François Ozon nous présente sa nouvelle amie

Toujours original et sensible, parfois drôle, jamais dérangeant, le film "Une Nouvelle Amie" bouscule les clichés sur le genre et déconstruit la famille hétéronormale pour mieux nous parler d'amour. Rencontre avec son réalisateur, le génial François Ozon.

La mort de Laura, radieuse jeune maman, laisse son mari et son amie d'enfance inconsolables. Jusqu'à un curieux marivaudage... Avec son sens inné de la provoc', François Ozon questionne la construction sociale de l'identité homme-femme et offre une représentation inédite et particulièrement réussie de travail de deuil et d'affirmation de soi. Références à Hitchcock, clins d'œil au cinéma classique américain, chansons de Variété, vestiaire désuet et maquillage outrancier, d'un côté. Narration saccadée, vision ultra-moderne des rapports sexo-genrés de l'autre. Mais aussi: sentiments exacerbés, décors acidulés et surtout acteurs qui excellent dans leur performance: "Une Nouvelle Amie" est une expérience inattendue et foisonnante, novatrice et pertinente. Et François Ozon ? Un homme délicieux, charmant, classieux...

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François Ozon à Cannes en 2013 © PDN/VILLARD/SIPA

Le Journal des Femmes : Le film commence par un deuil mais n'est pourtant pas un film triste...
François Ozon : C'est l'adaptation d'une nouvelle de la reine du polar Ruth Rendell dont j'ai gardé l'argument: une femme découvre que le mari de sa meilleure amie se déguise en femme et sympathise avec lui. En regardant les opus sur le thème du travestissement, je me suis rendu compte qu'il y en avait deux sortes. Certains sont dramatiques, douloureux, car changer d'identité est encore un tabou dans notre société. Les autres tournent en dérision le phénomène. Pour ma part, je voulais entrer dans l'histoire, comprendre les motivations complexes du personnage, mais rester dans le romanesque. Une amie, Chantal Poupaud, m'a parlé d'un homme qui, après la mort de compagne, mettait les vêtements de la regrettée défunte pour la faire revivre. J'ai trouvé cette idée très belle.

Le film aussi se travestit : à travers une esthétique presque démodée on trouve un propos extrêmement novateur, décomplexé...
C'est un film transgenre, à la fois drame, comédie et love story. J'ai écrit le scénario au moment des manifestations contre le mariage pour tous. Il y avait beaucoup de violence, beaucoup d'intolérance contre l'égalité des droits et je me suis demandé comment faire en sorte que ces gens puissent mieux comprendre ce qu'est la différence, la liberté pour chacun d'assumer ses désirs. Le meilleur moyen était de styliser le message, de raconter une histoire avec des codes narratifs calqués sur ceux du conte de fées. Il y a une volonté, dans la forme, de ne pas être ancré dans la réalité, mais au contraire de décaler les décors, les costumes.

Le choix de vos acteurs était-il une évidence ?
J'avais lu une interview dans laquelle Romain Duris avouait rêver de jouer une femme. Lors des essais, j'ai perçu quelque chose de ludique, de très joyeux, très enfantin. Ce bonheur contagieux, euphorisant, c'est exactement ce que je voulais transmettre au spectateur.

Anaïs Demoustier a un rôle davantage en intériorité...
J'ai choisi Anaïs après Romain. L'alchimie a fonctionné. Anaïs a une force. Elle perce l'écran. C'est une actrice qui sait écouter, regarder et être en retrait.

Sur le plateau aussi, les rôles étaient inversés...
Anaïs était prête en vingt minutes tandis que Romain avait besoin de 2h30 à l'habillage, à la coiffure. J'étais également plus concentré sur Romain car tout le monde sait qu'Anaïs est ravissante et que son personnage est davantage dans l'ombre.

Quel est votre regard sur les artifices dont les femmes usent pour accroître leur féminité ?
Je les utilise moi-même dans mes films. Je pense qu'ils sont nécessaires et permettent paradoxalement une révélation plus forte de la vérité. Je ne suis pas un cinéaste du réalisme, j'assume la fabrication, la fiction. Je pense que Romain n'a jamais montré autant sa sensibilité et ce justement grâce à la panoplie de vamp : bas, talons hauts, rouge-à-lèvres, robes à fleurs, perruques...

Comment définiriez-vous l'élégance ?
Ce n'est pas seulement une question de présentation, de vêtements, d'allure... C'est le fait de ne jamais négliger l'autre, de le respecter dans l'échange, de s'adresser à lui avec courtoisie.

Le jeu des 100 questions :

Quel dessert dois-je vous préparer si je veux vous faire craquer ?
Un fondant au chocolat avec son cœur de caramel fondant. Quelque chose de très sucré en tout cas...

Qu'est-ce que vous ne perdrez jamais ?
J'adorerais ne jamais perdre mes cheveux, mais c'est illusoire... Disons le plaisir que j'ai à faire les films peu consensuels...

Quelle qualité aimeriez-vous avoir ?
Savoir vivre l'instant présent. J'ai tendance à trop analyser les choses et à être dans une forme de distanciation émotionnelle.

Profiter, c'est compliqué pour vous ?
Oui, j'ai du mal à accepter les moments de plaisir. Face à un événement heureux, j'imagine très vite le pire. Comme si je ne le méritais pas ou que je savais que ce n'était pas fait pour durer. Comme si le fait d'en jouir allait se payer. Le fruit de mon éducation catholique sûrement...

Qu'est-ce qui vous énerve ?
La dépendance aux autres, l'agressivité verbale et la perte de contrôle. Quand vous pensez maîtriser es choses et qu'elles vous échappent. Au fil des tournages, j'ai appris à être plus philosophe, mais j'ai besoin de tout superviser.

Quel était votre fantasme d'adolescent ?
Fils d'un biologiste et d'une prof de français, je rêvais de sortir du cadre familial, d'avoir mon indépendance, de trouver ma place ailleurs qu'au sein du foyer. Et je l'ai réalisé !

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Une Nouvelle Amie de François Ozon, en salles le 5 novembre 2014 © Mars Distribution