Molière et l'affaire Tartuffe : rire, hypocrisie et flammes de l'enfer

L'affaire Tartuffe aurait (presque) pu se dérouler à notre époque. En 1664, sous l'impulsion d'une frange des dévots, Louis XIV interdit la représentation de la nouvelle œuvre de Molière, Tartuffe. Dans cette pièce de théâtre, l'hypocrisie a un manteau ecclésiastique. Le dramaturge y met en scène un faux dévot manipulateur : de quoi choquer l'Église. Face à cette censure, l'auteur impavide se lance dans une lutte pour la liberté d'expression. Retour sur cette histoire passionnante.

Molière et l'affaire Tartuffe : rire, hypocrisie et flammes de l'enfer
© DELALANDE RAYMOND/SIPA

C'est un épisode de l'Histoire qui résonne étrangement avec le débat public de notre époque. Peut-on rire de tout ? La liberté d'expression doit-elle être limitée ? La religion est-elle un sujet trop sensible et donc intouchable ? Brûlez Molière, fiction portée par Dimitri Storoge et diffusée le 13 mai à 21h05 sur France 2, avant la cérémonie des Molières, nous replonge dans la France du XVIIe siècle, au sein de la cour royale de Louis XIV, pour nous conter le récit de l'affaire Tartuffe, du nom de la pièce de Molière, qui, sur ordre du roi, est interdite à la représentation afin de ne pas froisser l'Eglise. La raison ? Le dramaturge y brosse un portrait critique d'un dévot hypocrite et manipulateur, qui tente de dépouiller une famille. Malgré les obstacles, l'auteur lutte bec et ongles contre la censure, afin d'être libre de jouer sa pièce comme bon lui chante.
Nous sommes en mai 1664. L'intrépide Molière se confronte à une situation risquée : il doit présenter sa nouvelle œuvre théâtrale durant les festivités des Plaisirs de l'Île Enchantée, prestigieuse réception où les plus influentes personnalités du royaume prennent part, dont Louis XIV, ce roi ubiquiste qui lui offre un soutien sans faille… du moins, jusqu'à la représentation de la pièce.

L'affaire Tartuffe : rire de la religion, l'ultime affront 

Si dans le public, les spectateurs rient à gorge déployée face au personnage savoureusement ridicule du faux bigot Tartuffe, l'œuvre, subtile à souhait, ne fait pas l'unanimité. "Ces gens, qui par une âme à l'intérêt soumise, font de dévotion métier et marchandise, et veulent acheter crédit, et dignités, à prix de faux clins d'yeux, et d'élans affectés", lit-on dans Tartuffe. De quoi déclencher l'ire de l'Eglise et ses dévots. Offusquée par la description péjorative qui est faite des religieux (et surtout, déterminée à acculer Jean-Baptiste Poquelin, alias Molière, qu'elle perçoit comme un affreux libertin), la Compagnie du Saint-Sacrement veut faire interdire la pièce. Cette assemblée secrète qui condamne la déliquescence morale est protégée par Anne d'Autriche, mère du Roi-Soleil et ennemie de Molière, et se mêle impudemment aux affaires du roi.
Ce n'est pas la première fois que le dramaturge se rit des travers de la société dans une œuvre. Dans L'Ecole des Femmes, il dénonce la tyrannie masculine dans le mariage et se fait le critique de la préciosité, manière guindée d'embellir la grammaire française, dans les Précieuses Ridicules. Néanmoins, cette fois, c'est la religion qui est piquée à vif. Un sujet sensible, pour lequel conflits d'intérêt et luttes d'influence rentrent en compte.

L'affaire Tartuffe : les dévots partent en croisades contre Molière

Le père Roulé, un curé parisien, rédige un virulent pamphlet contre le dramaturge et tranche même : "Molière doit périr dans les flammes". C'est donc à contre-cœur que Louis XIV somme le dramaturge de ne pas jouer cette pièce en public pour l'instant.
Pour prendre sa revanche contre les bigots, l'auteur écrit donc son célèbre Dom Juan, où il présente un protagoniste libertin et amoral qui finit par périr dans les flammes. Le véhément Molière se serait-il rangé du côté des dévots ? Que nenni ! Cette nouvelle œuvre est une diatribe sous-jacente contre la religion. Toutefois, personne n'est dupe.
Le dramaturge tente donc de sauver son Tartuffe en modifiant les passages les plus controversés du texte et en le renommant Panulphe ou l'imposteur. Surtout, il change la fin du récit et fait intervenir le Roi-Soleil lui-même en tant que résolveur de son intrigue, à la manière d'un deus ex machina, procédé théâtral qui fait apparaître une divinité (ou un roi, dans ce cas) sur scène.

L'affaire Tartuffe : échec et mat

Une fois les changements opérés, le dramaturge montre l'œuvre au légat du Pape en personne, qui la juge réussie. Audacieux, il fait même dépêcher des émissaires pour jouer la nouvelle version de la pièce devant Louis XIV, alors parti sur le front pour la guerre de Dévolution, en Espagne. Résultat ? Le souverain accepte d'intégrer la pièce au programme du théâtre du Palais-Royal. 1-0 pour Molière !
Pourtant, la victoire n'est qu'éphémère. Le 6 août 1667, soit le 2e jour de la représentation du spectacle, la police ferme le théâtre, sous les ordres de Guillaume Ier de Lamoignon, président du Parlement de Paris. Une ordonnance qui interdit de lire ou représenter la pièce sous peine d'excommunication est publiée. Cette fois, c'en est trop. L'impavide Molière envoie un placet au roi pour lui demander des comptes. Enfin, Louis XIV muselle les dévots et clôt la polémique en autorisant le dramaturge à jouer son Tartuffe d'origine, sans les dernières modifications dont la visée était d'apaiser les ardeurs des bigots scandalisés. Le Roi-Soleil résout l'intrigue… à la manière du Deus Ex Machina. Baisser de rideau.

Ne manquez pas la 31e cérémonie des Molières, retransmise en léger différé, le 13 mai à 22h45 sur France 2. La cérémonie sera précédée de la fiction Brûlez Molière !, réalisée par Jacques Malaterre et portée par Dimitri Storoge.