Guillaume Musso : "J'ai toujours une dizaine de thèmes et d'histoires en réserve"

INTERVIEW - Alors que l'oeuvre de Guillaume Musso est rééditée aux éditions Pocket avec de nouvelles couvertures, nous avons rencontré l'auteur préféré des Français pour évoquer son métier et son incroyable succès.

Guillaume Musso : "J'ai toujours une dizaine de thèmes et d'histoires en réserve"
© Lefevre Sylvain/ABACA

On ne présente plus Guillaume Musso. Près de 15 ans de carrière, autant de romans tous devenus des best-sellers, 25 millions d'exemplaires vendus à travers la planète. À 42 ans, il est l'un des romanciers les plus lus au monde et la sortie de chaque ouvrage est précédée d'une attente monstre.
A l'occasion de la réédition de son oeuvre aux éditions Pocket, agrémentée de nouvelles couvertures, Le Journal des Femmes a rencontré l'écrivain, chez XO Editions, au 47e étage de la tour Montparnasse. Une prise de hauteur indispensable pour avoir une vue imprenable, non pas sur Central Park, mais sur tout Paris et la carrière de Guillaume Musso. Avec lui, nous avons parlé de son rapport à la lecture, de sa méthode de travail et de beaucoup d'autres choses.

Le Journal des Femmes : Comment avez-vous découvert la lecture ?
Ma mère était bibliothécaire, donc j'ai grandi au milieu dans les livres. Je crois que j'avais 11 ans, c'était pendant les vacances de Noël, chez mes grands-parents. Il y a eu une coupure d'électricité, donc plus de télé et dans la bibliothèque de mon grand-père, il y avait 2 livres : les mémoires du Général de Gaulle et Les Hauts de Hurlevent, d'Emily Brontë. La lecture de ce roman tumultueux, gothique, passionné a eu un impact assez important sur l'enfant que j'étais. Ce pouvoir des mots m'a vraiment marqué. J'ai commencé à beaucoup lire, je passais mes vacances dans la bibliothèque municipale dans laquelle travaillait ma mère. A 15 ans, en seconde, un prof de français a organisé un concours de nouvelles et j'ai écrit un texte très influencé par mes lectures de l'époque. C'était un mix entre Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, et Stephen King. J'ai gagné ce concours et été marqué par le fait que quelque chose sorti de mon imaginaire puisse avoir avoir un écho chez les autres. Le passage à l'acte et la décision d'écrire un roman sont venus après un accident de voiture. J'ai eu envie d'en parler à travers une fiction. Ça a été le prélude à Et Après..., mon premier succès.

L'envie d'écrire est donc arrivée assez vite ?
Oui, parce que la lecture entraîne l'écriture. C'est ce que dit Mario Vargas Llosa : la lecture et l'écriture répondent à une prise de conscience que la vie est mal faite et à cette idée qu'en écrivant, on peut corriger ça. La fiction a un pouvoir, à la fois comme échappatoire, comme divertissement et comme moyen de réparer la réalité. Dans le monde d'aujourd'hui, technologique à tout-va, les mots ont toujours un pouvoir. Paul Auster disait qu'un roman, c'est le seul endroit au monde où deux étrangers peuvent se rencontrer de façon intime. Celui qui l'a écrit livre souvent de son intimité et pour celui qui le lit, la lecture est un acte privé. Regardez comme on déteste quand quelqu'un lit par dessus notre épaule. Le fait que cette relation perdure aujourd'hui, au début du XXIe siècle, est assez fascinant.

Qu'auriez-vous fait si vous n'aviez pas rencontré le succès en tant qu'écrivain ? Vous auriez continué à enseigner ?
J'ai été professeur d'économie pendant 10 ans. Dix ans, c'était un bon cycle. Une bonne partie de mes histoires, c'est toujours "et si ?". Je ne sais pas quelles auraient été mes envies, mais la fiction aurait quand même été présente. Il y a tellement de canaux aujourd'hui par lesquels on peut raconter des histoires. Je serais de toute façon passé par la case fiction ou le journalisme. J'aime bien cette idée d'être un vecteur de culture, de transmettre quelque chose.

Comment avez-vous trouvé votre style et quand avez-vous su que c'était le bon ?
J'ai eu deux carrières. J'ai d'abord été connu pour des histoires qui avaient une tonalité surnaturelle, fantastique, où l'amour était assez présent.  L'idée au départ, c'était d'utiliser le surnaturel comme un moyen ludique de parler de choses graves. Un film comme Sixième Sens parle du deuil à travers une histoire de fantômes. C'est pareil pour les films de Capra. Le cinéma d'Hollywood, dans les années 40, jouait beaucoup avec le surnaturel. Prenez les films de Mankiewicz, La Féline de Jacques Tourneur... Avec le fantastique, on peut dire beaucoup de choses… Quand j'ai eu fait le tour de ça, il y a 5 ou 6 ans, j'ai commencé une deuxième carrière plus liée au suspense, avec des romans qui s'apparentent à des thrillers. Ça correspond aussi à ce que j'aime lire en tant que lecteur. Mon seul credo, c'est d'essayer d'écrire le roman que j'aimerais lire.

