Valérie Donzelli (AZURO) : "J'ai horreur du farniente, ça m'angoisse complètement"

Alors qu'elle s'apprête à tourner son prochain film, Valérie Donzelli la réalisatrice laisse place à l'actrice pour irradier l'écran dans AZURO de Matthieu Rozé, au cinéma le 30 mars. Rencontre avec une artiste en apprentissage constant, une acharnée de travail pas franchement fan des vacances.

Valérie Donzelli (AZURO) : "J'ai horreur du farniente, ça m'angoisse complètement"
© Valérie Donzelli pendant le Festival de la Fiction de La Rochelle, le 16 septembre 2021 - Laurent VU/SIPA

Matthieu Rozé l'avoue : Valérie Donzelli est sa passion cinématographique. L'actrice-réalisatrice de La Reine des pommes le lui rend bien en incarnant avec brio le premier rôle de son adaptation des Petits Chevaux de Tarquinia, de Marguerite Duras. Habituée à tourner sans ses propres films, Valérie Donzelli se jette à l'eau en acceptant de devenir le personnage principal d'Azuro, en salles le 30 mars. Elle y est Sara, la projection de Duras, cette mère adoratrice de son fils, perturbée par la beauté et le mystère de l'Homme pendant ses vacances au bord de la mer. Une femme insaisissable, impudique, mais loin d'être provocante que Valérie Donzelli personnifie avec grande classe. Le cinéaste capture magnifiquement ses regards incandescents et ses sourires à la dérobée.
Félicitée pour la série Nona et ses filles sur Arte, Valérie Donzelli assure la promotion de la pépite ensoleillée qu'est Azuro avant de reprendre les chemins des plateaux pour son prochain long-métrage en tant que réalisatrice : L'Amour et les forêts. Entre deux préparatifs, elle nous a accordé une interview sur cette expérience d'actrice à part, sur sa vision des vacances et son rythme effréné.

Que vous évoquait Marguerite Duras avant ce tournage ?
Valérie Donzelli
 : Elle m'évoquait quelque chose d'assez sérieux parce que je ne la connaissais pas très bien. Le film me l'a rendue un peu plus délurée. Je n'avais jamais lu un livre d'elle. Découvrir Les Petits Chevaux de Tarquinia m'a donné envie d'en lire d'autres. C'est toujours un peu compliqué de prendre le temps de lire...

Qu'est-ce qui vous a convaincue d'accepter la proposition de Matthieu Rozé ?
Valérie Donzelli 
: C'est plaisant de faire un premier rôle dans un film. C'est toujours une aventure à part, quelque chose de fort. Matthieu est ultra enthousiaste. C'est séduisant d'être face à quelqu'un qui dégage une si belle énergie. Et puis j'ai trouvé le scénario super.

"Je n'ai aucune envie, sur les films des autres, de me sentir metteur en scène"

Qu'est-ce qui définit Sara, votre personnage ?
Valérie Donzelli
 : Sara est là sans être là, elle a une présence-absence un peu énigmatique. Elle n'a pas peur tout en étant un peu sentimentale aussi. C'est un personnage déchiré entre l'amour pour son mari et celui pour son enfant. Elle déchaîne les passions et en même temps, elle est assez discrète. Tout ça m'a plu et j'ai essayé de me la rendre familière. J'ai aussi beaucoup aimé sa part de mystère et de secret. Jouer un personnage qui ne parle pas beaucoup m'intéressait.

Comment avez-vous abordé le fait de devoir livrer des dialogues si incarnés, tout en étant plutôt à l'intérieur ?
Valérie Donzelli
 : Ce n'était pas forcément évident de dire ce texte très écrit, en essayant d'être naturelle, sans tomber dans la théâtralité du verbe. Ça s'est très bien passé parce que les acteurs étaient tous virtuoses. Yannick Choirat, qui joue mon mari, arrivait à dire des choses impossibles. J'étais très impressionnée par son aisance, par la facilité avec laquelle il faisait passer des choses tout en respectant les contre-temps. D'autant plus qu'il a l'un des rôles les plus difficiles du film. C'est un acteur extraordinaire. C'est toujours pareil, quand on a des bons partenaires, on joue mieux.

