Philippe Rebbot : "J'ai fait une adolescence molle"

Casquette vissée sur le crâne et allure dégingandée. Dans "Placés", au cinéma le 12 janvier, Philippe Rebbot est égal à lui-même en directeur de foyer pour enfants prêt à mener toutes les batailles. Le comédien nous a expliqué pourquoi ce rôle était pour lui, comment son manque d'ambition lui mène la vie douce et en quoi son ex-femme Romane Bohringer est "lui en mieux". Entretien.

Philippe Rebbot : "J'ai fait une adolescence molle"
© SIPA

Philippe Rebbot est reconnaissable entre mille. Pour sa silhouette, son look, ses lunettes. Lui se dit "voyant". Dans Placés, de Nessim Chikhaoui, il campe un directeur de foyer pour mineurs très inquiet de voir des rats squatter la baraque. Pas irascible, mais déterminé. À la ville, le comédien n'est pas mû par cette volonté en provenance des tripes. Il se revendique flemmard, rêveur et comptabilise "44 ans d'échec". Environ jusqu'à sa rencontre avec Romane Bohringer, son épouse pendant 10 ans, la mère de ses enfants Rose et Raoul et surtout, celle qui continue de l'inspirer. Inventant le concept de "sépartement", la famille Rebbohringer s'est filmée en long-métrage et en série à succès avec L'amour flou, comédie au charme irrésistible. Il compare leur duo au couple John Cassavetes et Gena Rowlands. Philippe Rebbot fait pleuvoir les compliments sur son ex aussi souvent qu'il se déprécie. L'humour et le sens de la formule semblent le définir au même titre que son apparence. La générosité et l'empathie aussi. S'il a accepté Placés, c'est surtout pour ce que ce film, à découvrir le 12 janvier, dit de l'importance du lien et parce qu'il est fasciné par ceux capables de bien s'occuper des autres. Rencontre.

Qu'est-ce qui vous a fait accepter le rôle du directeur de foyer dans Placés ?
Philippe Rebbot 
: Comme avec chacun de mes rôles, je me suis demandé si j'aurais pu être ce mec. Je ne suis pas un grand acteur technicien, alors je m'interroge : j'y vais au talent pour faire quelque chose qui n'est pas moi ou je fais quelque chose où je me retrouve ? Ce personnage m'a vachement convenu. Je le trouvais joli. Le vrai truc, en tant que grand survoleur de scénario, c'est de rencontrer les gens. Nessim est un type extrêmement solaire. J'ai été charmé, je me suis dit qu'on ne pouvait pas se planter avec lui. On sent qu'il a été éducateur 7 ans, sa présence me faisait du bien. Parfois, je le dis sans orgueil, on vient me chercher pour des premiers films pour mon expérience. C'est quelque chose avec laquelle il faut être d'accord. Avec ce mec, je l'ai fait avec plaisir. C'est un beau projet, aussi pour ce qu'il raconte.

Qu'est-ce qui vous a touché dans le message de Placés ?
Philippe Rebbot 
: De quoi manquent ces gosses ? Juste qu'on fasse attention à eux et qu'on leur donne un peu d'espoir. J'ai vu un coeur là-dedans. Je me fous un peu des résultats finis, mais ça fait du bien de balancer un petit film de tendresse. De dire que si on se regarde, ça va aller mieux. Don't look up to Zemmour ! Tout le discours actuel est vraiment toxique, je me demande ce que ça raconte à des gosses comme ça. La base du film, c'est de clamer qu'il y a de l'espoir et c'est ça qu'on doit montrer aux gens. Arrêtons de leur parler de la réalité. Projetons les ailleurs. Et cela n'est possible que dans un espace. Dans ces maisons-là, on laisse aux enfants le temps de penser à autre chose qu'à leur vie. Si t'as 5 minutes pour rêver, tu peux avancer. Aujourd'hui, la classe sociale la plus basse n'as pas le temps de penser, alors rêver, n'y pensons même pas. Laisser penser les gens, c'est subversif...

