Romane Dicko : "Nous n'avons pas l'habitude de voir des femmes musclées en dehors des salles de sport"

La judokate Romane Dicko est l'une des égéries de la marque Sans Complexe Lingerie. Rencontre avec la judokate en pleine préparation des Jeux olympiques de Paris 2024.

Romane Dicko : "Nous n'avons pas l'habitude de voir des femmes musclées en dehors des salles de sport"
© Sans Complexe

Double médaillée à Tokyo (en bronze en individuel et en or par équipe), la judokate Romane Dicko, 24 ans, s'apprête à disputer ses deuxièmes Jeux olympiques à Paris. Égérie Sans Complexe Lingerie, la jeune femme passionnée de mode est aussi une sportive engagée pour l'acceptation de tous les corps. Interview.

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous commencé le judo ?
Romane Dicko
 : C'est un hasard. En 2012, je regardais les Jeux olympiques de Londres à la télévision avec mon père. Je me souviens de la médaille de bronze d'Audrey Tcheuméo et des journalistes racontant son parcours : elle a commencé le judo à ses 13 ans, elle est d'origine camerounaise… Tout comme moi. Mon père m'a alors dit : "Romane, tu vas faire du judo". Et j'ai accepté. Neuf ans plus tard, j'étais médaillée olympique.

Vous pratiquiez une autre discipline auparavant ?
J'ai fait de la natation. Le sport a toujours été important dans ma famille. Sans parler de haut niveau, il était obligatoire d'avoir une activité physique pour mes frères et sœurs et moi.

Qu'appréciez-vous le plus dans le judo ?
Le fait que ce soit un sport d'affrontement direct. J'aime me battre contre quelqu'un à un instant T et savoir qui est le meilleur. Puis les valeurs du judo me parlent : l'amitié, le respect, l'honneur, le contrôle de soi… On incarne ce code moral sans même s'en rendre compte, sur mais aussi en dehors du tapis.

Alors que le début des Jeux olympiques approche, à quoi vont ressembler vos prochaines semaines ?
Jusqu'à la fin du mois de juin, je suis en stage à Paris. Puis, nous partirons début juillet à Vichy pendant 10 jours et enfin au Touquet pour la mise au vert. Ce seront les derniers instants pour créer le groupe olympique tous-tes ensemble : filles, garçons, staff. De là, nous entrerons directement au village olympique. Et let's go !

À quoi ressemble l'une de vos journées d'entraînements ?
Je m'entraîne deux fois par jour. Une fois le matin et une fois l'après-midi. À cela, il faut ajouter tout le travail de préparation mentale et de récupération. Et plus les Jeux vont approcher, plus cette partie va être importante : s'étirer, voir le kiné, faire des soins… On a tous-tes peur de se blesser donc je mets tout en place pour prendre soin de moi à 200 % et arriver prête et fraîche le jour J.

Lorsque vous imaginez les Jeux olympiques à Paris, à quoi ressemblent-ils ?
Comme une immense fête entre les athlètes et les Français-es. J'ai l'immense chance de faire partie de cette génération 2024. J'ai déjà vécu les Jeux olympiques du Covid à Tokyo, sans public, avec des masques, des tests… À Paris, je veux voir les gens kiffer le sport, la ville, porter le drapeau de leur pays.

La pression sur l'équipe de France pour remporter des médailles est forte. Que mettez-vous personnellement en place pour la gérer au mieux ?
J'ai commencé la préparation mentale il y a plusieurs années déjà, mais là, ça s'intensifie. J'avais déjà la pression à Tokyo, je ne sais pas ce qui peut me tomber dessus à Paris, je n'ai pas envie de subir. Je travaille sur l'acceptation de ce stress. Il va venir et c'est normal ! Mais il ne doit pas m'empêcher de m'exprimer sur le tapis.  

Dans le numéro de l'émission Canal + Intérieur Sport qui vous est consacré, on vous découvre passant un partiel avant un stage de judo. Pourquoi avoir décidé de continuer vos études durant cette année olympique ?
C'était un choix. Aller à la fac pour poursuivre ma licence de mathématiques fait aussi partie de mon équilibre. Mais je ne vais pas vous mentir : le deuxième semestre a été très compliqué. Je continue tant que je peux m'accrocher, sans me mettre de pression. Car plus les Jeux approchent, plus je suis sollicitée, plus il y a de compétitions, d'entraînements… J'avoue que j'avais peur qu'en arrêtant complètement cette année, j'aie beaucoup de mal à retourner sur les bancs de l'école.

Vous êtes très active sur les réseaux sociaux, partageant notamment votre préparation pour les Jeux olympiques. Pensez-vous qu'il est important aujourd'hui pour un-e athlète d'être présent-e sur ces plateformes ?
Oui et surtout en tant que femme. Car il faut regarder la réalité en face : le sport féminin est toujours peu médiatisé. En général, on établit une performance, on a un article dans un journal et puis pendant des mois, il ne se passe plus rien. Les réseaux sociaux nous offrent la possibilité de créer notre propre média. Je peux mettre en avant mes combats, mes valeurs, sans filtre et en maîtrisant totalement ma prise de parole. Par ailleurs, c'est un exercice que j'aime beaucoup !

