Noomi Rapace : "On se repose trop sur les mots"

L'actrice révélée par "Millenium" a grandi en Islande. C'est justement au cœur de son pays d'enfance que prend place "Lamb", au cinéma le 29 décembre. Dans ce conte fantastique, la Suédoise incarne une mère endeuillée qui découvre un nouveau-né étrange au milieu des agneaux de sa ferme. On a saisi notre chance de parler avec elle de cinéma et de légendes. Rencontre avec une merveilleuse comédienne.

Noomi Rapace : "On se repose trop sur les mots"
© Lenita Visan

Il aura fallu un rôle pour envoyer la Suédoise Noomi Rapace tutoyer les étoiles hollywoodiennes. Depuis sa révélation en Lisbeth Salander dans Millenium en 2009, l'actrice cumule les blockbusters: Sherlock Holmes 2: Jeu d'ombres, Prometheus, Seven Sisters, Alien : Covenant ou encore la série Jack Ryan. Avec Lamb, en salles le 29 décembre, la superstar des films d'espionnage et de science-fiction renoue avec ses racines. Celle qui a grandi sur l'île de glace et de feu joue une femme dévouée à sa ferme dans cette fable islandaise de Valdimar Johannsson. Les plans sont méticuleux, la réalisation épurée, aucune fioriture ne vient entacher les grands espaces et pourtant, l'atmosphère de ce qui s'avèrera relever du conte est d'emblée pesante. C'est sûrement là le poids du silence, puisque les personnages principaux, Maria et Ingvar, n'échangent pas un mot pendant de longues minutes. Le jeu de Noomi Rapace et de son partenaire Hilmir Snær Guðnason prend tout son sens. Leurs interprétations se font plus légères au moment où le couple qu'ils forment à l'écran découvre un nouveau-né pas comme les autres parmi ses moutons. Rapidement, l'hybride agneau-humain se retrouve dans un berceau au pied du lit conjugal, choyé comme un divin enfant. Il ne nous en fallait pas plus pour questionner Noomi Rapace sur cet ovni horrifique et poétique, sur les contes de son enfance et sur la ferme dans laquelle elle a elle aussi grandi.

Qu'avez-vous pensé en découvrant l'histoire de Lamb ?
Noomi Rapace
 : Je me demandais ce que j'étais en train de lire. Ensuite, je me suis demandé si j'avais lu le scénario de travers alors je l'ai relu. J'ai regardé les images, dessins et photos compilées par le réalisateur dans un moodboard. C'était perturbant, beau et sombre à la fois. Ce combo avec le scénario est devenu une obsession. Je sentais que je devais le faire, qu'il m'était nécessaire d'entrer dans cet univers pour donner vie à Maria.

Vous avez grandi dans une ferme islandaise. Comment était-ce de jouer dans une fiction proche de votre réalité d'enfant ?
Noomi Rapace
 : J'ai adoré. C'était comme si j'avais attendu de faire ce film. Il m'a ramenée à une part de moi qui me manquait. Ce rôle m'a obligée à être très honnête, à me mettre à nu.

Que représente Maria à vos yeux ?
Noomi Rapace
 : Même si elle porte en elle beaucoup de peine à cause de la perte de sa fille, quand on fait sa connaissance, c'est comme si sa vie était en suspend. Elle ne se dévoile pas beaucoup, elle continue d'avancer. Elle est si forte. C'est elle qui conduit le tracteur, qui accouche les agneaux, qui les marque. C'est une survivante. Au début, elle n'est en vie qu'à 50% car c'est trop douloureux. À la fin, elle est complètement vivante, mais avec énormément de souffrance. Je l'ai adorée.

"Il se passe beaucoup de choses bizarres en Islande pendant les fêtes de fin d'année"

Il y a extrêmement peu de dialogues dans le film. Comment avez-vous appréhendé ce rôle ?
Noomi Rapace 
: Je l'ai pris comme un super cadeau car je crois qu'on se repose trop sur les mots. Parfois, on se cache derrière eux. Quand il n'y en a pas, vous n'avez pas d'autre choix de vivre l'émotion, vous ne pouvez pas tricher. Vous devez être pleinement là. 

Selon vous, Lamb a lieu pendant la période de Noël. D'où vous vient cette certitude ?
Noomi Rapace
 : Parce qu'il se passe beaucoup de choses bizarres en Islande pendant les fêtes de fin d'année (rires). Dans les autres pays, Noël est une période de célébrations. Là-bas, il y a une sorcière prénommée Gryla qui mange les enfants. Si vous n'êtes pas sage, on vous raconte qu'elle va venir vous capturer. Elle a 13 enfants, qui sont comme les Pères Noël pour nous et qui sont aussi démoniaques qu'elle. Il y a aussi le Chat de Noël sur le même modèle, un chat très méchant qui vient vous manger si vous n'êtes pas gentil ! Toutes ces menaces pesaient sur Noël, ce qui rendait la période plutôt sombre (rires).

