Emmanuelle Bercot : "Je raconte une histoire, sans message prémédité"

Le 68e Festival de Cannes s'est ouvert avec "La Tête haute", film intense, beau, émouvant d'Emmanuelle Bercot. A quelques heures de la montée des marches avec l'équipe du film, la réalisatrice nous a parlé Croisette, délinquance et cinéma, évidemment.

Après Elle s'en va, Emmanuelle Bercot signe un film brut, à fleur de peau : La Tête haute. Elle nous raconte le parcours chaotique de Malony, jeune délinquant mal aimé et trimballé entre foyers, éducateurs, tribunaux... Un drame social intelligent, portée par le novice Rod Paradot, la légende Catherine Deneuve, l'excellent Benoît Magimel et la très juste Sara Forestier.
Sous le soleil cannois et avant de monter les marches, la réalisatrice qui peut se targuer d'avoir fait l'ouverture de ce 68e édition du FIF nous a parlé du Festival, de ses acteurs et de son film. Interview croisette.

Emmanuelle Bercot à Cannes, le 13 mai © Sipa

Cannes, ses palmiers et ses Palmes, ça vous évoque quoi ?
Ça veut dire beaucoup. Mon premier film, Clément, a été sélectionné dans la catégorie Un Certain Regard, en 2001. C'est un peu ici que tout a commencé pour moi.

Etes-vous plus stressée à l'idée de faire l'ouverture avec La Tête haute, ou de monter les marches pour Mon Roi, dans lequel vous jouez ?
Je suis plus angoissée pour le film de Maïwenn, parce que je n'ai pas l'habitude d'être exposée en tant qu'actrice, d'être au centre de l'attention. Et puis il est en compétition, alors qu'il n'y a pas d'enjeu à faire l'ouverture. J'ai même hâte de vivre ce beau moment, de montrer le film à un public.

On doit vous le râbacher : vous êtes la deuxième femme à ouvrir le Festival de Cannes. Toutes ces réflexions sur les réalisatrices, ça vous inspire quoi ?
Pour moi, il n'y a pas de sujet. Mon film a été choisi pour ce qu'il est et c'est un honneur, peu importe qu'il soit réalisé par un homme ou une femme. C'est presque rabaissant de se focaliser sur le fait qu'une femme fasse l'ouverture.

Thierry Frémaux a dit que La Tête haute avait été choisi parce que c'est "un film qui dit des choses importantes sur la société d'aujourd'hui". C'est ce que vous vouliez qu'on retienne ?
Je n'avais pas du tout cette prétention-là. Je voulais raconter une histoire, sans message prémédité. Faire le film c'est une chose, prendre conscience de ce qu'il raconte, c'est finalement le rôle des spectateurs. Ce qu'a dit Thierry Frémeaux me fait plaisir, mais je n'ai pas conscience de ces choses-là quand je tourne.

Sara Forestier nous a confié que vous aviez écrit son personnage avec une photo d'elle sur le bureau. C'est aussi le cas pour les autres acteurs ?
Pour Catherine Deneuve, oui. Je voulais que ce soit elle, j'ai écrit en pensant à elle. L'idée de Benoît Magimel m'est venue après. J'avais envie de travailler avec lui depuis très longtemps. Je l'adore depuis ses débuts et c'était la première fois que j'avais un rôle à lui proposer. Il avait ces félures en lui, qui apporteraient une dimension très humaine au personnage de l'éducateur.

Il y a aussi le jeune Rod Paradot, que vous avez repéré en casting sauvage. Pourquoi lui ?
J'ai été accrochée pas son visage. Il a une vraie gueule de cinéma. J'ai aussi aimé l'authenticité de ses origines sociales, qu'on perçoit dans son langage, dans son phrasé, ses intonations. Rod a l'air très jeune et j'avais besoin du même acteur pour jouer Malony de 13 à 17 ans, mais il ne m'a pas convaincue tout de suite. Il était trop loin du personnage que j'avais écrit. J'avais d'énormes doutes sur sa capacité à sortir la violence nécessaire.

Comment dirige-t-on un débutant ?
C'est très compliqué. Généralement, quand on travaille avec un jeune acteur, on lui demande d'être lui-même face caméra. Là, je devais diriger quelqu'un qui ne sait pas jouer, j'ai dû tout lui apprendre. Ça m'a pris tellement d'énergie et de temps qu'à un moment, j'ai cru que je ne pouvais plus gérer le reste.

Pourquoi La Tête haute ?
C'était la dernière phrase du scénario. Malony traverse le tribunal, voit tous les gens avec qui il a partagé sa vie, les avocats, les éducateurs, et il passe devant eux, la tête haute.

Pourquoi vous être confrontée à cette délinquance ?
Parce que c'est un sujet qui m'intrigue. On ne peut pas se contenter de dire que les délinquants font peur, qu'ils dérangent la société. Je voulais comprendre comment on en arrive là. Grâce à une énorme enquête de terrain, j'ai découvert le travail éducatif qui se fait en France autour de ces enfants en manque de repères. La société se charge de l'éducation quand la famille n'y arrive pas, c'est beau.