Vous parlez de cinéma. Le 7e art fait-il partie de vos influences ?
Oui, je pense que c'est commun aux gens de ma génération, qui ont entre 25 et 40 ans et qui ont été élevés avec les séries, les BD, les mangas. J'ai cette double culture, une culture très classique par ma mère et une culture plus générationnelle liée à l'image. Mes premiers romans étaient très séquencés, scénarisés avec un rythme tendu. Ça s'est fait de façon assez naturelle. Les derniers sont plus posés dans le sens où je travaille plus sur l'atmosphère, les paysages.

Ce rythme de publication d'un livre par an, est-il conscient ? Est-ce quelque chose que vous vous êtes imposé ?
C'est surtout lié au fait de vivre entouré de gens normaux, qui se lèvent le matin pour aller travailler. J'aime travailler tous les jours.  J'ai été professeur pendant 10 ans et j'ai gardé ce rythme. Dans la vie d'un prof, la notion d'année est importante, elle est découpée en trimestres. Ça vous impose de ne pas vous laisser aller. De la même façon, je ne travaille pas chez moi. Vous n'avez pas de contrainte si vous travaillez chez vous, vous pouvez rester en pyjama. Je n'ai jamais aimé ça. Il y a des contraintes que je me mets moi, parce que je veux aussi que mon fils me voie partir le matin. Il n'y aura pas forcément un livre par an ad vitam aeternam. Il y a des moments dans la vie où vous êtes plus ou moins créatif. Là, il y a des idées et de l'envie. J'ai commencé à écrire assez jeune, mais je ne suis pas du tout lassé ou blasé. J'ai aussi envie de faire des choses différentes : je suis en train de travailler sur l'adaptation de La Fille de Papier en pièce de théâtre.

Avez-vous une journée de travail type ?  
J'en avais au début, mais je me suis aperçu assez vite que c'était une entrave. J'ai appris à pouvoir travailler presque n'importe où. Pendant longtemps, comme j'avais un autre métier à côté, j'écrivais la nuit. Je rentrais chez moi, je corrigeais mes copies, je préparais mes cours et je travaillais de 20 heures à 3h30 du matin. Je me levais à 7 heures et j'allais donner mes cours. Ça va quand vous avez 25 ans et que vous êtes en forme physiquement. Quand vous avancez en âge, vous ne pouvez plus faire ça parce que le corps ne tient plus et parce que ce n'est pas compatible avec une vie de couple et de famille. J'ai appris à réorganiser tout ça en ayant aujourd'hui des journées classiques, 9h-19h, mais en ne faisant pas qu'une seule chose. J'écris, je fais des recherches, je fais parfois un travail qui s'apparente à celui de journaliste en allant rencontrer des gens, en faisant des interviews. J'ai suivi un fleuriste à Rungis pour écrire l'un de mes romans; une autre fois, un luthier; j'ai rencontré le chef pâtissier Pierre Hermé pour connaître les ressorts de la créativité… Mon prochain livre se passe dans le milieu de l'art contemporain donc depuis 2 ans, je fréquente des gens qui font partie de ce milieu. Ecrire est une activité solitaire, mais quand même très ouverte sur les autres.

L'écriture de romans ancrés dans le réel a été une évidence ? Vous ne pourriez pas écrire de la science-fiction ou de la fantasy par exemple ?
C'est venu naturellement, sans que je me pose la question. Je pense que j'aurais beaucoup de mal à sortir de ça. J'ai 2-3 projets de romans qui ne se passent pas à notre époque, mais ce n'est pas  ma priorité.

Avez-vous déjà été confronté au syndrome de la page blanche ?
Absolument pas. J'ai toujours une dizaine de thèmes et d'histoires en réserve que je voudrais traiter. Ce n'est pas tant le problème de la page blanche, que de savoir quelle histoire traiter à l'instant T. C'est un peu comme une histoire d'amour : on dit que c'est la bonne personne au bon moment. Un bon roman, c'est la même chose. Ça doit être la bonne histoire au moment où vous, personnellement, êtes le plus apte à l'écrire. Le thème de la paternité est présent dans mon dernier livre, La Fille de Brooklyn. Quand je l'ai écrit, mon fils avait 2 ans, il était là tout le temps et forcément ça cannibalisait mon esprit. J'avais essayé de l'écrire 1 an ou 2 avant et je pense que le livre aurait été moins juste.

