Du devoir à l'amour : une policière adopte la victime d'un massacre

Trente ans après un horrible massacre à New York, l'agent de police qui était sur les lieux du crime a adopté la seule survivante. Récit d'une émouvante histoire.

15 avril 1984, 1080 Liberty Avenue, "Palm Sunday Massacre" : une terrible fusillade éclate à New York. Dix personnes trouvent la mort dont 8 enfants. Seul survivant : un bébé, il a 13 mois, est couvert de sang et rampe aux pieds des morts en pleurant.
La petite fille, qui répond au nom de Christina Rivera, est placée dans les mains d'un des premiers agents de police à arriver sur place à l'époque, qui doit l'emmener à l'hôpital puis la surveiller à la station de police où elle travaille dans l'Est de New York. Depuis ce jour, la policière ne s'est jamais vraiment séparée de l'orpheline.
Joanne Jaffe, l'agent de police, est d'abord devenue l'ange gardien de la petite fille, puis son parent de substitution. À 14 ans, Christina a déménagé chez elle. A 31 ans, elle a été officiellement adoptée par sa sauveuse.
L'histoire n'avait jamais été portée au grand jour, mais alors que l'anniversaire des 30 ans du massacre approchait, les deux femmes étaient prêtes à raconter leur histoire hors du commun, à expliquer comment une véritable histoire d'amour avait pu émerger d'un des crimes les plus monstrueux qu'ait connu la Grosse Pomme.
"Je ne peux pas imaginer ma vie sans elle", confiait Christina Rivera la semaine dernière au New York Times.
Car la vie de Christina a bien commencé avec cet agent de police. Ce jour-là, au 1080 Liberty Avenue, la mère de Christina, Carmen Perez, âgée de 20 ans seulement, trouvait la mort. Ce jour-là, Christina perdait également ses deux demi-frères de 3 et 5 ans, ainsi que plusieurs cousins. Arme en main, l'agent Jaffe parcourait les pièces à la recherche du tueur, en vain, qui s'avéra finalement être Christopher Thomas, un cocaïnomane, arrêté deux mois plus tard.
Christina est amenée dehors par un voisin, et trouve vite sa place dans les bras de l'agent Jaffe qui dira : "On me l'a confiée, et je l'ai aimée".
Le soir même, Joanne Jaffe demande de ramener le bébé chez elle, mais les services de protection de l'enfance décident de placer Christina dans une famille d'accueil de l'île de Coney. Christina devait rejoindre son père, qui travaillait dans le bâtiment, mais a été envoyée chez sa grand-mère, Felicia Rivera, qui fut très dévouée, bien que surprotectrice. Personne ne dit à Christina ce qui s'est passé ce jour-là. Sa grand-mère lui confia une fois que sa mère avait de l'asthme, la petite fille en conclut qu'elle en était morte. La vérité apparue lorsqu'elle fêta ses 10 ans : un soir, Christina revint de l'école, où on lui avait dit que sa mère avait été assassinée. "Es-tu prête pour ça ?" lui demanda sa grand-mère. Et sa grand-mère lui raconta comment à l'âge de 13 mois, elle fut la seule rescapée d'un bain de sang.

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Couverture du New York Post de 1984 © Capture d'écran New York Times

Le reste tiendrait presque de l'heureux hasard : un jour, l'agent Jaffe fut assigné dans un autre quartier, et se retrouva tout près de chez Christina. La première fois qu'elle vint lui rendre visite, Christina, qui avait raté l'école parce que sa grand-mère était trop faible pour l'y emmener, pensa qu'elle avait des ennuis pour absence injustifiée. Les visites se firent ensuite de plus en plus fréquentes, et Christina commença à passer par le poste de police en rentrant de l'école pour  jouer sur l'ordinateur de l'agent. L'agent commença elle à emmener Christina en weekend avec son fiancé Doug Lennihan, également officier de police.
Alors que Christina entrait dans l'adolescence, les difficultés pour sa grand-mère de l'éduquer grandissaient. Le père et la grand-mère de Christina vinrent alors voir Joanne Jeffe : "Ils m'ont dit qu'elle s'entendait bien avec moi, qu'elle m'aimait, et du coup m'ont demandé si je pouvais l'élever et la prendre avec moi", se rappelle-t-elle. Joanne voulait accepter, mais elle allait se marier. Elle attendit alors un an avant de la prendre sous son aile : "Je pensais que je devais m'installer et me marier d'abord".
Christina avait tendance à s'accrocher à cet agent, aussi bien émotionnellement que physiquement et disait qu'elle craignait de perdre sa nouvelle maman.
Le couple, inquiet de laisser seule Christina lorsqu'ils étaient en service, prit plus tard des mesures pour qu'elle aille vivre chez son père à Manhattan.
Bien sûr, les deux femmes continuèrent de se voir et à l'aube de ses 20 ans, Joanne l'emmena même sur la tombe de sa mère.
Christina Rivera devint finalement officier adjoint de police.
En 2009, les deux femmes commencèrent à assister aux auditions de liberté conditionnelle de Christopher Thomas, qui avait été reconnu coupable de 10 homicides mais acquitté de meurtre : le jury estimait qu'il avait agi sous la détresse émotionnelle et l'influence de longues années d'abus de drogue. Thomas avait en fait cru que sa femme le trompait avec un homme qui vivait à l'endroit où habitait la famille. Aucune des personnes impliquées n'était présente au moment du carnage, mais les autorités déclarèrent qu'il avait tué ceux qu'il avait trouvés.
C'est à cette époque que la grand-mère de Christina disparut, un décès qui affecta beaucoup la jeune fille. Joanne Jaffe décida alors de suivre une promesse qu'elle avait faite pour  la première fois lorsque Christina était venue vivre avec elle : adopter Christina. Pour un certain nombre de raisons, l'adoption n'avait encore jamais eu lieu, malgré un désir mutuel. Christina avouera "C'est presque comme si je voulais crier 'Je suis sa fille, je lui appartiens'".
Il y a environ un an, l'officier Jaffe accomplit son engagement : "J'avais vu ses hauts et ses bas dans la vie et je me suis dit que je le devais à cet enfant".

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Joanne Jaffe, l'agent de police de New York, et sa fille adoptive, Christina Rivera. Photo de Michael Appleton pour le New York Times © Capture d'écran New York Times