Rim Turki (MEMORY BOX) : "Le pouvoir de la photo est terrible"

Après plus de dix ans loin de la caméra, Rim Turki revient à ses premières amours, le cinéma et le jeu, grâce à "Memory Box", en salles le 19 janvier. L'actrice y est saisissante d'émotions en mère peu encline à dévoiler ses souvenirs d'adolescence à sa fille si curieuse. Interview.

Rim Turki (MEMORY BOX) : "Le pouvoir de la photo est terrible"
© Axel Schmidt/AP/SIPA

Memory Box, au cinéma le 19 janvier, raconte l'adolescence de Maia, Libanaise expatriée au Canada avec sa fille Alex et sa mère Têta. La forme y a son importance : ce voyage dans le temps s'opère à travers la réception d'une mystérieuse boîte à souvenirs. Alors que Maia interdit à Alex de s'y plonger, l'adolescente désobéit et découvre une correspondance entre sa mère à son âge et une amie à elle, au moment de la guerre du Liban. Cassettes audio, photos et cahiers composent ces mémoires tangibles, fascinantes pour la jeune fille. Rim Turki est cette mère que l'on sent blessée, à demi là. Jusqu'à ce que cette réminiscence de ses jeunes années la plonge dans des contrées émotionnelles sombres, mais libératrices. Avec ce rôle de Maia "adulte" (Manal Issa joue la version adolescente du personnage), la comédienne explore l'impact du secret et des émotions refoulées.
Après un petit rôle dans Le Patient anglais de Minghella en 1997 et un passage remarqué dans La Porte du Soleil en 2004, Rim Turki a eu l'occasion de jouer dans Munich de Spielbeg en 2005. L'année suivante, elle est co-scénariste de L'Etoile du soldat, réalisé par son époux le documentariste Christophe de Ponfilly, disparu avant la sortie du film.
De ses années loin du grand écran, l'actrice en a profité pour devenir psychothérapeute et avoue ne pas avoir pensé au cinéma pendant tout ce temps. Bonne nouvelle pour les spectateurs : son expérience auprès des cinéastes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige lui a donné envie de renouer avec ce rêve d'enfance. La boîte est rouverte.

Après plus de 10 ans sans tourner, qu'est-ce qui vous a fait dire oui à Memory Box ?
Rim Turki
 : Je n'ai pas dit oui tout de suite, j'étais tellement surprise que quelqu'un pense à moi spontanément pour jouer dans un film, me cherche et me demande ! J'étais si étonnée que je me suis sentie obligée d'aller voir ce dont il s'agissait, de re-rencontrer Khalil et Joana que je connaissais un peu. J'ai eu peur parce que le cinéma était derrière moi et que ça m'allait très bien comme ça. Je n'avais pas décidé de ne plus jouer, mais la vie m'a emmenée ailleurs. Ça m'a beaucoup déstabilisée. Je crois que j'ai tout essayé pour ne pas le faire et j'ai dû me rendre à l'évidence : tout était là pour que je ne puisse pas refuser ce cadeau de la vie, alors j'ai fini par accepter.

Qu'est-ce qui a été décisif dans ce choix ?
Rim Turki 
: Quand quelque chose d'aussi étrange nous arrive, ça ne se refuse pas. Il faut le faire et voir après. Quand j'ai pris la décision, et heureusement que je l'ai prise, j'étais si heureuse de plonger là-dedans et de m'ouvrir à nouveau, de retrouver toutes ces sensations qui font partie de moi que j'avais occultées pendant si longtemps.

Clémence Sabbagh, Paloma Vauthier et Rim Turki dans "Memory Box" © Haut et Court

Joana et Khalil travaillent sans faire lire le scénario à leurs comédiens... C'était un retour particulier ?
Rim Turki
 : C'était un saut périlleux plus qu'on plongeon. J'ai adoré travailler de cette manière. En gros, je savais qui était Maia, sa trajectoire et les choses principales : qu'elle avait une fille, qu'elle vivait avec sa mère, qu'elle était à Montréal depuis un certain nombre d'années, mais ce qui allait lui arriver exactement au fur et à mesure des scènes, je ne le savais pas. Parfois, j'en étais informée un quart d'heure avant le tournage. Il y avait aussi des surprises. Pour la scène de l'église, l'Ave Maria s'est déclenchée sans que je ne m'y attende. L'émotion m'a prise. C'était très excitant de renouer avec ce petit danger, ce vertige que l'on éprouve quand on tourne, mais qui est habituellement balisé par le fait de connaître ce qu'on va jouer. Là, on est toujours sur un fil, ce qui est à la fois effrayent, subtil et magique.

