Clotilde Hesme : "J'ai toujours refusé d'être filmée en objet de séduction"

Dans AMOUR FOU, un thriller passionnant à regarder sur Arte, Clotilde Hesme est Rebecca, une manipulatrice déconcertante de sincérité. Cette femme médecin développe des sentiments ravageurs, une relation d'emprise et de dépendance avec son mari. Elle se révèle machiavélique, mais diablement attachante… Rencontre intense.

Clotilde Hesme : "J'ai toujours refusé d'être filmée en objet de séduction"
© Caroline Dubois

Clotilde Hesme, pourquoi vous dans Amour Fou ?
Clotilde Hesme : C'est une proposition de Mathias qui voulait humaniser un peu l'héroïne du roman d'Ingrid Desjours. Il m'a écrit une très belle lettre en me proposant ce rôle ambigu. Il avait besoin de chair et d'émotion pour rendre le personnage complexe de Rebecca, moins glacial.

Comment avez-vous abordé cette Rebecca ?
J'ai dressé son portrait de manière très factuelle après avoir rencontré un médecin et un psychiatre qui ont établi un diagnostic clinique. Cette femme souffre d'un trouble de la personnalité limite et semble guidée par une obsession de réparation. Elle a développé cette pathologie à la suite d'une blessure d'enfance qui n'a pas été pansée. A cause de ce trauma qu'elle n'arrive pas à dépasser, elle souffre d'une difficulté à gérer la colère, d'une incapacité à prévoir les conséquences de ses actes, d'une perturbation de l'identité et d'une tendance à idéaliser l'autre ou à le dévaloriser brutalement. Rebecca est instable et redoute plus que tout l'abandon.

Rebecca exerce une profession médicale, concrète, scientifique…
Son conjoint, grand dépressif, n'arrive pas à travailler alors que Rebecca est studieuse, efficace, utile… mais elle est malade mentale alors qu'elle est censée soigner les autres ! C'est presque une forme de schizophrénie…

Physiquement, comment avez vous exprimé les différentes facettes de son comportement ? 
Par une monstruosité rentrée, intériorisée. Pour préparer cette performance, j'ai revu les films Misery de Rob Reiner avec Kathy Bates et Un Si Doux Visage d'Otto Preminger avec Jean Simmons à qui l'on donnerait le bon dieu sans confession…

Vous semblez sans fard dans ce film, peu apprêtée, jamais dans la séduction, est-ce le cas ?
Il y a peu de maquillage, mais surtout une lumière assez brute. Ensuite, à l'étalonnage ou au montage, on vous propose désormais un logiciel hallucinant, une espèce de Photoshop qui vous lisse le visage et vous gomme les expressions. Le réalisateur n'a pas voulu car on perdait en profondeur… et heureusement car je n'ai aucune envie qu'un metteur-en-scène me retire les rides et me rende faussement belle. Je trouve ça aberrant. J'ai toujours refusé d'être filmée en objet de séduction. En cela, Amour Fou est profondément féministe. 

"La famille est une institution dont il faut apprendre à se détacher"

La question de la maternité est tout sauf une évidence pour votre personnage…
C'est important que cette série s'empare de l'injonction à enfanter et la détournent dans une perspective égalitaire, féministe, sans aucun jugement moral. Il faut prendre conscience qu'il y a des concepts qui sont des constructions sociales et pas forcément le fruit du désir de chacune.

L'enfance, la famille comme socle des névroses de l'adulte, est-ce aussi un terrain qu'il vous plaisait de creuser ?
Ce sujet me passionne. La famille est une institution parfois embarrassante et invasive dont il faut apprendre à se détacher pour construire son propre foyer. Dans Amour Fou, la question était d'anéantir la famille pour que le couple puisse grandir, avancer. C'est trop radical, mais je conviens que la séparation d'avec mes proches parents a été une condition de mon évolution, une nécessité pour bâtir mon couple, ma famille.

Quid de "la grande famille du cinéma" ?
C'est la plus pathogène, la plus psychotique de toutes ! Je le dis avec sourire et humour, mais je m'en méfie, elle est à réinventer…

Au-delà des névroses, Rebecca bascule dans la psychose. Craignez-vous cette folie ou est-ce une fantaisie que vous cultivez?
En tant qu'actrice, c'est absolument jubilatoire. Cela permet une inventivité dans le jeu, un lâcher-prise, une audace insoupçonnée… A la ville, je n'ai pas peur de me confronter à ce qui dérange. On doit tous traverser des épreuves, autant le faire en connaissance de cause. J'adore cette phrase: "On ne sait jamais ce que le passé vous réserve". On véhicule des pathologies familiales, des secrets sur plusieurs générations... Je préfère fouiller dans le peu reluisant que de faire porter les non-dits à mes enfants ! Et puis cette introspection peut aussi se faire de manière joyeuse... jusqu'à l'équilibre et l'épanouissement !

