce qu'il y a beaucoup d'histoires de femmes avec des histoires similaires, mais on ne les connaît pas. On connaît Camille Claudel, Paula Becker, Virginia Woolf, mais les autres ? On ne les met pas en avant.

Paula essayait-elle de se rebeller contre cet oubli par son art ?
Elle ne savait pas qu'elle était féministe et c'est ce qui est important dans son histoire. La rébellion est plus juste.

© Pandora Film

Elle est rejetée par ses pairs dans le film… Avez-vous déjà connu ça ?
Beaucoup avec mon dernier film, compris par 50% du public seulement... Pour les autres, c'était carton rouge (rire) ! Pour moi c'était plus drôle que ce soit incompris. Je n'ai jamais fait quoi que ce soit pour faire plaisir aux autres dans mon travail. Ne pas plaire, ce n'est jamais facile parce qu'on dépend de l'affection des autres, de leur reconnaissance. Sinon on fait le choix d'être seul, comme Paula. Ce détachement et cette solitude, c'est touchant.

"Paula était très seule, piégée"

Elle n'était pas si seule : son mari, son amant, ses amis étaient là pour elle, chacun à sa manière...
Oui, mais ils l'ont aussi bridée. Ils ne comprenaient pas sa peinture, lui disaient qu'elle ne vendrait pas. Elle a fini par leur cacher ses toiles. Otto était un homme moderne, qui essayait de la comprendre, mais qui ne communiquait pas. Sans relations intimes pendant 5 ans, j'imagine qu'elle s'est sentie rejetée et honteuse. Elle était très seule, piégée.

Vous êtes à l'affiche de la suite de Blade Runner, avec Ryan Gosling et Harrison Ford, réalisé par Denis Villeneuve. Ca fait quel effet ?
Je ne peux pas dire grand chose, mais c'était une très belle expérience. J'adore Denis Villenevue. je suis fan de son film Incendies. Pour moi, c'est un cinéaste européen dans sa manière de filmer.

Et pourtant, ça y est, vous êtes bien à Hollywood !
Oui, mais je ne l'ai pas ressenti. C'était très drôle d'ailleurs parce que comme il est québécois, son équipe est francophone. C'était un film très américain, mais seuls Harrison Ford et Ryan Gosling parlaient anglais. C'était comme un clash.

Paula, de Christian Schwochow, avec Carla Juri. Au cinéma le 1er mars 2017.

"Bande-annonce de Paula"