J'ai participé à un trek dans le désert avec 272 autres femmes (et c'était dingue)

Du 9 au 16 novembre 2022 se tenait la deuxième édition du Trek'In Gazelles au Maroc. Le Journal des Femmes y a participé. Récit.

J'ai participé à un trek dans le désert avec 272 autres femmes (et c'était dingue)
© La team 70 dans le désert pendant le Trek'In Gazelles

Êtes-vous déjà allé.e dans le désert ? Moi oui, j'ai eu cette chance à plusieurs reprises. En Californie, dans l'outback australien, en Algérie, aussi. Des espaces qui donnent l'impression d'être tout.e petit.e, intimident et subjuguent en même temps. Alors quand j'ai eu l'opportunité de découvrir le Sahara marocain dans le cadre d'un défi sportif 100% féminin, je n'ai pas hésité une seconde. Et j'ai embarqué, le 9 novembre 2022, pour un trek d'une semaine dans les dunes de Merzouga en compagnie de 273 autres femmes.

Le Trek'In Gazelles, dans les pas du Rallye Aïcha des Gazelles

Mais d'abord, rembobinons. Début juillet, alors que les longues journées d'été s'étirent et lancent le compte à rebours jusqu'aux vacances, je reçois une invitation à participer à une course d'orientation du 9 au 16 novembre 2022 au Maroc. Le programme : un trek en équipe de trois, vingt kilomètres de marche par jour et cinq nuits à dormir sous une tente, les vacances parfaites, en somme. Plus tôt dans l'année, j'ai couru mon premier marathon sur le bitume parisien, j'ai envie d'un nouveau challenge et le Trek'In Gazelles, puisque c'est son nom, est l'occasion parfaite de tester quelque chose de nouveau. Première étape : rencontrer les deux autres membres de mon équipe, journalistes également, que je n'ai jamais vues. Nous convenons d'un rendez-vous début octobre. Bonne pioche, Marie et Christelle ont des personnalités qui matchent avec la mienne, elles sont sportives, bavardes, marrantes, et ça tombe bien, nous allons passer beaucoup de temps ensemble pendant ce trek !

Comme on ne lâche pas des Gazelles dans la nature sans formation, le lendemain, nous avons rendez-vous à 7 heures dans un Ibis du quartier de Montparnasse pour suivre un stage de navigation. Parce que si le trek consiste à avaler quotidiennement des kilomètres pendant 4 jours, il comprend également un volet orientation. Et se repérer dans l'espace, ce n'est pas, mais alors, pas du tout mon truc. À tel point que je débute cette formation avec 30 minutes de retard; je me suis perdue dans les rues de Paris et me suis rendue au mauvais hôtel. Ça commence bien…

Ce que nous apprenons en quelques heures, le maniement des compas de visée, rapporteurs bretons et règles magiques, les autres Gazelles auront deux jours pour l'assimiler, à Avignon, lors d'un stage de navigation encadré par Maïenga. Cette agence d'événementiel derrière le Trek'In Gazelles doit sa renommée à une course automobile féminine lancée en 1990 par Dominique Serra : le Rallye Aïcha des Gazelles. D'abord conçu comme un raid interentreprise, cette compétition a, en trente-trois ans, réuni près de 10 000 femmes qui embarquent chaque année pour deux semaines à bord d'un véhicule. Pour participer, chaque duo doit au préalable lever 30 000 euros auprès de sponsors, d'entreprises ou de particuliers. Pour le Trek'In Gazelles, les participantes réunissent près de 3 000 euros chacune. Une coquette somme qui comprend les six jours d'événement (1 970 euros), le trajet aller-retour jusqu'au Maroc (entre 200 et 400 euros), deux nuits d'hôtel sur place, le stage d'entraînement de navigation (540 euros pour trois) et l'équipement. Comme les participantes du Rallye Aïcha des Gazelles, les trekkeuses sont nombreuses à se faire sponsoriser par leurs entreprises ou à organiser des tombolas, des goûters et des ventes de petits objets faits main pour financer leur participation. D'autres viennent pour représenter des associations, dont les couleurs s'affichent fièrement sur leurs sacs à dos et leurs tenues. Parce que les Gazelles ont un grand cœur, ce qu'elles prouveront souvent au cours de cette aventure.