"Mes années dans la mode ont été d'une rare violence"

Vous avez été mannequin avant d'être comédienne, est-ce que ce n'est pas plus long de devenir soi-même quand on a toujours eu des regards sur soi ?
Ce qui m'a permis de me considérer comme un sujet, de ne plus jamais vouloir être regardée comme un objet, c'est d'arrêter le mannequinat au début des années 2000, quand je suis rentrée au conservatoire. Mes dix années dans la mode ont été d'une rare violence. D'ailleurs, j'ai témoigné dans le cadre de l'affaire de Jean-Luc Brunel. J'ai connu ces soirées de débauche, de perversité et j'ai croisé ces jeunes filles mineures. J'ai moi-même été envoyée beaucoup trop jeune à l'étranger par mon agence de mannequin. Tout le monde savait et personne ne disait rien. C'était encore délicat pour les langues de se délier. D'ailleurs, Jean-Luc Brunel se tient à la disposition de la police et de la justice, mais malgré les accusations de viols et de harcèlement, il n'est pas inquiété car les faits sont prescrits. Dans le cadre de l'affaire Epstein, il y a beaucoup trop de gens de pouvoir haut-placés…

Où avez-vous puisé cette force de dénoncer, de revendiquer, de "prendre" la parole ?
Dans mon besoin de résilience et dans l'envie d'être dans un rapport de bienveillance féminine, de vraie sororité. J'ai eu cette volonté de pouvoir faire ce métier d'artiste en étant une femme, mais sans avoir à subir aucune forme de domination. 

A quel point avez-vous changé depuis vos débuts d'interprète, de comédienne ?
J'essaye d'être vigilante dans le choix des scénarios. Au départ, j'ai beaucoup joué la compagne de, la fille de, la petite-amie du personnage masculin ou principal. Même dans certains parcours que j'adore comme Angèle et Tony, la femme s'émancipe grâce à l'amour d'un homme… C'est pour cela que j'aime la proposition de Mathias Gokalp avec Amour Fou : je suis motivée par la vengeance, mais je suis d'autant plus puissante, inventive, pleine de panache !

Est-ce parce que vous avez forgé, affirmé votre identité, que vous pouvez incarner ces rôles forts ?
Ma prise de conscience est très récente, consécutive au bouleversement que nous traversons, à la redéfinition des rapports entre les sexes, à la remise en cause de la manière dont nos mères nous ont éduquées... J'ai un garçon et une fille et à travers leur éducation, j'essaye de ne pas reproduire les schémas de genre. J'ai beaucoup d'espoir, personnel et universel, en notre époque.

Le cinéma donne du sens à votre vie de femme et de mère... et les évolutions de la société donnent du caractère à votre interprétation…
Oui, il s'agit de s'emparer de récits, de les relayer, de les faire entendre, et c'est génial de pouvoir le faire. Certes, l'art n'est pas affaire de morale, de jugement, mais j'ai de la chance qu'on me donne ce type d'interprétation… Oui, les hommes peuvent évidemment être féministes. C'est dans le vivre ensemble que l'on peut rééquilibrer les rapports de force. D'ailleurs, il ne s'agit pas de luttes de pouvoir, juste d'humanisme, d'être des humains qui grandissent ensemble. 

Avez-vous des plaisirs simples ? Une façon d'aborder le quotidien qui vous permet de vous reconnecter à vos émotions ?
Il n'y a pas les contraintes d'un côté et le métier de l'autre. C'est tout aussi noble de faire les courses au supermarché, d'aller chercher ses enfants à l'école, de faire des goûters avec les voisins… que d'exercer une profession dans le milieu du showbiz ! Je n'ai pas une vie artistique déconnectée d'une activité domestique honteuse. Rien n'est cloisonné. Mon fils m'aide à apprendre mes textes, il vient aux répétitions, assiste aux pièces de théâtre avec moi… Les entreprises devraient davantage intégrer les enfants pour que les mères n'aient pas à les cacher pour monter les échelons. Cela ne doit pas nous permettre de mieux avancer de ne pas avoir "le problème" des enfants… Il ne faut pas scinder intimité et sphère professionnelle, mais imposer cette double et formidable dimension de nos vies de femmes.

AMOUR FOU, une mini-série en trois épisodes signée Mathias Gokalp, avec Clotilde Hesme, Jérémie Rénier, Majda Abdelmalek et Finnegan Oldfield...
A retrouver sur Arte jeudi 20 février à 20h50 et disponible sur arte.tv du 13 février au 20 mars.