Quelle place prend votre endroit à penser, votre foyer, dans votre vie ?
Philippe Rebbot
 : Je suis un bon casanier. Il faut vraiment que je prenne mon élan pour sortir de chez moi. Heureusement que mon ex-femme Romane est un peu plus warrior pour se lancer dans la rue, parce que sinon mes enfants seraient sur un canapé avec moi. Je viens d'une famille où on était bien à la maison. Quoi qu'il se passe dans le monde, quand je rentrais chez moi avec mes parents, mes frères, et qu'on se réunissait autour du foyer qu'était la tv, j'étais bien. Ce sentiment est essentiel et c'est ce dont manquent ces gosses : ce foyer familial, cet endroit où rien ne peut t'arriver.

Quel adolescent étiez-vous ?
Philippe Rebbot
 : J'ai fait une adolescence molle. Ce que j'avais en commun avec tous les ados, c'était de la boue dans la tête. Ce deuil de l'enfance, mais qu'on ne perçoit pas comme ça, moi je l'ai traversé en me faisant chier. Je ne savais pas contre quoi me rebeller, puisque j'étais bien dans mon foyer. Je faisais la gueule à mes parents du matin au soir sans aucune raison. J'étais bon élève, je ne faisais pas de vague. Je me disais qu'un jour j'aurais ma revanche, mais de quoi ? Je l'ai prise à 18 ans, je me suis mis à boire. J'ai découvert la drogue et à chaque fois que je me faisais un pétard, je me disais "bien fait pour vous" !

Philippe Rebbot dans "Placés" © Michaël Crotto / Le Pacte

Maintenant que vous êtes de l'autre côté, comment appréhendez-vous l'adolescence de vos enfants ?
Philippe Rebbot 
: Je suis à la fois un père et un grand théoricien, contrairement à Romane qui est très affective. Notre fille rentre dans l'adolescence. On la voit gentiment glisser depuis un an. Je vois tout ce qui se passe dans sa tête. Le seul truc que j'appréhende, c'est le charnel. C'est fini les câlins avachis à deux ! J'espère que ça ne les mènera pas, elle et mon fils, dans des endroits trop moches. Je guette que ça ne se passe pas mal surtout pour eux, parce qu'avec moi, ça se passera à peu près toujours bien... à part s'ils me disent qu'ils votent Zemmour.

Quel serait votre plus gros échec d'éducation ?
Philippe Rebbot 
: Que mon fils ou ma fille m'annoncent un jour qu'ils ont rejoint le parti néo-nazi ! Je leur dirais "mes amours, on a pourtant écouté John Lennon…". Non, ce qui raterait mon éducation, ce serait qu'ils soient malheureux sans pouvoir me le dire. Quand t'es parent, t'as un peu peur de tout. Il faut se reprendre parce que si je me fie à ma propre expérience, j'ai traversé le collège sans être un champion. J'étais gros, je portais de grosses lunettes, je louchais à moitié et finalement, ce ne sont que des micro-traumatismes. En plus je n'avais pas trop d'acné, alors avec un peu de chance mes enfants s'en tireront bien.

Le film repose sur un acte manqué : un oubli de carte d'identité qui empêche de passer un concours. Lequel de vos échecs a-t-il été fructueux ?
Philippe Rebbot
 : Ma vie a longtemps été un échec. Ces 44 ans d'échec m'ont amené à devenir acteur sur le tard et sont devenus ma force. Je joue d'ailleurs souvent des personnages en défaite. Je suis un flemmard... Rien ne m'a jamais choqué. J'ai toujours eu l'impression de comprendre le système dans lequel j'étais. Je n'ai pas d'expérience traumatisante parce que je n'ai envie de rien. Je me laisse porter pas le courant et ce n'est pas pire. Le secret, c'est que je n'avais pas d'ambition autre qu'avoir une vie qui me plaise. Il faut mesurer à quel moment tes aspirations t'emmènent trop loin de toi. Je n'ai jamais pensé à être au top. Quand à 16 ans, tu fais ma taille et qu'on te voit en premier où que t'ailles, tu as tendance à rentrer les épaules en espérant que personne ne te repère. Le paradoxe, c'est que je ne rêve que de ça, être discret, et que je fais l'acteur.

"Je suis un grand dépressif avec des idées optimistes !"