Décollage imminent : cap sur le désert

Le mercredi 9 novembre, il est temps de partir. Dans ma valise (à roulettes, je le regretterai quand il faudra la traîner dans le sable) s'entassent, pêle-mêle, le matériel de la parfaite aventurière et les livres que je lirai la nuit sous la tente. Un bisou aux chats, un autre à mon amoureux, et vite vite, direction l'aéroport d'Orly où nous attend un avion, affrété pour quelque 200 Gazelles. Pendant le vol, les copines se retrouvent : celles qui ont déjà participé au Rallye des Gazelles (une cinquantaine), celles qui ont fait le trek l'année passée (38, précisément), celles qui se sont rencontrées lors du week-end d'entraînement à la navigation... L'excitation monte jusqu'à l'arrivée à l'ancien aéroport militaire d'Erachidia où plusieurs bus nous attendent pour prendre la route d'Erfoud, la ville où se trouve l'hôtel où nous allons passer notre première nuit. Nous y arrivons après une heure de trajet au cours duquel nos yeux embrassent s'acclimatent à la végétation, aux animaux, à l'architecture que certaines d'entre nous découvrent pour la première fois.

Le lendemain, la journée est chargée puisque nous devons présenter notre équipement, nos certificats médicaux et autres documents administratifs à l'organisation. C'est aussi à ce moment que l'on nous remet nos T-shirts de Gazelles, nos dossards, mais surtout les balises qui ne quitteront plus nos sacs à dos et nous géolocaliseront dans le désert. Nous sommes l'équipe Média, la team 70, et on a hâte de débuter la compétition ! Qui devient de plus en plus concrète, puisqu'en début d'après-midi, on découvre enfin notre bivouac, posé aux pieds des dunes. Pensé pour accueillir 273 trekkeuses et tout autant de personnel encadrant (des médecins, des kinés, un coach sportif, des cuisiniers, des photographes et des dizaines d'autres bénévoles), ce camp fixe comprend une infirmerie, un espace restauration, un bar, une cybertente, un espace massage, des toilettes et des douches devant lesquelles nous sommes invitées à planter nos tentes. Puis, le moment que beaucoup redoutent arrive enfin : celui au cours duquel chaque participante remet à l'organisation son téléphone portable, qu'elle retrouvera quatre jours plus tard avec plus ou moins (surtout moins) d'impatience.

Pour finir la journée, les Gazelles découvrent pour la première fois le restaurant où elles mangeront matin et soir jusqu'à la fin de la compétition. Semoule, rechta, légumes vapeur, galettes, crudités… Un véritable festin en libre-service pour prendre des forces avant l'effort. C'est aussi sous cette tente immense que les Gazelles placent les premiers points de leur parcours sur les cartes. Un vrai casse-tête stratégique qui se répètera quotidiennement, puisqu'en plus du bivouac et des différentes étapes de la course, il nous faut indiquer les bonus que l'on décide d'atteindre durant la journée. Pour les trouver dans le désert, nous ne disposons que de quelques indications : leur niveau de difficulté, leurs coordonnées géographiques et des photos sibyllines d'une touffe d'herbe, de la crête d'une dune, d'un caillou, d'un puits ou de l'entrée d'une mine… Bref, bonne chance ! Grâce aux balises glissées dans nos sacs à dos, le jury connaît nos déplacements au mètre près et nous suit en temps réel dans le désert depuis des camions installés à l'entrée du bivouac. Mais pour l'instant, il est temps d'aller se coucher, d'autant que la nuit sera courte. À 5h30 du matin, le réveil sonne.

