Lou Doillon : "Être le personnage principal est angoissant"

Dans son nouvel album "Soliloquy", Lou Doillon se dévoile avec pudeur. Ce troisième opus aux sonorités électro, agrémenté de morceaux puissants, presque théâtraux, contraste avec la musique de ses débuts, plus fragile. Un changement qui n'est pas dû au hasard. Inspirations, famille, féminité, maternité : la chanteuse de 36 ans se raconte au Journal des Femmes.

Lou Doillon : "Être le personnage principal est angoissant"
© Craig McDean

"Je suis un véritable buvard", lâche Lou Doillon, confortablement installée sur les fauteuils en cuir du showroom parisien Gibson. Pour créer, l'auteur-compositrice-interprète s'inspire de son quotidien, du monde qui l'entoure, de ses lectures. C'est ce que nous raconte cette douce rebelle, regard pétillant et sourire aux lèvres. Pour Soliloquy, son 3e opus, disponible dans les bacs, la chanteuse de 36 ans a été bien inspirée. Son côté fragile, amplifié lors des anciens morceaux à la guitare acoustique ? Elle l'a mis au placard pour proposer un nouveau son puissant, à base de guitares électriques et d'envolées musicales envoûtantes. Troublante de charisme, Lou Doillon ressemble à sa musique : dynamique, hypnotique, à la fois chaleureuse et pudique (un trait de caractère qu'elle hérite de l'influence anglo-saxonne de sa mère Jane Birkin). Rencontre. 

Le Journal des Femmes : Soliloquy, votre album, a des sonorités plus électroniques qu'avant. Pourquoi ce changement ?
Lou Doillon :
 C'est assez morbide de vouloir refaire ce que l'on a déjà fait. J'avais envie de voir si mes chansons pouvaient être sorties de leur endroit de création. Je continue de les écrire sur une guitare acoustique, mais j'ai voulu me réinventer, me surprendre, m'amuser. Alors, j'ai commencé à faire des démos qui sont d'emblée à base de guitare électrique. C'est un peu comme faire le même dessin, avec un marqueur à la place d'un fusain. Cela amène de la fantaisie !

Si je vous demandais de choisir un titre sur l'opus, le premier morceau qui vous viendrait à l'esprit serait...
Lou Doillon : 
Nothings ! C'est la chanson la plus profonde, la plus ouvertement sensible. Elle parle du rapport que l'on a avec les gens. Quand on est amoureux, on se rend compte que ce que l'on aime chez une personne, c'est rarement ce qui est évident. On a beau penser que l'on a des jolis yeux et un nez affreux, si tout va bien, la personne qui était amoureuse de nous aimait justement ce nez étrange, ces petites bizarreries. Cela m'est déjà arrivé et ça m'a rendu perplexe ! (Rires). Lorsque l'on décrit quelqu'un et que l'on s'attarde sur ses "points culminants", on perd tout ce qu'est une personne. Peut-être que les gens sont ce qui nous échappe : la seconde avant une larme, un rire, quand ils ne voient pas qu'on les regarde.

La chanson Widows évoque la puissance féminine. De quoi vous êtes-vous inspirée ?
Lou Doillon : 
J'aimais l'idée d'une congrégation des femmes, peut-être dans une forêt, qui récupèrent l'amour qu'elles ont donné à un sale type, par exemple. J'ai lu un livre assez beau de Camille Paglia, qui parlait du fait que nous sommes des créatures liquides, entre le lait, le sang, nous accouchons entre nos jambes.... L'homme, par opposition, a un sexe qui peut projeter, cela renvoie à ce qu'il peut gérer. Ce qui est fabuleux avec le corps féminin, c'est que l'on passe notre vie à travailler avec ce que l'on ne gère pas. Nous sommes comme le lac, la mer, la lune : ça bouge, c'est cyclique…

Qu'est-ce qui vous plaît dans le fait d'être une femme ?
Lou Doillon : 
Notre mystère. On voit à quel point on doit s'y adapter. Par exemple : l'adolescence pour une fille. Apprendre que beaucoup de choses vont nous échapper, c'est troublant et fabuleux. Nous sommes des êtres mystiques.

"Le métier d'artiste est fait de solitude et de terribles doutes."

Vous êtes devenue maman à 19 ans (avec le musicien John Ulysses Mitchell, elle a eu Marlowe, 16 ans aujourd'hui), un épanouissement de femme, mais un obstacle à une carrière artistique ? 
Lou Doillon : Cela n'a pas été facile. Je ne conseille pas de le faire, mais, lorsque l'on a un enfant avant 20 ans, il y a une grande part d'innocence, on y va avec le côté "tête brûlée" des ados. Aujourd'hui, l'idée de refaire un enfant me plaît beaucoup, mais je vois tout de suite le côté pratique. Est-ce que je vais assurer ? Ai-je assez de sous ? À 19 ans, on ne se pose pas la question, on est déjà convaincu que l'on sait le faire. Et finalement, c'est assez vrai. On découvre au fur et à mesure que l'on apprend "sur le tas". Ce qui est génial avec les enfants, c'est leur singularité. On ne peut pas savoir à l'avance qui on aura en face. On aura beau se préparer, on est jamais vraiment prêt. C'est une rencontre...

