Julien Clerc : "Je préfère me voir à travers les yeux des autres"

Julien Clerc nous enchante, en tandem, avec l'album DUOS, où il revisite ses chansons incontournables en belle compagnie : Francis Cabrel, Sandrine Kiberlain, Carla Bruni... Musicien exigeant, mais aussi amoureux romantique, père de famille attentif et roi des fourneaux, le séduisant dandy réagit avec humour, répartie et talent lorsqu'on lui révèle les recherches associées à son nom sur Internet... Confidences.

Julien Clerc : "Je préfère me voir à travers les yeux des autres"
© Martin Lagardere

Quand les gens tapent votre nom sur Google, ils recherchent en priorité "âge", "jeune", "naissance"…
Julien Clerc :
C'est drôle ! Depuis que j'ai 16 ans, on me dit que je fais plus jeune que mon âge… J'ai longtemps été "l'éternel ado"… Là, j'ai fêté mes 72 ans alors on demande mon secret… Je ne fais rien ! La chirurgie ? La médecine esthétique ? J'aurais bien trop peur, je suis tellement douillet !

Les internautes s'intéressent aussi à votre famille…
Julien Clerc : Certains pensent que je viens d'Afrique du Nord, alors que je suis un métis issu de deux milieux sociaux très différents.
Mon père a épousé une femme beaucoup plus jeune que lui, d'origine guadeloupéenne, qui était la fille de la femme de ménage de son père... Je suis né en 47. Fait rare, j'ai été élevé par mon père, un personnage très intelligent, haut-fonctionnaire, gaulliste, féru de musique classique qui a obtenu ma garde… Nous vivions à Bourg-la-Reine, mais je continuais de voir ma famille maternelle, des communistes qui habitaient dans le 14e arrondissement et adoraient la Variété. Je suis donc le produit rare de deux France qui cohabitaient. Avec le recul, je me suis rendu compte de cette richesse. C'est une chance sur le plan émotionnel, cela m'a permis de comprendre le monde différemment. 

Voilà pour votre ascendance, mais ils sont aussi curieux de connaître vos enfants !
Julien Clerc : Je ne me suis jamais épanché sur ma vie privée. J'ai refusé un nombre incalculable de couvertures de magazines, même quand ils étaient plus petits, pensant que ça me servirait plus à moi qu'à eux. Ils ont été élevés à l'écart des médias et se sont forgés leur propre personnalité. Par exemple, Jeanne et Barnabé ont toujours essayé de cacher l'identité de leur père à l'école. Vanille, la rigolote, en était moins gênée…

© Martin Lagardere

Mes enfants ont choisi le milieu artistique et font parler d'eux pour ce qu'ils sont. Différemment selon leurs mères. Les deux filles que j'ai eues avec Miou-Miou : Angèle (45 ans), la fille de Patrick Dewaere mais que j'ai élevée dès ses 18 mois, puis notre propre fille, Jeanne (41 ans), sont restées dans le milieu du cinéma. Jeanne a fait le Conservatoire et réalise des films, et Angèle écrit des séries policières pour la télévision.
Vanille (31 ans, fruit de ses amours avec Virginie Coupérie-Eiffel, ndlr), contre toute attente et après de brillantes études, nous a annoncé qu'elle allait faire un disque (rires) ! Elle a osé le même terrain que son père, ce qui est, à mon sens, très difficile.
Son frère Barnabé, qui déteste qu'on parle de lui, étudie le graphisme et la peinture aux Beaux-Arts.
Le plus jeune, Léonard (qu'il a eu avec sa compagne actuelle, Hélène Grémillon, ndlr) est trop petit pour savoir, mais à 11 ans, il est musicien et a une très bonne oreille…

"Nous sommes en couple et l'on se vouvoie"

Une autre information qui intrigue : qui est celle qui partage votre vie…
Julien Clerc :
Quand j'ai connu Hélène (Grémillon, ndlr), elle commençait à écrire. Je pense que les gens connaissent son nom parce qu'ils savent que nous sommes en couple, que nous avons une grande différence d'âge (30 ans) et que l'on se vouvoie. Mon épouse est écrivain et c'est une femme brillante. La seule fois où nous avons joué le jeu des journalistes au détriment de notre intimité, c'est en acceptant des photos pour notre mariage.

Ils s'interrogent aussi sur votre rapport à Dieu…
Julien Clerc : J'ai toujours professé ne pas être religieux. Tous les grands problèmes et déchirements des civilisations sont occasionnés par la religion. Cependant, quand je me suis marié la première fois, en 1985, je l'ai fait à l'église parce que je me sens catholique culturellement, sans pratiquer.

"Avec Carla Bruni,  c'est une histoire d'amitié qui n'est pas passée par le stade amant"

Votre nouvel album DUOS est Disque d'Or. Qu'est-ce qui a motivé le choix de chansons et de ceux qui les interprètent avec vous ?
Julien Clerc :
Il m'a semblé nécessaire que ce soit des "incontournables", c'est-à-dire, la quinzaine de titres qui figurent dans mes tours de chant et cimentent mon public. Même ceux qui ne m'aiment pas les connaissent !
Pour les artistes, je cherchais des signatures vocales fortes.  J'ai une qualité, c'est de reconnaître la musicalité. Ceux que j'ai choisis, Calogero, Christophe Maé, Vianney, sont des bons…
Avec tous, il y a quelque chose : un travail commun, une connivence, une fraternité avec Cabrel ou Leforestier…  Par exemple, Carla Bruni, c'est une rencontre rare parce que c'est une histoire d'amitié homme-femme qui n'est pas passée par le stade "amant". C'est précieux. 

