François Cluzet : "Quand on me dit qu'on m'aime, j'y vais!"

François Cluzet joue le rôle d'un directeur de foyer pour réfugiés mineurs dans "La Brigade", de Louis-Julien Petit, au cinéma le 23 mars. L'acteur nous a parlé de l'urgence de trouver des solutions pour les jeunes migrants en France, mais aussi de son tendon d'Achille sectionné pendant le tournage et de sa volonté de toujours s'enrichir de ses expériences de cinéma.

François Cluzet : "Quand on me dit qu'on m'aime, j'y vais!"
© Marechal Aurore/ABACA

François Cluzet ne choisit pas la facilité. A 66 ans, l'acteur intouchable accepte de se mettre au service des autres pour une cause qui lui tient à cœur. Dans La Brigade de Louis-Julien Petit, il joue un directeur de foyer pour migrants mineurs, qui va embaucher la cuisinière Cathy Marie (Audrey Lamy) pour nourrir toutes ces bouches. Lorenzo, son personnage, est un homme profondément généreux, attentif à tout mettre en œuvre pour permettre à ces jeunes d'obtenir le droit de rester en France. L'humanité de ce héros fictif n'est pas sans rappeler le besoin vital qu'a l'acteur de s'intéresser à l'autre, à travers son métier et sa manière d'être. En 2015, le comédien fétiche de Claude Chabrol et Guillaume Canet signait l'appel d'Alex Lutz pour venir en aide à ceux contraints de fuir leur pays et acceptait de donner l'un de ses cachets à une association d'aide aux réfugiés. Il était donc évident pour François Cluzet de contribuer à une comédie sociale aussi puissante, drôle et utile que La Brigade, en salles le 23 mars. Même en se faisant une rupture du tendon d'Achille dès le premier jour du tournage. Rencontre avec un homme humble, engagé, sincère (et rétabli).

Louis-Julien Petit avait peur de vous proposer le personnage de Lorenzo parce que ce n'était pas un premier rôle...
François Cluzet
 : Je lui ai répondu que je préférais être petit dans un grand film que grand dans un petit film. C'est dans mon intérêt. Le respect du public commence par nos choix. Il y a des films que l'on accepte parce que financièrement plus intéressants et d'autres plus intéressants artistiquement et humainement. Il faut faire les deux, mais à chaque fois qu'arrive un script comme celui-ci, second rôle ou pas, je fais. C'est rare qu'un film puisse placarder dans un décor un numéro de téléphone interactif, pour aider des gens dans la vraie vie*. Aussi, Audrey Lamy voulait que ce soit moi. J'étais désiré par le cinéaste et l'actrice principale... Ça me suffit. Quand on me dit qu'on m'aime, j'y vais!

Que saviez-vous de l'accueil des migrants mineurs en France avant ce projet ?
François Cluzet
 : Je savais ce que l'actualité me montrait, comme ce boulanger qui a fait une grève de la faim pour pouvoir conserver son apprenti guinéen. J'avais conscience des difficultés que ces jeunes rencontrent. Quand t'en vois un, y'en a deux qui sont morts. On voit la solidarité magnifique qui émerge pour l'Ukraine, mais l'Ukraine, ce sont des blancs chrétiens. Dans le cas du film, ce sont des noirs musulmans et on n'en veut pas. Pourquoi ? Qu'est-ce que ça change ? Une foi ou une autre, c'est la même chose. On devrait être contents que ces mecs soient des hommes de foi, mais non, ça ne nous intéresse pas. Aussi, comme ce sont des enfants, c'est trop douloureux. Louis-Julien Petit a la force du cinéaste militant, généreux, humain. Il fait des films comme La Brigade, alors qu'il pourrait aller vers des choses plus faciles, qui rapportent plus. M'associer à cet engagement est tout bénef' pour moi. Le film est utile au-delà d'être réussi.

François Cluzet dans "La Brigade" © Apollo Films

Connaissiez-vous l'existence des maisons d'accueil pour mineurs isolés étrangers ?
François Cluzet
 : Je savais que ça existait, mais j'avais l'impression que c'était raté. J'entendais surtout des histoires comme des frères ayant quitté leur pays ensemble, l'un rentrant quelques années plus tard sans l'autre, mort noyé. On passe notre temps à nous dire qu'il n'y a pas assez de personnel dans le BTP, dans l'hôtellerie, dans la restauration... Ce sont des mômes qui n'ont qu'une envie, apprendre. On est encroûtés, quand eux sont mobiles, vivants. Il y a une demande et un besoin, où est le souci ? Il fallait peut-être ce film pour ouvrir les consciences et remettre les choses à l'endroit. Espérons qu'il sera un succès.

Comment s'est passé votre rencontre avec les jeunes du film, eux-mêmes réfugiés ?
François Cluzet
 : C'était évidemment bouleversant. C'est une leçon d'humilité. Je n'ai pas vécu le dixième de ce qu'ils ont traversé. Moi je n'ai pris aucun risque. Je suis né dans un pays riche, en paix, je suis un acteur connu, dans une position très confortable. Je suis obligé de voir que je suis privilégié. J'ai des enfants, alors quand je suis confronté à ces histoires, je me dis "merde". Ces gosses partent à trois, il n'y en a qu'un qui arrive en vie et s'il n'a pas de stage, il repart tout seul. Quand il revient au bled, on lui demande des comptes. C'est une tragédie. Contrairement à ce qu'on dit sur eux, ce ne sont pas des malfrats ou des violeurs. Ce sont juste des gosses qui ont envie de rentrer dans leur pays avec un savoir pour le transmettre. Le mec qui se sent supérieur est une merde. Tu ne peux qu'être humain face à eux.