Votre filmographie est très fournie pour un flemmard...
Philippe Rebbot 
: Je n'ai pas l'impression de tourner énormément parce que je suis tout le temps le même rythme. La plupart du temps, je ne tourne que quelques jours. Alors on me voit un peu partout, mais aussi parce que je suis voyant. La dernière fois que j'ai travaillé, c'est en juillet et pour l'instant je n'ai rien de prévu. Ça ne m'angoisse pas. L'endroit où je suis en tant qu'acteur fait que je n'ai pas de planning. On ne me prévient pas un an avant pour un premier rôle dans James Bond. Je suis plutôt du genre à avoir un 8e rôle qu'on m'annonce la veille. J'en viens même à me dire que si ça s'arrêtait, j'aurais vécu une belle carrière. J'ai toujours pensé ça de tout. À part des angoisses de fric entre 20 et 30 ans pour gagner ma vie, je ne me suis jamais inquiété. Si demain on me disait "Philippe, l'acteur c'est fini, mais tu vas balader des touristes à vélo", ça m'irait. Je suis un grand dépressif avec des idées optimistes ! Là, mon rêve en tant que comédien, ce serait qu'on me donne une bonne série du genre Magnum, sur plusieurs saisons, payée assez pour vivre chichement une vingtaine d'années. Je prendrais ma retraite et je m'occuperais de mes gosses et de mon ex-femme, qui est ma troisième enfant.

Vous n'avez pas envie d'écrire ou de (co)réaliser de nouveau ?
Philippe Rebbot
 : On va se dire la vérité immédiatement : pour L'Amour Flou, Romane a tout fait. J'ai eu une idée de réalisation à un moment. Quand je l'ai proposée, on m'a répondu "c'est bon Philippe, on n'a pas le temps, va te coucher". Ce n'est pas mon truc, ce n'est pas viscéral. J'ai commencé dans ce métier en tant que scénariste. Ça m'a vite déprimé. Maintenant, j'écris des haïkus, je me détends. J'aide des gens sur des scénarios, je fais des consultations. Je suis paresseux comme personne, j'ai besoin d'avoir beaucoup de temps pour rêver. J'ai un super scénario sous le coude depuis 2003, pour lequel j'ai décroché des financements et je me suis arrêté en route. De temps en temps, je me dis que je dois le reprendre... Je n'ai pas de velléité, j'ai la chance de pouvoir vivre comme ça. Depuis que j'ai 16 ans, je veux ne rien foutre et finalement, le plus proche de rien foutre, c'est acteur. C'est vrai que certains rôles demandent du travail, mais globalement c'est ta nature qui fait de toi un acteur, pas le boulot. Pour être premier rôle, il faut le vouloir !

"Il vaut mieux recevoir des mercis que des bravos"

Comment vivez-vous le succès du film et de la série L'amour flou ?
Philippe Rebbot
 : C'est étonnant, les gens nous témoignent des choses qui filent la chiale. J'arrive à me dire qu'avec Romane, on a une responsabilité. Aux avant-premières, certaines personnes nous disent qu'elles vont rappeler leur ex-femme ou ex-mari. Une fille est venue me confier qu'elle commençait une histoire et qu'elle n'avait plus peur de la fin grâce à nous. Même au coin de la rue, je vois des émotions de dingue. Ça, c'est important. Il vaut mieux recevoir des "mercis" que des "bravos". Romane est là-dedans depuis longtemps. Je souhaite à tout le monde d'avoir une fille comme Romane dans sa vie, de se rencontrer soi en mieux. J'ai envie de travailler avec cette meuf, qu'elle me dirige, qu'elle m'engueule... C'est tellement gai de faire des trucs comme ça ! 

Dit-elle la même chose de vous ?
Philippe Rebbot
 : Elle a l'élégance de dire que sans moi, elle ne serait personne, que j'apporte la poésie dans la famille. Alors bon, elle m'engueule de poésie, mais au fond on s'aime profondément. Il a fallu qu'on se sépare pour s'en rendre compte. Même si avant la rupture, on a quand même vécu 10 ans magnifiques. Mise à part la tristesse quand on a compris qu'on était au bout, c'est rapidement redevenu doux, un truc assez cool. C'est génial de se dire "avec cette personne là, il ne peut rien m'arriver".