Mères porteuses : pourquoi ça coince ?
La majorité des Français est pour, des centaines de couples y ont recours à l'étranger et pourtant, la gestation pour autrui reste interdite chez nous. Question éthique, personnelle et juridique, la GPA continue de faire débat. Focus, avant la sortie au cinéma de "Diane a les épaules", dans lequel Clotilde Hesme porte l'enfant d'amis homosexuels.
Deux-cent cinquante bébés de parents français verraient le jour chaque année grâce à des mères porteuses. Interdite en France, la gestation pour autrui (GPA) continue de questionner les institutions, d'ébranler les valeurs et de créer le débat. Dans Diane a les épaules, l'héroïne n'a jamais éprouvé de désir de maternité. Elle décide de porter l'enfant de ses meilleurs amis homosexuels. Si le film ne porte aucun jugement sur cette décision, il rappelle la controverse du sujet.
La GPA est une solution médicale qui consiste à introduire des ovocytes, souvent ceux d'un couple infertile ou incompatible, dans le corps d'une mère porteuse. Dans ce cas, les donneurs sont bien les parents biologiques et d'intention du bébé porté par autrui. Dans d'autres circonstances, la GPA peut s'accompagner d'un don d'ovocyte ou de sperme. La question de la parentalité se complique alors et s'ajoute à la longue listes des interrogations qui freinent encore les pays à légaliser et légiférer sur ce nouveau moyen de procréer.
Argent et instrumentalisation de la femme
De l'autre côté de l'Atlantique, où la pratique est légale selon les Etats, des entreprises mettent en relation mères porteuses et parents contre une certaine somme d'argent. La femme enceinte est évidemment rémunérée et très encadrée : son état de santé est vérifié, on s'assure qu'elle ait déjà fondé sa propre famille et qu'elle est capable de porter l'enfant d'autres pendant neuf mois. Les couples et leur mère porteuse sont mis en contact dès le début et assurent créer une relation très forte. Mais ce n'est pas le cas partout.
Dans d'autres pays, comme l'Ukraine, des entreprises ont fait de cette pratique un business à grande échelle. Chez BioTexCom, on peut acheter des packs, du "Tout est compris économe" à 29 900 euros au "Tout est compris VIP" à 49 900 euros. Ces offres comprennent différentes options, comme le don d'ovule, la prise en charge de plusieurs tentatives et l'hébergement en pension complète au moment de la naissance et de régler les soucis administratifs. Les femmes qui mettent leur corps à disposition avouent alors le faire pour se sortir de la pauvreté. Ce qui entraîne la question de l'instrumentalisation du corps de la femme. Interrogée par M6 à l'occasion d'un documentaire Zone Interdite diffusé en septembre 2016, l'une d'elle concède : "Je me considère comme un incubateur."
En Inde, où la GPA est légale, mais très critiquée, ce business rapporterait 2 milliards d'euros par an. Pour le professeur Olivennes, spécialiste de l'infertilité, une GPA peut être possible et légalisée en France à condition qu'elle soit très encadrée évidemment, mais surtout que la relation entre les différents partis soit désintéressée et sans échange monétaire.
Tabou éthique et juridique
"L'interdiction dévie le débat", regrette le professeur parisien. Face à l'absence de loi en France, en vertu du principe d'indisponibilité du corps humain, certains couples se retrouvent sur Internet, à chercher des solutions intermédiaires, souvent moins coûteuses et lourdes juridiquement qu'une GPA réglementée à l'étranger. La porte ouverte à toutes les dérives. D'autres respectent le cadre légal et deviennent parents grâce à une mère porteuse dans un autre pays. À leur retour sur le territoire, les soucis administratifs sont là pour les accueillir.
Le cas de la famille Mennesson, suivie dans l'émission de M6 est le plus parlant. Leurs jumelles sont nées aux Etats-Unis, dans la légalité. Aux yeux du pays, elles sont bien américaines et filles de Dominique et Sylvie. Mais cela se complique une fois tout le monde rentré en France. L'Etat refuse de leur délivrer la nationalité ou même de les affilier à leurs géniteurs. Leur père obtient finalement gain de cause, en partie, au près de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. La France est condamnée à retranscrire à l'état civil les actes de naissances étasuniens. Mais le pays refuse de reconnaître la filiation des deux filles et de leurs parents. Elles sont françaises nées aux Etats-Unis et... sans aucun parent français. "Sur 700 enfants nés de la GPA, seuls 5 ont obtenu la filiation, dont 3 parce que la GPA a été dissimulée", regrette Dominique Mennesson. Le pays divague dans un flou juridique.
Les parents ayant recours à des mères porteuses ne supportent pas que leurs enfants paient leur choix, alors que rien n'est illégal. Irène Théry, sociologue spécialiste de la famille et des questions de genre, avance que la situation de la France a des répercussions sur l'identité des personnes. Pour elle, le débat stagne parce qu'on subit le poids de l'héritage : "On part du principe que la grossesse fait la mère." Une notion qui a évolué d'après celle qui ajoute que "la politique ne transparaît pas la réalité".
Malgré la difficulté d'aborder cette question qui chamboule nos sociétés, 55% des Français se sont prononcés en faveur d'une GPA réglementée, d'après un sondage Ifop de 2014 pour l'Association des familles homoparentales. Le premier colloque scientifique et multidisciplinaire doit avoir lieu les 17 et 18 novembre pour débattre. Et enfin trouver une réponse adaptée ?
Diane a les épaules, au cinéma le 15 novembre.