Cette "rencontre" a donc été une belle surprise…
Lou Doillon : 
Cela a été merveilleux ! Surtout lorsque l'on exerce un métier où l'on passe son temps à être obsédé par soi-même. Tu as beau être Mariah Carey, l'enfant s'en fout, tu es simplement sa mère. Dans la vie, c'est très angoissant d'être le personnage principal. Devenir secondaire, c'est libérateur, on est obligé de faire confiance à la vie.

Et si votre fils vous annonçait qu'il souhaitait se lancer dans une carrière artistique ?
Lou Doillon : Quand j'ai commencé ce métier, je savais que ça allait être compliqué, mais j'avais vraiment envie d'y aller. Heureusement, mon fils est quelqu'un de très sain. J'ai fais attention de lui montrer le travail que nécessite une carrière artistique, au-delà des paillettes et de la célébrité. Il a aussi vu la solitude et le terrible doute que cela implique. Accepter que l'on ne saura jamais où l'on est dans 6 mois, si on aura des sous l'année prochaine, si cela marchera… C'est travailler avec un inconnu insensé. Il faut un sacré caractère pour aimer ce danger. Pour mon fils, tout ça est vraiment trop compliqué (rires) ! Il y a un vrai désir de stabilité chez lui, contrairement à sa mère !

Jane Birkin, votre mère, a publié son journal intime Munkey Diaries. Vous n'aimeriez pas vous plonger dans cette lecture ?
Lou Doillon : 
Pour l'instant, je n'en ai pas ressenti l'envie. D'ailleurs, personne ne l'a lu parmi ses enfants. Lire les détails de la vie érotique de ma mère, c'est trop étrange pour le moment ! (rires) Mais effectivement, plus tard, pourquoi pas ! C'est émouvant de lire les confidences de nos proches lorsqu'ils ne sont plus là.

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Lou Doillon - Soliloquy © Craig McDean

En quoi votre nom et votre famille ont-ils influé sur votre carrière ?
Lou Doillon : 
La notoriété et le succès font que l'on est dans l'extrême des choses. Pour moi qui ai toujours eu envie de vivre fort, cela a été une chance. Quoique je fasse, il y a toujours eu une réaction de la part des gens. Ce qui est moins rigolo, c'est qu'en face, on ne fait pas forcément la part des choses. On a l'impression de faire partie d'un bloc. On se dit qu'il n'y a plus de singularité.

Soliloquy, qu'est-ce que cela évoque ?
Lou Doillon : 
Il m'arrive de me parler à moi-même. Peut-être est-ce dû au fait d'avoir beaucoup vécu seule. En général, cette deuxième voix est observatrice, elle a de la distance sur nous, elle nous rappelle à quelque chose.

Pourquoi avoir nommé votre album ainsi ?
Lou Doillon : 
J'ai beaucoup de mal à nommer les choses. On m'a mis tellement d'étiquettes que je n'aime pas beaucoup ça. Donc, je me défile jusqu'au dernier moment. J'ai trouvé une sorte de gag : je me suis dit que la dernière chanson que j'enregistrerais servirait de titre pour mes albums. Souvent, je me rends compte un an après que ce titre était très significatif. L'inconscient est étrange ! Par exemple, j'ai appelé mon 2e album Lay low. Aujourd'hui, quand je revois la thématique de l'opus et la pochette, je me rends compte que ce nom correspondait à la période que j'ai traversée, alors que tout cela s'est fait à l'instinct. C'est l'album de quelqu'un qui s'est mis en retrait, parce qu'une carrière, ça fout la trouille, parce que la vie personnelle m'a rattrapée et qu'il s'est passé des choses compliquées, comme le décès de ma sœur (Kate Berry, décédée en décembre 2013 après une chute du quatrième étage, NDLR). Pour l'instant, je ne suis pas sûre de la raison pour laquelle j'ai appelé mon 3e album Soliloquy. J'aimais la notion de théâtralité qu'évoque ce mot. Je voulais mettre en scène cet album, être une sorte de transmetteur de sentiments. Finalement, il s'agit de revêtir des masques : la jalousie, la tristesse, la voix, l'angoisse...

Vous n'avez pas côtoyé les plateaux de tournage depuis 2012. L'idée de refaire du cinéma vous séduit-elle ?
Lou Doillon : Ces dernières années, c'était tellement nouveau de devoir incarner qui je suis, que je n'avais pas la générosité de me mettre au service de l'histoire de quelqu'un. J'ai mis du temps à me stabiliser. Maintenant, je me sens prête à me laisser embarquer. L'idée d'entrer dans la rêverie de quelqu'un et n'avoir rien à assumer est séduisante. Le côté auteur-compositeur-interprète, c'est un peu terrible. C'est à moi de mettre en scène mes albums, pratiquement tout repose sur mes épaules… Donc, à la fin de cette tournée, s'il l'on me propose un rôle intéressant, pourquoi pas ! Toutefois, cela ne dépend pas totalement de moi. Je peux me poster en bas des fenêtres des réalisateurs avec des petits panneaux en disant : "faites-moi tourner !" (rires), mais ce sont eux qui décident !

Découvrez le nouvel album de Lou Doillon, Soliloquy, désormais dans les bacs !