Marie-Marie avec Serge Gainsbourg : "J'étais sur un petit nuage, je vivais des moments magiques"

Pendant 3 ans, Marie-Marie était auprès de Serge Gainsbourg alors qu'il sombrait. Elle nous raconte un homme d'excès et de destruction, à la fois très généreux et terriblement seul. Confidences.

Marie-Marie avec Serge Gainsbourg : "J'étais sur un petit nuage, je vivais des moments magiques"
© Collection personnelle et MICHEL GINIES/SIPA

Le titre même de son livre est un hommage à l'homme à  tête de chou. Dans Il était une oie  (Ed. Fauves), clin d'œil à une chanson écrite par l'auteur compositeur à Juliette Gréco, Marie-Marie dresse le portrait de la jeune étudiante qu'elle était quand elle a rencontré un mythe pour ne pas dire une légende: Serge Gainsbourg. Mais l'artiste a alors perdu de sa superbe.
Souffrant d'un immense sentiment de solitude, il noie son chagrin l'alcool et abuse des cigarettes. Marie-Marie partagera 3 ans d'intimité avec lui et vivra simultanément un amour passionnel avec un jeune homme qui aura bien du mal à saisir la nature de la relation entre le plus grand des provocateurs et la jeune provinciale pas si "oie" que cela. Nous avons rencontré celle que Serge Gainsbourg surnommait " la p'tite marie " et qui est aujourd'hui professeur de français dans un collège parisien. 

Tout a commencé par l'appel de Serge Gainsbourg à qui vous aviez envoyé une lettre...
Marie-Marie :
Mes parents s'apprêtaient à aller au chevet de mon grand père mourant et ma mère a cru que c'était un canular. Le lendemain je suis arrivée au collège très excitée en racontant à mes copines deux nouvelles: mon grand-père était mort dans la nuit et Serge Gainsbourg m'avait appelé.

"J'adorais surtout Jane Birkin au début"

Enfant vous rêviez que vos parents soient Jane et Serge
Marie-Marie :
J'avais punaisé au-dessus de mon lit des photos du couple à Saint Tropez avec Charlotte et Kate. J'adorais surtout Jane Birkin au début. J'avais entendu dire que c'était ses pleurs qu'on entendait dans la chanson Je suis venue te dire que je m'en vais... J'étais allée l'acheter chez le disquaire alors que j'avais 6 ou 7 ans. En écoutant sa voix j'étais aussi tombée amoureuse de Gainsbourg. 

Quand il vous a appelé c'était donc votre idole ?
Marie-Marie :
Tout à fait. Je lui écrivais dans la lettre: "à l'école je me bats pour vous défendre". Je ne me battais pas physiquement mais verbalement. Il n'était pas du tout dans l'air du temps à l'époque. Les filles disaient qu'il puait, qu'il ne se lavait jamais, qu'il se droguait. Je me battais aussi dans ma propre famille car j'avais un oncle qui le détestait.

"Les filles disaient qu'il puait, qu'il ne se lavait jamais, qu'il se droguait"

Vous l'avez ensuite rencontré et vous êtes allée dans son appartement rue de Verneuil. Quel est votre regard sur cet appartement ?
Marie-Marie :
C'était comme un musée, un écrin assez précieux. J'avais l'impression d'être une privilégiée et de pénétrer dans l'antre du maitre, de l'artiste. Il y avait des photos partout. La dernière en montant l'escalier était celle de Marilyn Monroe à la morgue. 
C'était magnifique mais il fallait faire attention et ne pas s'assoir n'importe où. Il ne fallait pas bouger l'ordre des objets sur la table en verre.

Vous révélez que sa mère se serait donnée la mort à l'aide de médicaments et d'une bouteille de vodka qu'il lui avait offerte...
Marie-Marie : C'est ce qu'il m'avait dit un soir mais je ne sais pas si c'est vrai. Il avait une forme d'attraction/répulsion pour la mort. Je pense qu'au fond de lui il n'avait pas totalement envie de mourir car il n'est jamais vraiment passé à l'acte.
Mais c'était de l'autodestruction depuis très longtemps. Je sentais très bien qu'il ne vivrait pas vieux. Quand on commence la journée au Ricard et qu'on fume 5 paquets de cigarettes par jour, il y a peu de chances. 

"Quand on commence la journée au Ricard et qu'on fume 5 paquets de cigarettes par jour..."

Marie-Marie
© DR

Souffrait-il vraiment de la solitude ?
Marie-Marie :
Terriblement mais je pense que ce n'était pas le cas quand il était avec Jane et les enfants. Il y a eu une brisure quand elle est partie. C'est vrai qu'il y avait du monde autour de lui mais c'était des policiers pas toujours très intéressants ou des gamines.