Avez-vous encore des choses à prouver ?
Julien Clerc :
Oui, des choses à me prouver, à chaque instant : que je suis encore créatif, capable de me mettre au piano et d'inventer une mélodie. Si je ne devais vivre que sur mon passé ou mon répertoire, ce serait une immense peine.

Vous faites partie du paysage depuis SLC et les Yéyés… La célébrité modifie-t-elle le rapport qu'on a envers soi-même ?
Julien Clerc :
On fait ce métier pour être aimé, mais cela n'a jamais été mon unique moteur. J'étais jeune, 18 ans, évidemment j'espérais rencontrer des filles et gagner de l'argent, mais je me suis rapidement rendu compte que ce n'était pas cela le plus important. Nous, les baby-boomers, avons profité d'une ébullition qui nous a permis d'oser. On rêvait d'un monde meilleur, il y avait ce mur à l'Est à faire tomber, cette guerre du Vietnam à arrêter, etc…
Sur le plan artistique, les gens qui nous ont donné envie de faire de la musique étaient des inventeurs : Brassens, Aznavour, Barbara…

© Martin Lagardere

Et vous avez déployé cet art et fait émergé une parole. Avez-vous donné du sens à votre vie, de cette manière ?
Julien Clerc :
Absolument ! J'ai eu la chance, bien que je ne le ressentais pas ainsi au début, de n'être que musicien. Je voulais tellement faire une composition originale qu'il fallait que je trouve un auteur… Tomber sur Etienne Roda-Gill a été un coup de chance inouï : il avait une personnalité si atypique, si talentueuse. Il a mis d'emblée la barre très haut. Ses chansons m'accompagnent encore aujourd'hui, mais au début, les gens me regardaient bizarrement quand je chantais "Le Coeur Volcan" ou "Le Patineur" (rires). 

"C'est une preuve de santé mentale que de ne pas aimer se regarder"

Cette passion qui vous anime vous a-t-elle isolé de la réalité ?
Julien Clerc :
Du monde, peut-être, mais ça ne m'a pas gêné. J'ai fait The Voice parce que l'émission me mettait face à ce que j'avais soigneusement évité toute ma vie : écouter des jeunes qui chantent des tubes qui ne me plaisent pas, être obligé de mettre des mots sur mon ressenti et m'exprimer avec empathie… Parler à la télé, quelle gêne, quelle souffrance ! Je préfère me voir à travers les yeux des autres. J'avais un ami philosophe, François Georges, qui m'avait dit que c'est une preuve de santé mentale que de ne pas aimer se regarder. Je crois que je suis sain d'esprit depuis 50 ans !

Le succès ne vous a jamais fait tourner la tête ?
Julien Clerc : Grâce à mon éducation, j'ai toujours considéré cette partie du métier et les egos surdimensionnés en souriant et avec distance. Je n'ai jamais non plus été une star avec des pics de ventes à la Goldman. Je pestais au début, mais cela m'a permis d'être un type populaire sans cesse sur un chemin de traverse…

"Je cuisine, je fais les courses..."

Quels sont vos plaisirs simples ?
Julien Clerc :
Au fil de ma carrière, j'ai toujours gardé les pieds sur terre.  Ma fille Jeanne dit "papa passe de son piano au sauté de veau". Elle a raison ! Je cuisine, je fais les courses… Je suis toujours resté ancré dans le quotidien. Les femmes que j'ai aimées détestaient l'intendance, moi ça me plaît ! 

Savez-vous qui vous êtes, aujourd'hui ?
Julien Clerc : 
J'ai commencé très jeune à me poser des questions sur mon identité. Dans les westerns, j'étais indien. Plus le temps passe, plus je me sens antillais. J'ai eu une révélation en volant le Code Noir chez Raphaël Enthoven. À l'intérieur, on trouve les obligations des maîtres envers leurs esclaves, qui étaient considérés comme des meubles, au mieux comme des animaux. Au début de ce livre, il y a un merveilleux texte de Christiane Taubira sur ce que partagent les descendants d'esclaves : s'endormir sur le côté droit, le goût pour les abats…

Sauté de veau, abats… Vous n'êtes pas vegan ?
Julien Clerc : Non, je consomme de la viande, mais je comprends qu'on soit végétarien. J'ai un fils qui l'est. Je comprends son combat et je trouve qu'il a raison. Moi j'ai eu la chance de vivre une autre époque, où la Terre et ses ressources étaient moins exploitées, méprisées…

Avez-vous toujours su vous protéger de ceux qui n'étaient attirés que par votre célébrité ?
Julien Clerc :
Je n'ai eu que très peu de problèmes. Il y a des gens qui m'accompagnent depuis le début, ils sont présents à chaque concert… J'ai un rapport avec eux un peu sauvage, c'est ma nature. Je n'ai jamais voulu de clubs de fans, mais je sais ce que je leur dois. On a vieilli ensemble... Heureux homme, j'ai été aimé par des gens biens !  

DUOS, Julien Clerc, avec Carla Bruni, Zaz, Christophe, Vianney, Calogero, Soprano, Christophe Maé...