Je criais "Où est ce chat ? Apportez-le moi !"

Craigniez-vous toutes ces légendes quand vous étiez petite ?
Noomi Rapace
 : Je n'avais peur de rien enfant. Nous avons déménagé là-bas quand j'avais 5 ans et ma mère me racontait que si je n'étais pas sage, le Chat de Noël allait venir pour moi. Ça m'agaçait tellement que je criais "Où est ce chat? Apportez-le moi!" J'étais badass.

Qu'avez-vous gardé de votre enfance là-bas ?
Noomi Rapace
 : Ça a ancré les racines de ma personnalité. Je suis très terre à terre. J'aime le travail physique, je fais du sport tous les jours, j'aime prendre les gens dans mes bras. Je me vois comme une femme de terrain et je pense que c'est dû au fait d'avoir grandi dans une ferme. On ne parle pas beaucoup, mais on agit.

Avez-vous gardé ce lien à la nature ?
Noomi Rapace
 : J'adore la ville, pouvoir sortir au milieu de la nuit pour acheter des cigarettes ou aller à l'épicerie. J'aime la spontanéité et à la campagne, tout ferme à 18h... Un dîner improvisé ? C'est impossible. J'aime la vie et j'ai besoin qu'elle soit accessible à toute heure !

Comment était-ce de partager le tournage avec principalement des moutons ?
Noomi Rapace
 : Les moutons sont assez têtus, ils font ce qu'ils veulent. C'était marrant de filmer autant avec des agneaux qu'avec des bébés humains. On passait de l'un à l'autre et je me suis rendu compte que c'était à peu près la même chose au niveau de la communication. Vous devez passer par l'énergie, essayer de vous connecter sans les mots ou le langage, juste en faisant jouer la compréhension. Je les voyais comme mes co-stars, mes acteurs.

"Ma grand-mère me disait que les fées existaient, mais qu'on ne pouvait pas les voir"

Quels contes aimiez-vous enfant ?
Noomi Rapace
 : Petite, j'étais obsédée par cette chanson, qui est en fait un conte suédois (elle la chante, ndlr). Elle raconte que quand la maman troll a mis tous ses enfants au lit et qu'elle les a attachés par la queue, elle peut enfin se reposer. Je croyais aux elfes et aux trolls. Sur le tournage de Bright avec Will Smith, on parlait des fées et de toutes ces choses avec lesquelles j'ai grandi comme si c'était normal. Ma grand-mère me disait qu'elles existaient, mais qu'on ne pouvait pas les voir. Quand j'ai essayé de raconter ces légendes à mon fils, il m'a demandé si j'y croyais vraiment et j'ai fait comme si ce n'était absolument pas le cas. "Moi ? Jamais de la vie !" (rires).

Quelle place prend aujourd'hui l'imaginaire dans votre vie ?
Noomi Rapace
 : J'aime toutes les formes de vie et cela implique aussi les rêves, les cauchemars, l'imagination et le fantastique. Si vous parlez à un enfant, il a cette fantaisie pure. On l'a tous en nous avant d'essayer de la restreindre. C'est pourquoi j'aime tant le cinéma. C'est un endroit où tout est possible, il n'y a pas de règle. C'est la liberté. J'aime me plonger dans les possibilités de ces genres. C'est sans fin. On ne juge pas. Savoir si c'est bien ou mal, c'est secondaire.

Vous avez vous-même choisi "Rapace" comme nom d'emprunt, pour sa signification en français. Pourquoi ?
Noomi Rapace
 : J'avais 6 ou 7 ans en Islande et je jouais dehors quand une énorme créature est venue se poser à côté de moi. C'était un aigle, qui me fixait avec ses billes dorées. J'étais persuadée qu'il ou elle allait m'embarquer. Je me suis dit que si l'animal ne me prenait pas, c'était une bénédiction. Il ne l'a pas fait et depuis j'ai cette forte connexion avec les oiseaux de proie, les rapaces. Il sont loyaux, ils défendent leur nid, restent ensemble pour toujours. Ils sont puissants et représentent la liberté, l'intégrité. Quand j'ai rencontré mon ex-mari, je lui ai proposé de changer de nom parce que je voulais démarrer un nouveau chapitre. Je cherchais à me libérer du passé et à commencer une nouvelle vie. Résultat, mon fils est le premier "Rapace" né au monde et il en est très fier, c'est mignon !