"A plus de 40 ans, j'ai osé vivre ma première histoire d'amour avec une femme"

Pauline a longtemps ressenti une attirance pour d'autres femmes. Mais dans son monde, l'homosexualité féminine n'existe pas...

"A plus de 40 ans, j'ai osé vivre ma première histoire d'amour avec une femme"
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J'ai grandi près de Marseille, au sein d'une famille plutôt classique. Sans être subversifs, mes parents savaient se montrer ouverts d'esprit. Pourtant, pas une fois le sujet de l'homosexualité féminine n'est arrivé aux portes de notre foyer. A l'époque, c'était un vrai tabou, invisibilisé dans les médias, les conversations, les films… Être une femme qui aimait les femmes, ça n'existait pas. C'est durant l'adolescence que j'ai commencé à me poser des questions, à me sentir différente. J'étais plus attirée par mes copines que par les garçons de mon âge. Entre filles, nous passions des heures à parler d'amour. Et si je partageais les mêmes envies que mes amies – celle de tomber amoureuse et d'avoir des enfants – je voyais bien que je ne pouvais pas tout leur dire. Sans aucune représentation du lesbianisme, j'avais l'impression d'être la seule personne au monde à me retrouver dans cette situation. J'ai fini par me dire que j'étais un peu étrange, que ce n'était qu'une phase, que ça passerait.

Une première vie amoureuse avec un homme

Je me sentais naturellement à l'aise avec la gent masculine et je plaisais beaucoup. Mes amies m'enviaient et ne comprenaient pas pourquoi je faisais la fine bouche. Avec le temps, je me suis persuadée qu'elles avaient raison, que j'étais trop exigeante. Alors, j'ai commencé à fréquenter un copain de fac. Mais dès que les choses sont devenues sérieuses, j'ai pris mes jambes à mon cou. Puis, j'ai fait pareil avec un autre homme, un troisième, et ainsi de suite…

"C'est naturellement que nous avons décidé d'avoir Jules, notre premier enfant, puis Louise, trois ans plus tard"

Jusqu'au jour où mon chemin a croisé celui de Raphaël. Sans parler de coup de foudre, le rencontrer a marqué une nouvelle étape dans ma vie. Je le trouvais très séduisant, d'une rare gentillesse et d'une grande vivacité d'esprit. Avec lui, les choses étaient différentes, plus faciles. Je n'éprouvais pas vraiment d'attirance pour Raphaël, mais une complicité précieuse, mêlée d'admiration. Si la sexualité n'était pas primordiale dans notre relation, j'aimais quand même faire l'amour avec lui. Il était doux et tendre, je me sentais en sécurité, aimée. A cette époque, je venais d'avoir 26 ans. Mes amies étaient, pour la plupart, mariées, parfois déjà mères. M'investir dans cette relation amoureuse naissante était une évidence. Dis comme ça, on pourrait croire que je suis restée avec Raphaël uniquement par conformisme. Mais encore aujourd'hui, je ne crois pas. Bien sûr, la pression sociale était énorme et mon attirance pour les femmes impossible à assumer. Pourtant, j'aimais vraiment Raphaël. Nous formions une équipe incroyable ! C'est donc naturellement que nous avons décidé d'avoir Jules, notre premier enfant, puis Louise, trois ans plus tard.

"J'avais tout pour être heureuse, mais je me sentais vide"

Pendant presque 10 ans, j'étais comblée. Mon quotidien était doux, j'avais une famille géniale et un travail intéressant. Tout était rentré dans l'ordre, je me sentais normale. Jusqu'à ce que je fête mes 38 ans. Pourquoi cette année-là ? Je n'en ai aucune idée. Mais tout ce que j'avais enfoui sous le tapis m'a rattrapé : je suis tombée dans une profonde dépression, j'ai arrêté de travailler pendant plusieurs mois, je ne trouvais plus la force de me lever le matin. Je culpabilisais beaucoup, aussi. J'avais tout pour être heureuse, mais je me sentais vide.

Une rencontre décisive

Je voulais tenir pour mes enfants. Alors, après plus de trois ans de dépression, j'ai recommencé à essayer de sortir. Passionnée d'art depuis le plus jeune âge, j'ai multiplié les expositions. Ça me faisait du bien, j'avais l'impression de me remplir un peu. J'ai rencontré Astride dans ce contexte, lors d'un vernissage dans une petite galerie marseillaise. Un ami la connaissait et il nous a présentées. Son sourire m'a chamboulée, je suis tout de suite tombée sous le charme. J'adorais sa façon de parler, de se mouvoir, de tenir son verre de vin… Sur le chemin du retour, je me souviens avoir eu l'impression de ressusciter. Mon attirance pour Astride était irrépressible, aussi évidente que cette joie qui m'envahissait. Les jours suivants furent agréables. J'avais retrouvé ma vitalité, Raphaël et mes enfants étaient heureux de me voir comme ça. Le problème, c'est que je pensais énormément à Astride. J'avais beau passer des moments magnifiques avec ma famille, son image restait toujours là, dans un coin de ma tête.

J'ai attendu plusieurs semaines, avant de craquer et de demander le numéro d'Astride à mon ami. Je lui ai proposé d'aller voir une exposition, invitation qu'elle a directement acceptée. Je ne voyais pas ça comme un rendez-vous amoureux, je savais qu'il ne se passerait rien entre nous. Mais j'avais besoin de la revoir, comme pour vérifier que j'avais fantasmé cette attirance. Dès que je l'ai aperçue, j'ai compris que je n'avais pas rêvé, bien au contraire. Astride avait le pouvoir de soulever une armée de papillons dans mon ventre. J'étais folle d'elle, de son rire et de son charme à couper le souffle. Même si nous n'en avons pas parlé ce soir-là, j'ai compris que je ne la laissais pas indifférente.

"J'ai enfin osé vivre pleinement cette histoire d'amour"

J'ai mis plusieurs jours à trouver le courage de discuter avec Raphaël. Notre couple battait de l'aile depuis plusieurs années, ma dépression avait ponctué le quotidien d'échanges hostiles et de rancœurs réciproques. Je savais surtout que je ne pouvais pas reculer. Il fallait que je vive cette expérience, enfin. Nous avons longuement parlé et j'ai fini par avouer à Raphaël mon attirance pour les femmes. C'était douloureux, mais il a accepté la séparation. Il a compris qu'il ne pouvait pas lutter.

Trois semaines plus tard, j'ai retrouvé Astride au restaurant. Cette fois, c'était un véritable rendez-vous amoureux. Malgré une pointe de culpabilité, la soirée se déroula merveilleusement bien. Je me sentais au bon endroit, au bon moment, et surtout, avec la bonne personne. Depuis ce jour mémorable, nous sommes inséparables. Et s'il m'arrive encore, deux ans après, de me sentir gênée de lui montrer des signes d'affection en public, mon amour pour elle a le pouvoir de me faire oublier le regard des autres. Il surpasse tout.