"Je déteste quand on me dit que je n'ai plus rien à prouver"

La bonne distance a-t-elle été difficile à trouver pour ce rôle ?
François Cluzet
 : Non, parce que les jeunes restaient très pudiques. Ils ne voulaient pas parler de leurs parcours. Un jour, il y a eu une discussion où ils ont raconté ce qu'ils avaient vécu et plusieurs micros sont restés ouverts exprès. Par exemple, il n'y a pas de filles parce qu'elles ne passent pas une frontière sans qu'on les prostitue. Pour les hommes aussi d'ailleurs, il est question de prostitution, d'esclavagisme... C'est comme toute grande douleur, on ne veut pas en parler par peur de retomber dedans. Pour ce qui est de mon personnage, tout était dans le script et dans la tête du metteur en scène, qui a énormément travaillé.

Vous avez dit à Audrey Lamy que vous alliez tout faire pour qu'elle soit la meilleure possible...
François Cluzet
 : Je n'ai pas dit ça pour elle. Je trouve que c'est une super actrice, mais je ne la connais pas à ce moment-là. Mon intérêt, c'est d'avoir le meilleur film et comme elle est leader, il faut qu'elle soit la meilleure possible. J'avais le même truc avec Omar Sy dans Intouchables. En te donnant tout, tu vas obligatoirement tout me donner. Avec Omar, on est assez vite tombés en admiration l'un de l'autre. En tout cas, moi de lui. C'était un peu pareil avec Audrey. C'était beau de faire partie de ce cercle, sans même pouvoir rentrer chez moi pour en parler à un voisin tellement personne ne sait ce qu'il se passe.

François Cluzet et Audrey Lamy dans "La Brigade" © Stéphanie Branchu - Apollo Films

Ce tournage a décidément été riche en émotions puisque vous vous êtes blessé. Que s'est-il passé ?
François Cluzet, montrant sa cheville
 : Premier jour, section du tendon d'Achille (rire). Sept heures du matin, je suis au milieu d'un stade de foot, pas échauffé et je n'ai plus 20 ans. C'était une scène où Audrey devait m'appeler. Je me suis dit que j'allais faire 2-3 passes pour donner de la crédibilité au moment. Je fais deux passes, je sens une douleur immense, mais je continue à jouer en boitant. J'entends le metteur en scène qui me dit de crier "claquage !" pour la scène. Sauf que ce n'était pas un claquage... Ça a été direct hôpital, opération et toute la galère. J'ai dit à Louis-Julien de me remplacer. Il m'a répondu qu'on allait le faire avec le plâtre. J'étais content parce que je ne voulais pas abandonner ce rôle. Mon personnage était déjà un mec vulnérabilisé, avec la patte dans le plâtre, j'avais peur que ça fasse beaucoup.

"Si c'est pour poser mon cul sur une commode, je n'y vais pas"

Transformer une contrainte en force, c'est naturel chez vous ?
François Cluzet
 : On est tous à la même enseigne. Nous les acteurs d'expérience, plus on a de contraintes, plus on est contents. Autrement, on est trop à l'aise. J'adore tout ce qui rend l'exercice plus difficile !

Après tant d'années de carrière, vous pourriez aussi choisir le confort...
François Cluzet
 : Je déteste quand on me dit que je n'ai plus rien à prouver. Je serai en exercice tant que j'aurai quelque chose à prouver. Le jour où ce ne sera plus le cas, vous n'entendrez plus parler de moi parce que je me serai barré. Il n'y a pas que le cinéma dans la vie et d'autres choses me passionnent. J'ai près de 50 ans de carrière. Si c'est pour poser mon cul sur une commode, je n'y vais pas. C'est purement égoïste : j'ai davantage besoin de m'enrichir qu'une personne de 20 ans, qui a encore 40 ans de plus pour évoluer. Je n'ai plus ces années-là. Si je ne deviens pas plus humain, bon, je foire ma vie. Tout le monde n'a pas la chance de devenir un acteur connu. Il faut renvoyer la pareille.

"Avec mon épouse, on a dit "terminés les palaces" !"

Puisque vous semblez en quête d'apprentissage, sur quoi ce film vous a-t-il fait bouger ?
François Cluzet 
: J'en ai eu plusieurs dans ma vie et j'aime bien ça: c'était une leçon d'humilité. On se retrouve en face de gamins de 14, 15 ans qui sont presque plus matures que nous. Nous, les acteurs, on revient souvent en enfance, on croit jouer aux gendarmes et aux voleurs, mais ces jeunes ne jouent pas. Ils sont dans la mouise jusqu'au cou et pourtant ils sont souriants, avenants, prêts. On se sent tout petits face à eux. L'humilité est un passeport. Sans elle, tu ne rencontres plus personne. Ceux qui ne savent pas ça se plaignent de s'ennuyer. Forcément, en passant sa vie dans les palaces, il ne se passe rien, à part croiser des gens qui se prennent au sérieux. Avec mon épouse, on a dit "terminés les palaces"! On va dans des bed and breakfast aux Etats-Unis. Un jour, on s'est retrouvés au petit-déjeuner face à deux vieux. Les mecs étaient testeurs de hamburgers et sillonnaient le pays pour les note ! Celui ou celle à qui tu parles va voir dans tes yeux si tu te sens supérieur ou si tu as l'humilité de t'intéresser à lui/elle. C'est comme ça qu'on rencontre vraiment l'autre.

07 49 79 49 61 : Ce numéro servira d'interface entre les spectateurs du film et les Maisons Familiales Rurales, afin de trouver des formations (agriculture, restauration, etc.) à certains jeunes en demande.