À Tokyo, vous avez remporté deux médailles – une en bronze en individuel et l'autre en or par équipe. Ont-elles changé quelque chose à votre vie ?
Elles m'ont prouvé que je pouvais faire de belles choses. Avant Tokyo, je n'avais que des médailles européennes. L'année suivant ces Jeux olympiques, je gagne les championnats du monde. Ce n'est pas anodin. Je sais que j'ai passé un cap mentalement. Et la Romane de Tokyo est encore différente de celle qui arrive à Paris. Je n'ai pas peur de dire que j'ai envie de gagner l'or cet été.

Romane Dicko lors du Paris Grand Slam 2024. © Joly Victor/ABACA

Quelle est votre plus belle émotion ressentie sur un tapis de judo ?
Sans hésitation, le titre par équipe aux Jeux olympiques de Tokyo. Parce que c'étaient mes premiers Jeux, parce que nous gagnons en finale au Japon contre les Japonais-es… Je pense que nous avons tous-tes ce même souvenir. Quelques minutes avant le début des combats, nous étions en salle d'échauffement avec la musique à fond, en train de danser et de chanter. On se disait : "On va kiffer, on est juste nous, il n'y a personne dans les gradins". Garçons, filles, poids légers ou lourds : nous étions tellement soudé-e-s. Comme nous étions dans notre bulle, nous ne nous sommes pas tout de suite rendu-e-s compte de l'impact de ce titre. Mais lorsque nous sommes rentré-e-s en France et que nous nous sommes rendu-e-s au Trocadéro pour célébrer ça avec le public, nous avons vu le monde, les gens heureux… Cela me donne encore des frissons quand j'en parle.

Vous êtes passionnée de couture. Quel est votre rapport à la mode ?
La couture est mon échappatoire créative. Quand je couds, je ne pense à rien d'autre. J'emmène même ma machine à coudre en compétition. Je suis une grande taille, je fais du 50, et il y a des pièces que j'aime, que je ne trouve pas forcément en magasin ou qu'il faut retoucher. J'ai commencé à coudre pour faire des vêtements que je trouve beaux et dans lesquels je me sens bien.

Vous êtes égérie de Sans Complexe Lingerie. Pourquoi avoir eu envie de collaborer avec cette griffe de lingerie ?
Car Sans Complexe est une marque inclusive, ce qui est très important pour moi. Quand on est une grande taille, trouver de la lingerie est très compliqué. Il m'est arrivé plus d'une fois de pleurer dans des cabines d'essayage alors que je faisais du shopping avec des amies, car je ne trouvais rien qui m'allait. Avec Sans Complexe Lingerie, l'idée était de co-créer quelque chose ensemble qui nous plaît, et nous avons réussi.

Comment a évolué votre rapport à votre corps au fil des ans ?
Je n'ai jamais eu le gabarit lambda d'une fille de 15 ans. J'étais la plus grande, la plus lourde et c'est compliqué quand tu es jeune, car tu ne veux pas sortir du lot. Je cachais beaucoup mon corps à cette époque. Le judo m'a aidé parce que quelle que soit sa taille ou son poids, tout le monde a sa place sur le tapis. Grâce à ce corps qui me gênait, j'ai pu trouver des techniques pour gagner et je l'ai rendu performant. Cela m'a donné envie d'en prendre soin. Sans parler de haut niveau, le sport permet de prendre conscience de son corps, de son fonctionnement, avec soi ou avec les autres. Le mouvement est un atout pour apprendre à l'accepter et à l'aimer.

Vous êtes devenue, un peu par la force des choses, une représentante du mouvement body positive. Est-ce un message important pour vous à faire passer ?
Je dois ce rôle au simple fait de me montrer. Il y a quelque temps, j'ai posté une vidéo dans laquelle je faisais une randonnée et je galérais. C'est logique, je suis lourde, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas performante. On m'a remercié de montrer cette réalité. On me remercie aussi d'expliquer que j'aime la mode et que je galère à trouver des vêtements, que je dois parfois les rafistoler… Ça me fait du bien de le partager et je pense qu'il est important pour la jeune génération d'entendre cette réalité.

Quel conseil donneriez-vous à une jeune fille musclée qui peine à s'assumer ?
Je lui dirais de se tenir prête, parce que ça ne va pas être facile. Il y a quelque temps, j'ai posté sur TikTok une vidéo de moi à l'Élysée, sur laquelle j'apparais en robe bustier. Dans les commentaires, on m'a demandé de cacher mes bras. C'est fou, personne ne me dit ça quand je fais une vidéo lors d'une séance de musculation. Je n'en veux même pas à ces gens-là, car nous n'avons pas l'habitude de voir des femmes musclées en dehors des salles de sport. Nous sommes rangées dans une case. Mais moi, je ne veux pas me cacher derrière des brassières. Je veux pouvoir porter de la belle lingerie par exemple. Il faut parfois choquer un peu les gens, en s'affichant, pour qu'ils finissent par comprendre qu'en fait, il n'y a rien d'anormal.