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3, 2, 1... C'est parti ! © Trek'In Gazelles

Sur la ligne de départ

Quand avez-vous dormi pour la dernière fois sans aucun appareil électronique ? Dans la nuit noire (et glaciale) du désert, c'est une expérience assez étrange. J'ai bien essayé de deviner l'heure qu'il était en regardant la lune (le soleil s'est couché de ce côté-ci, donc la lune devrait être de ce côté-là si c'est bientôt l'aube. Ah non, c'est peut-être l'inverse ?), puis je me suis rabattue sur Futur.es, le livre féministe génial de Lauren Bastide qui séjournait avec moi sous la tente. Une lecture interrompue par une petite musique qui se met à courir entre les tentes. Dominique Serra, la fondatrice du Rallye Aïcha des Gazelles, circule entre les allées, une enceinte à la main qui diffuse selon les matins Le temps est bon, de Bon Entendeur, ou Femmes… Je vous aime de Julien Clerc. Le signal est donné, il est l'heure de se lever. Le petit-déjeuner, c'est le moment de se réchauffer autour d'un bon café, mais aussi d'écouter le brief de Ludovic, le directeur sportif, qui rappelle quelques points de règlement. Ensuite, les Gazelles ont rendez-vous avec Adil pour un réveil musculaire face au lever du soleil, tandis que les équipes s'élancent par vagues successives sous l'arche de départ. C'est parti !

Avec Marie et Christelle, pour notre première journée, nous avons décidé d'essayer d'atteindre un maximum de bonus. La journée se déroule dans le calme du désert, entre les dunes et les étendues rocheuses que viennent troubler de minuscules fennecs, à en croire les traces qu'ils laissent derrière eux dans le sable, et quelques Gazelles identifiables à leurs T-shirts rose fluo, taches sanguines dans les collines ocres, grises ou dorées du Sahara. À midi, alors que notre journée de randonnée est déjà bien avancée, nous profitons de l'un des ravitaillements pour déjeuner sous un soleil de plomb. C'est aussi le moment de remplir nos camelbaks, ces poches en plastique que nous fourrons dans nos sacs à dos pour boire tout au long de la journée. Chacune à son tour rappelle à ses comparses qu'il faut s'hydrater, mettre de la crème solaire, du baume à lèvres ou faire une pause. On ne se connaît pas encore très bien, mais on veille déjà les unes sur les autres.

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La team 70 en situation réelle, avec carte, rapporteur breton et compas de visée © Trek'In Gazelles

Cette solidarité, cette sororité, s'est mise en place naturellement dans notre équipage et dans ceux des autres concurrentes. Parce que c'est aussi ça, le challenge de ces quatre jours de trek : s'entendre avec ses coéquipières, qui peuvent être des amies, des sœurs, des mères, des cousines, des collègues ou des inconnues, et les regarder, toujours avec bienveillance. D'autant que les profils des Gazelles sont particulièrement variés. Les participantes à cette deuxième édition ont en moyenne 46 ans. La doyenne, Mireille, a fêté ses 73 ans plus tôt dans l'année, tandis que la benjamine, Lilou, vient de souffler ses 16 bougies.

Elles viennent de France, principalement, mais aussi de Belgique, du Canada, d'Italie, de Suisse, du Maroc et du Royaume-Uni. Si elles ont décidé de participer au Trek'In Gazelles, c'est parce que certaines ont envie de partager un moment exceptionnel entre femmes, de se prouver leur force et leur volonté, tandis que d'autres souhaitent marquer la fin ou le début d'une étape. C'est précisément ce dont a témoigné Marina Vrillacq, présidente directrice générale de Maïenga et fille de Dominique Serra, lors du premier brief de la semaine. "Le Trek'In Gazelles est une histoire de femmes libre", a-t-elle affirmé avant de nous rappeler : "Pendant quatre jours, vous coupez avec le monde extérieur. Adieu la charge mentale, adieu les gosses, pensez à vous !". De toute façon, on n'a pas le choix, pendant ces longues heures de marche, que de retourner notre vie dans tous les sens, les questions urgentes, celles qui peuvent attendre, les envies que l'on souhaite concrétiser au retour… On s'écoute et ça fait du bien. C'est sur cette réflexion qu'apparaît le bivouac, au loin et que notre première journée prend fin. Nous avons parcouru 20 kilomètres, nous avons réussi à trouver toutes nos balises et nous pouvons abandonner notre sac à dos pour quelques heures. Tandis que certaines filent se faire masser, moi je vais dans la cybertente voir si les membres de nos familles nous ont écrit. Pendant la journée, les bénévoles impriment et glissent dans des bannettes numérotées tous les mails reçus par les équipes. Des messages qui font chaud au cœur (surtout quand on n'a plus de téléphone) et qui dessinent des sourires sur les visages des Gazelles : "Surtout n'oublie pas ta boussole, ta gourde et l'amour des tien.ne.s, signé Maman". Aucun risque !