La police semble omniprésente chez Gainsbourg...
Marie-Marie :
Souvent les policiers venaient en raison du tapage nocturne car il mettait la musique à fond. Quand ils avaient l'appel des voisins, les policiers se battaient pour venir. Ils savaient qu'ils allaient boire un verre (rires)

Serge Gainsbourg avait-il des amis dans le show business ?
Marie-Marie :
Il avait beaucoup apprécié Patrick Dewaere mais il répétait souvent que ses deux seuls potes étaient Coluche et Jacques Dutronc dans ce milieu.

"Ses deux seuls potes étaient Coluche et Jacques Dutronc"

Fuyait-il ce monde ?
Marie-Marie :
Je ne pense pas car beaucoup de jeunes venaient vers lui. Bashung lui avait demandé de faire un album pour lui et il avait travaillé avec Chamfort. Etienne Daho l'adorait. Il était demandé mais préférait sortir avec d'autres personnes en tout cas après le départ de Jane. 

Vous écrivez que la flatterie était son talon d'Achille...
Marie-Marie :
Serge ne se prenait pas trop au sérieux. Il avait un énorme manque de confiance en lui et un complexe vis-à-vis de son père qui était musicien classique même s'il jouait dans les pianos bars. Il avait besoin en permanence d'être admiré. C'était pour cette raison qu'il était constamment entouré. 

"Bambou jouait un peu le rôle de la maman"

Quelle relation avait-il avec Bambou ? 
Marie-Marie :
Il avait installé Bambou rue Saint-Jacques puis il lui avait acheté une petite maison dans le 13e . J'ai su après qu'elle enregistrait ses passages à la télévision qui sur la fin étaient assez désastreux. Le lendemain elle les lui montrait et il avait honte. Elle jouait un peu le rôle de la maman. 

On lui parlait beaucoup de l'émission  7 sur 7 durant laquelle il avait brûlé un billet de 500 francs. Vous dites qu'il avait reçu beaucoup lettres d'injures mais aussi celle très émouvante d'un petit garçon.
Marie-Marie :
Oui c'est cela. Le petit garçon avait pleuré devant sa télé, parce que la bicyclette de ses rêves coutait justement cinq cents francs. Serge la lui a offerte ! Il était très généreux et dépensait sans compter. Il avait toujours une petite mallette Vuitton et sortait des billets de 500 francs qu'il distribuait. Il voulait aussi donner une image flamboyante et peut être acheter un peu d'affection aux chauffeurs de taxi ou aux serveurs de restaurant.

"Très généreux, Serge Gainsbourg dépensait sans compter"

© Ed. Fauve

Votre relation particulière avec Serge Gainsbourg a perturbé votre histoire avec une jeune homme prénommé Hippolyte. Est-ce qu'avez du recul vous comprenez pourquoi ? 
Marie-Marie :
Effectivement. J'ai fini par mettre de la distance avec lui mais j'étais attachée à cette relation. J'avais une tendresse et une fascination pour Gainsbourg même si je voyais bien que ce n'était plus le Gainsbourg de mon enfance. A chaque fois que j'allais chez lui j'étais sur un petit nuage. Je vivais des moments magiques.

Vous apprenez sa mort de la bouche de votre sœur. A ce moment-là vous avez presque honte de reconnaitre que votre cœur est sec mais qu'il se serre juste quand vous vous dites que Gainsbourg est mort seul.
Marie-Marie :
J'ai aussi été très émue de voir dans la presse la photo de Bambou qui pleurait dans la cuisine. Un peu plus tard, j'ai eu beaucoup de tristesse. Je faisais des cauchemars. 

Quelle est votre chanson préférée de Gainsbourg ?
Marie-Marie :
Un seul titre, c'est compliqué... Bien sûr, les deux meilleurs albums sont incontestablement L'homme à tête de chou et Melody Nelson... Mais j'aime beaucoup Les amours perdues, Manon, Indifférente, les Goémons, L'anamour... Je choisirais peut-être quand même Je suis venu te dire.... et Black Trombone parce qu'on le chantait avec Hippolyte... 

Que pensez-vous du projet de Charlotte Gainsbourg de transformer l'appartement rue de Verneuil en musée ?
Marie-Marie :
Je comprends son point de vue: c'est un moyen de faire perdurer l'image de son père. Mais ça me déplait personnellement et égoïstement car j'ai des souvenirs rue de Verneuil et je n'ai pas envie que tout le monde puisse y avoir accès.