Pourquoi les Etats-Unis sont si présents dans vos histoires ?
C'est souvent réducteur dans les interviews. La moitié de mes romans ne se passent pas aux Etats-Unis et je me limite souvent à New York qui est une ville à part, une ville-monde. Il y a une fascination pour cette ville que j'ai connue à 18 ans. J'y ai travaillé et j'y retourne souvent, mais je n'ai pas du tout une passion pour l'Amérique ou les valeurs américaines, sinon j'habiterais aux Etats-Unis. Je ne peux pas dire que je connaisse les USA. Je connais le Nord-Est, je connais bien New York, Boston, la Californie, mais l'essence du pays m'échappe complètement et ne me fait pas rêver. J'habite à Paris parce que ma famille est là. Le fait de situer mes histoires à New York permet de mettre de la distance entre le quotidien et la fiction. C'est surement plus simple quelque part.

Plusieurs de vos romans ont été adaptés au cinéma ou la télévision. Avez-vous eu une appréhension à voir vos histoires vous échapper ?
Non, parce que personne ne vous oblige à vendre vos droits. Il y avait plutôt une curiosité. Pour moi, ce n'est pas un aboutissement. D'ailleurs, je ne travaille jamais sur les adaptations, même si on me le propose. Je consacre tout mon temps à mes livres. C'est plus intéressant pour moi d'écrire une nouvelle histoire que de me replonger dans une autre où j'ai déjà donné une version que j'estime achevée, sinon, le roman ne serait pas sorti. Il y a 2 projets intéressants en cours : une adaptation de Central Park, sans doute en anglais, par Mars Films et une série, un 6 x 52, tirée de L'Appel de l'Ange. Ce sont des projets avec une vraie volonté artistique. J'ai refusé la plupart des adaptations parce que je ne sentais pas de vrai projet derrière, il y avait juste une envie d'acheter les droits d'un livre qui était dans les classements des meilleures ventes. Je suis plutôt content de l'adaptation de Et Après avec Romain Duris, John Malkovich et Evangeline Lilly. C'est fait avec le chef opérateur de Wong Kar-wai. C'est assez lent, mais esthétiquement c'est très beau. Ça avait un intérêt artistique d'adapter ce roman. Le réalisateur, Gilles Bourdos, est un esthète qui fait des plans très léchés. Ça amenait une valeur ajoutée à mon histoire.

Votre statut d'auteur reconnu est-il synonyme de pression ?
C'est à vous de ne pas vous la mettre. C'est un exercice mental de se dire "je vais essayer de me remettre dans les conditions psychologiques et psychiques qui étaient les miennes quand j'ai écrit mon premier roman sans savoir s'il allait être publié". J'essaie de ne pas décevoir mes lecteurs. Oui, ça me gênerait qu'on dise qu'on n'a pas apprécié un livre, mais c'est le jeu, c'est pareil pour tous les arts. J'essaie de faire mon métier de la façon la plus sérieuse qui soit et en essayant de respecter le même credo : écrire des romans qui me plairaient à moi en tant que lecteur. Jusqu'à présent, ma sensibilité est entrée en écho avec celle du plus grand nombre. Si demain ça devait ne plus être le cas, tant pis : on peut écrire de bons livres sans que ceux-ci soient vendus à des centaines de milliers d'exemplaires. Donc il n'y a pas de pression plus grande que ça.

Comment mûrissent vos histoires ?
Ça dépend. Il y a des histoires qui sont restées en jachère pendant 10 ans, comme Central Park. Ça faisait 10 ans que j'essayais de raconter une histoire autour de la maladie d'Alzheimer. Je stockais sur mon ordinateur des tonnes et des tonnes d'articles médicaux sur les avancées, les thérapies, des témoignages. J'avais envie de traiter de ce thème-là, parce que je trouvais ça dramatique, fascinant, émouvant, mais l'histoire ne venait pas. Il y a parfois des choses que vous avez vécues vous-même. Pour L'Appel de l'Ange, j'ai un jour échangé mon portable avec une Américaine à l'aéroport de Montréal. Je trouvais que c'était un début d'histoire assez fort et pendant 3 ans, j'avais cette idée en tête. Je l'ai racontée à mes copains qui m'ont dit "ça a l'air bien, il se passe quoi après?". D'un coup, vous avez le déclic. Il n'y a pas de règles, mais la plupart des histoires ont au moins 3 ans de maturation.

Qu'est-ce qu'un bon personnage pour vous?
C'est un personnage qu'on a envie de retrouver, dont on veut comprendre les motivations. Ça peut être un personnage avec lequel on va être en empathie. Un méchant va être un bon personnage s'il est suffisamment fascinant pour que le lecteur s'intéresse à lui et ait hâte de rentrer le soir pour continuer la lecture.