Chaque jour, le programme est quasi identique. Départ à 7h30, 20 kilomètres de parcourus au cours desquels les trekkeuses, munies de sacs en tissu, peuvent ramasser les déchets qu'elles croisent sur leur route, cartes à remplir le soir, nuit dans la tente (la partie que j'aime le moins) et réveil à 5h30 en musique. Au total, quatre journées de compétition exceptionnelles, entre paysages montagneux, roches noires et dunes orangées. Pour la team 70, la dernière journée aura été marquée par un petit plantage. Trois heures à tourner en rond sous une chaleur accablante pour trouver une balise niveau expert (un échec), puis pour essayer de regagner le bivouac, les jambes lasses mais le moral toujours au beau fixe – après tout, quelle chance de se perdre dans un tel décor –. Une pensée qui nous accompagne, ainsi que des dizaines de souvenirs joyeux, lorsque nous franchissons la ligne d'arrivée sous les hourrah des organisateur.ice.s

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La team 70 bien contente d'être (enfin) sur la ligne d'arrivée © Trek'In Gazelles

Le soir, sur le camp, les Gazelles attendent ensemble la dernière équipe, qui arrive alors que la nuit commence à tomber. Une fois les étoiles bien accrochées au ciel, un feu d'artifice explose dans l'obscurité du désert. Un dernier dîner, une dernière nuit sous la tente et le lendemain matin, il faut déjà plier bagage. À nous toutes, nous aurons marché 22 000 km, récolté 7 500 litres de déchets et reversé 16 110 euros au Secours Populaire, puisque pour chaque bonus trouvé par une équipe, un don de 5 euros était accordé à l'association française. Une initiative solidaire qui s'inscrit dans la logique du Trek'In Gazelles, pensé comme un événement à visée responsable.

Au fil des ans, Maïenga a mis en place différentes actions en parallèles de ses compétitions sportives au Maroc. Depuis 2011, l'association Cœur de Gazelles, présidée par Marina Vrillacq, organise dans le pays une caravane de sensibilisation environnementale et une caravane médicale, dont les 50 médecins ont soigné plus de 8 000 patients. Le trek est également certifié Norme ISO 14001 et les organisateur.ice.s qui planchent tout au long de l'année sur l'aspect durable de la compétition ont toujours à l'esprit cette problématique : "Comment ne laisser aucune trace derrière nous ?". C'est pour cette raison que sur le bivouac, (presque) rien ne se perd, tout se transforme : les quignons de pain et les épluchures sont donnés aux bergers.ères pour nourrir les animaux, 50 % des déchets sont triés dans les filières adaptées tandis que le reste est incinéré par Maïenga. L'événement est même neutre en carbone, puisque les émissions de CO2 sont compensées par des arbres plantés au frais de l'agence. En plus, des collectes pour Cœur de Gazelles ont été organisées auprès des trekkeuses, qui sont nombreuses à être venues avec de l'argent, des médicaments, des protections périodiques, des vêtements et même des fauteuils roulants récupérés par l'association pour les populations locales. C'est aussi cette aventure-là que sont venues vivre ces 273 femmes, et qu'elles ont ramenée dans leurs bagages avec leurs T-shirts collants de sueur, leurs souvenirs constellés de grains de sable et leurs baskets fatiguées. Dans l'avion du retour, forcément un peu tristes de voir cette parenthèse hors du commun s'achever, elles ont scandé leur cri de ralliement en regardant le désert s'éloigner à travers le hublot : "Gazelles un jour, Gazelles toujours !". On parie qu'elles seront nombreuses à se donner rendez-vous devant les dunes de Merzouga du 9 au 14 novembre 2023 pour revivre ce trek qui ne ressemble à aucun autre.