Valérie Donzelli et Yannick Choirat dans "Azuro" © Patrice Terraz - Paname Distribution

Azuro est un premier film. Est-ce naturel pour vous de faire confiance à un réalisateur novice ?
Valérie Donzelli
 : Un premier film, ça peut être un peu fragile et stressant pour les acteurs. Sauf que Matthieu est un homme avec une vie accomplie. Il a un passé, des choses à raconter. C'est un premier film solide dans sa forme, dans sa mise en scène, dans ses fondations. Je le trouve très ambitieux, aussi parce qu'il y a beaucoup de personnages. Azuro est pour moi original, atypique, très réussi.

La réalisatrice en vous s'efface-t-elle facilement quand vous êtes actrice ?
Valérie Donzelli
 : Absolument. Je n'ai aucune envie, sur les films des autres, de me sentir metteur en scène, ne serait-ce qu'une seconde. Cela ne m'intéresse pas du tout. Le plaisir d'être acteur, c'est de se laisser porter par le regard de quelqu'un. C'est beaucoup plus reposant, je m'efface complètement.

Le film parle d'amitié, d'amour, de désir, de parentalité. Qu'est-ce qui vous a touchée dans son propos ?
Valérie Donzelli 
: J'aime l'honnêteté qu'il y a entre les personnages. Ils sont capables de s'engueuler, mais ce groupe est uni par l'amour conjugal, maternel, presque fraternel entre les deux copains. Toutes sortes de liens sont représentés. On sent que c'est une bande à la vie à la mort. Ils se disent les choses, ils se respectent dans leurs identités propres. Ils sont humainement beaux.

Cette complicité était-elle à l'image du tournage ?
Valérie Donzelli 
: Il y avait quelque chose de très joyeux sur le tournage. On a vécu en huis-clos à la sortie du premier confinement, on était très copains. C'était une parenthèse enchantée. J'ai adoré faire ce film. Quand on est acteur, le rôle qu'on joue s'imprègne en nous. C'est un peu comme un moule, on prend sa forme. C'est ce qui s'est passé. On était tous un peu les personnages du film : Maya et Thomas s'engueulaient, c'était marrant, et moi j'étais comme Sara, très réservée.

Valérie Donzelli dans "Azuro" © Paname Distribution

Qu'avez-vous appris grâce à Azuro ?
Valérie Donzelli 
: J'ai appris plein de trucs, notamment un peu plus le métier. Cela faisait longtemps que je n'avais pas joué dans un film qui n'était pas le mien. C'est différent. Pour son propre film, même si on est un peu acteur, on reste très metteur en scène. On ne peut pas tellement être l'éponge qu'un comédien est habituellement. Là, j'étais totalement imprégnée par le rôle, par ce que j'avais à y jouer. En tant qu'actrice, je me suis rendu compte que l'on triche sans vraiment tricher. Le cadre du cinéma et du travail forme les règles, mais à l'intérieur de ce cadre, on joue avec nos propres émotions et sentiments. On est vraiment traversé par les histoires. C'est très fort et quand ça s'arrête, ça crée une espèce de vide. On est chouchoutés, très protégés, coupés du monde. Je n'ai plus l'habitude de ça. C'est assez déstabilisant quand on arrive à la fin. Ce sont des temps qui ne correspondent à rien d'autre. Heureusement qu'après ce tournage, j'avais ma série à réaliser, sinon j'aurais déprimé.

Vous semblez tout enchaîner sans répit. Etes-vous adepte du farniente, l'activité principale des protagonistes du film ?
Valérie Donzelli
 : Pas du tout! Je suis hyperactive. J'ai horreur du farniente, ça m'angoisse complètement. Ce film, finalement c'était un peu des vacances pour moi. 

A quoi ressemblent vos vacances idéales ?
Valérie Donzelli 
: Je n'en ai pas parce que je ne sais pas organiser des vacances. C'est toujours compliqué, cher, ce n'est vraiment pas un truc que j'adore. Pour moi les vraies vacances, c'est être seule, sans enfant, sans personne et écrire des films. Le quotidien est épuisant et les vacances restent du quotidien. 

Dans Les Petits Chevaux de Tarquinia, Marguerite Duras écrit: "Il n'y a pas de vacances à l'amour (...). L'amour, il faut le vivre complètement avec ton ennui et tout, il n'y a pas de vacances possibles à ça." Vous validez ?
Valérie Donzelli : Absolument. Les histoires d'amour sont tout sauf reposantes... comme les vacances finalement.