Au cours de la phase de rédaction, faites-vous relire vos écrits ?
J'ai 2 lectrices : ma compagne et mon éditrice, Caroline Lépée. Ce n'est pas fréquent dans le monde des auteurs, mais j'aime bien faire relire chapitre après chapitre. J'écris mon roman de façon chronologique, je commence par le début. J'aime cette idée de progression, de crescendo. Je travaille toujours avec Caroline Lépée qui a accepté mon premier roman. Elle a mon âge, mais elle m'a connu avant le succès. Je ne peux pas lui dire : "J'ai vendu 20 millions de livres donc c'est forcément bon." Il y a une franchise dans son jugement et c'est assez précieux d'avoir des gens qui vous disent vraiment ce qu'il faut retravailler. Je suis d'ailleurs en attente de ça.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu'un qui voudrait se lancer dans l'écriture ?
Quand j'étais plus jeune, que je regardais des émissions littéraires à la télé et que cette question était posée, je trouvais toujours que les réponses des auteurs n'étaient pas super intéressantes ou utiles pour l'aspirant écrivain que j'étais. Le seul conseil, c'est de trouver sa voix, dans tous les sens du terme et d'essayer de faire quelque chose qui n'a pas forcément été fait auparavant. C'est paradoxal parce qu'il faut à la fois beaucoup lire pour voir ce que les autres font, avoir une culture romanesque et trouver quelque chose qui vous soit propre. Il faut trouver son talent, pas forcément ce que vous faites mieux que les autres, mais ce que vous faites de façon différente. Je crois que c'est le seul conseil véritable qu'on peut donner. Avoir un job à côté aussi.

Tous vos romans se suffisent à eux-mêmes. Vous n'avez jamais eu envie d'écrire une saga ou de décliner une histoire sur plusieurs tomes ?
Si et figurez-vous que mon prochain roman, Un Appartement à Paris, reprendra Madeline, le personnage féminin de L'Appel de l'Ange, mon premier thriller. Ce n'est pas tout d'avoir l'envie, parce j'ai envie d'écrire une trilogie depuis très longtemps, mais il faut l'histoire et les personnages.

Duquel de vos personnages vous sentez-vous le plus proche justement ?
Sans doute de Raphaël Barthélémy, le personnage masculin de mon dernier roman, La Fille de Brooklyn. C'est un romancier qui élève son fils de 2 ans. C'est l'un de mes 2 seuls romans écrits à la première personne. Je pense qu'on ne peut faire ça que si on a une certaine empathie.

En dehors de la lecture et de l'écriture, quelles sont vos passions ?
L'art contemporain, l'art moderne. J'adore la création culinaire, l'inventivité que peuvent avoir certains chefs. Tout ce qui tourne autour de la fiction, comme tout le monde : les séries télé... Et élever mon fils, ce qui prend beaucoup de temps. 

Quels sont vos livres de chevet ?
J'adore Le Prince des Marées, de Pat Conroy : c'est un gros livre avec du souffle, une vraie histoire, des personnages, des paysages incroyables, de la psychologie. C'est une histoire d'amour entre un entraîneur de football américain, en apparence assez rustre, et une psychiatre new-yorkaise. A travers cette histoire, on assiste à une psychanalyse de cet homme. Très bon livre. Il y a aussi Belle du Seigneur, bien sûr. J'adore aussi Le Hussard sur le Toit, de Giono. C'est un livre que vous pouvez relire à des moments différents de votre vie et vous y trouverez toujours quelque chose de très actuel : comment essayer de rester normal et digne quand le monde autour de vous devient fou ?

Quels conseils donneriez-vous à des parents qui désespèrent de faire lire leurs enfants ?
C'est assez drôle parce que les enfants très jeunes aiment lire. A 3 ans, ils aiment qu'on leur raconte des histoires. Le désamour arrive après, au collège-lycée. Quand j'étais enfant, le fait que ma mère bibliothécaire me répète constamment "il faut lire, il faut lire" a coupé mon envie à un moment. J'ai envie que mon fils soit lecteur, mais ça doit venir de lui-même. je vais essayer de faire en sorte qu'il soit toujours entouré de livres. C'est vraiment un problème de l'époque actuelle où on a l'impression qu'on ne s'ennuie jamais parce qu'on a toujours un smartphone sous la main. J'ai des souvenirs de vacances où le livre s'imposait parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Le plaisir venait après, une fois qu'on avait lu 50 pages. Le problème de la lecture, et ce qui en fait sa valeur, c'est qu'elle nécessite un effort.