En quoi l'histoire de Maia vous a-t-elle intéressée ?
Rim Turki
 : À travers le personnage de Maia, il y a tellement de thèmes qui me touchent intimement... Parmi eux, l'exil. Je suis la petite-fille d'une anarchiste espagnole contrainte de quitter l'Espagne pendant la guerre. Cet exil nous a énormément marqués dans la famille. Mes grands-parents ont délaissé leur pays douloureusement. Je le ressens profondément avec la transmission intergénérationnelle. En étant d'origine espagnole et tunisienne tout en vivant à Paris, je suis toujours un peu ailleurs. C'est parfois compliqué, mais c'est aussi devenu une forme de liberté.

Quelle place prennent les images dans votre vie ?
Rim Turki 
: Je faisais de la photo jeune. J'ai même exposé deux fois à l'époque. Aujourd'hui, j'y ai un rapport particulier. Avec le temps qui passe, revoir des clichés de ma jeunesse ou même de ma fille lorsqu'elle était toute petite, c'est douloureux, cela me remue énormément. Le pouvoir de la photo est terrible, il peut remplir de joie, mais il peut aussi porter une charge émotionnelle si forte que parfois, je préfère ne pas voir des tirages que j'aime. Quand j'ai vu à travers les yeux de Maia les photos de sa jeunesse, de ses amis, d'elle-même, ça m'a réellement chamboulée.

Les archives, cahiers et photos du film sont tirés des effets personnels de Joana et Khalil. Qu'est-ce que ça a changé pour vous ?
Rim Turki
 : Il n'y avait aucune pression, mais une énergie qui circulait entre nous, dans laquelle se mêlait de l'affect, des souvenirs, des faits historiques, la guerre, l'amitié... Ces thèmes nous parlent tellement à tous que je l'ai ressenti très fort aussi.

Qu'est-ce que ça change de tourner avec des plasticiens qui ne font pas que du cinéma ?
Rim Turki 
: C'était très impressionnant d'assister à leur mise en place de choses invisibles, de sentir qu'ils savaient ce qu'on était en train de faire alors qu'on était nombreux à tout ignorer. Je me doutais que beaucoup de choses nous échappaient et effectivement, en voyant le film j'ai compris.

"En me remettant en péril avec ce tournage, j'ai retrouvé beaucoup de choses de mon adolescence"

Pensez-vous souvent à la notion de transmission, à ce que vous communiquez à votre fille par exemple ?
Rim Turki 
: Je pense à ce que je transmets, à ce que je ne transmets pas et à ce que je ne peux pas transmettre. Il y a des choses qui ne sont pas faciles, mais que l'on se doit de transmettre à nos enfants. Je suis devenue psychothérapeute, c'est pour ça que je n'ai pas tourné depuis si longtemps. Donc forcément, je connais pas mal les questions d'inconscient intergénérationnel. On a tous intérêt à ouvrir la boîte. Pour soi et pour nos enfants, il faut mettre tout ça à plat, quitte à souffrir un peu.

Dans le film, Alex ne reconnaît pas sa mère Maia quand elle la découvre adolescente. Que reste-t-il de l'adolescente que vous étiez ?
Rim Turki 
: En me remettant en péril avec ce tournage et ce personnage, j'ai retrouvé beaucoup de choses de mon adolescence puisque c'est ce que ce que je voulais faire : être comédienne, sortir de ma zone de confort, ressentir ce petit danger délicieux dans lequel on se met lorsqu'on accepte un projet. Rencontrer des gens, être dans une bulle tous ensemble pendant quelque temps, tout ça fait partie de mes rêves de jeunesse et grâce à Khalil et Joana, j'ai renoué avec.

Que découvririez-vous en ouvrant votre propre boîte à souvenirs ?
Rim Turki
 : C'est une belle question. Je crois que si on ouvrait notre boîte à souvenirs, on trouverait nos rêves. Certains sont encore intacts et d'autres ont laissé la place à des rêves encore plus proches de l'essentiel. Peut-être que certains rêves n'étaient pas indispensables et qu'on évolue pour tendre vers des envies plus simples. C'est la maturité.