Tomasz Kot (A PERFECT ENEMY) : "Je peux totalement gérer le fait de ne pas avoir une vie normale"

Le cinéma international fait les yeux doux à Tomasz Kot depuis "Cold War", romance en noir et blanc sur fond de guerre froide. Dans "A Perfect Enemy", adaptation sur grand écran d'un roman d'Amélie Nothomb par Kike Maillo, en salles le 29 décembre, l'acteur polonais confirme un talent brut. Interview.

Tomasz Kot (A PERFECT ENEMY) : "Je peux totalement gérer le fait de ne pas avoir une vie normale"
© Bertrand NOEL/SIPA

Son nom et son regard parlent aux cinéphiles. Tomasz Kot avait provoqué l'émoi au Festival de Cannes en 2017, avec son rôle dans Cold War, film d'amour en noir et blanc polonais. Depuis, la carrière de ce comédien superstar dans son pays franchit les frontières. On le retrouve le 29 décembre à l'affiche d'une réalisation espagnole tirée d'un livre francophone. Dans A Perfect Enemy, adapté de Cosmétique de l'ennemi d'Amélie Nothomb par Kike Maillo, l'acteur incarne un éminent architecte, pris pour proie par une jeune fille décidée à lui tenir la jambe. Jeremiasz Angust est en transit dans un aéroport qu'il a conçu quand Texel Textor entame la discussion avec lui. La jeune fille, intense Athena Strates, ne le lâchera pas.
Avec ce rôle, à 44 ans, Tomasz Kot a pu mettre à l'œuvre l'anglais appris il y a quelques années et découvrir les joies d'un tournage international entre Barcelone, Paris et Francfort. Le mélange parfait de nouvelles expériences pour contenter celui qui cherche à emmagasiner toujours plus de compétences. Son credo ? Des personnages qu'il n'a jamais fait, pour ne cesser de progresser. Entretien avec un acteur roi dans l'art de l'évolution.

Qu'est-ce qui vous a plu dans A Perfect Enemy ?
Tomasz Kot : J'ai lu le scénario en quelques heures et j'ai trouvé son mystère très addictif. Après le Festival de Cannes en 2017, une grande aventure internationale m'attendait. Le réalisateur anglais Anand Tucker m'avait proposé le rôle titre d'un biopic sur Nikola Tesla, pour lequel j'avais commencé la préparation. C'est à ce moment là que Kike Maillo m'a demandé de me joindre à son film. J'avais peur que les deux tournages se superposent, mais le film anglais a finalement été décalé. Evidemment, personne ne se doutait qu'une pandémie était à venir ! J'étais très excité à l'idée de jouer dans un thriller psychologique pour la première fois. Je ne m'attendais pas à faire des films à l'étranger, dans une langue qui n'est pas la mienne. En Pologne, on a un mythe qui dit que les acteurs polonais ne peuvent faire que des films polonais.

Vous avez tordu le cou aux préjugés ! En quoi Cold War a-t-il changé votre vie ?
Tomasz Kot : Avant Cannes, j'avais fait environ 40 films en Pologne, tout fonctionnait bien. Mais cet événement m'a transporté vers un autre chapitre, même si la pandémie a annulé une partie de ces projets... Un tel succès m'a demandé de changer très rapidement. Une agence américaine m'a appelé pour me dire que Danny Boyle me voulait pour le nouveau James Bond. On m'a demandé d'aller à Los Angeles pour rencontrer des gens. Quelques mois plus tard, j'étais dans un avion, me disant que je n'avais jamais osé avoir ce rêve. Je ne parlais pas anglais, j'ai dû rattraper le temps, prendre des cours. Tout était nouveau. Je suis très heureux de cette nouvelle expérience. Je suis sorti de ma zone de confort pour évoluer vers du mieux, je l'espère !

Athena Strates et Tomasz Kot dans "A Perfect Enemy" © Aritz Lekuona - Alba Films

A Perfect Enemy repose sur un long dialogue. Comment le novice en anglais que vous étiez a-t-il composé avec ça ?
Tomasz Kot : C'était mon troisième film en anglais. Les dialogues prennent tellement de place dans cette histoire qu'on pourrait la jouer au théâtre avec Athena Strates. C'était un immense challenge. Tous les jours après le tournage, je travaillais mon texte du lendemain avec un coach. J'imagine à quel point ça a dû être compliqué pour Athena, dont l'anglais est évidemment parfait puisqu'elle le parle depuis toujours.

Comment était votre complicité sur le plateau ?
Tomasz Kot : On vient d'endroits totalement différents. Je suis né en Pologne communiste, elle a vu le jour à Cape Town en Afrique du Sud. Les échanges sur nos expériences de vie étaient fabuleux. A Barcelone, où nous avons tourné pendant 2 mois, nous étions comme des étrangers. J'étais le seul Polonais sur le plateau, elle la seule Sud-Africaine. Cette situation unique avec une équipe internationale nous a amenés à nous soutenir comme un frère et une sœur. On jouait du matin au soir, c'était très intense pour nous. Athena et moi formions une vraie équipe.

"J'avais l'impression d'être dans une caméra cachée !"

Qui est Jeremiasz, votre personnage ?
Tomasz Kot : C'est un homme très ambitieux, la Pologne ne lui suffisait pas. Jeremiasz est l'un des architectes de l'aéroport dans lequel se déroule le film. Pour l'incarner, j'ai pensé à ces Polonais qui cherchent à échapper au système communiste de notre pays. Je sais que ces gens doivent travailler très dur pour se faire une place, pour faire leurs preuves. Il est talentueux, très éduqué, courageux. Et puis on finit par comprendre ses secrets...

Alors que le film parle d'un homme importuné dans un aéroport, les gens vous reconnaissaient pendant le tournage. Comment avez-vous vécu cela ?
Tomasz Kot : Ça s'est passé à l'aéroport Charles de Gaulle à Paris. Je me souviens de Polonais qui me demandaient ce que je faisais là. C'était excitant, mais c'était aussi très difficile de tourner dans un aéroport avec de vrais passagers. On a vécu quelques situations cocasses. Imaginez que vous attendiez pour embarquer et que vous me voyiez courir plusieurs fois vers la porte parce que je joue un personnage en retard. Le tout suivi par une caméra. Les gens se demandaient "pourquoi ce type n'arrête-t-il pas de courir ?".

Comment vivez-vous la célébrité ?
Tomasz Kot : Je suis célèbre dans mon pays, les gens m'arrêtent dans la rue pour me demander des photos et bien sûr, ça crée parfois des situations bizarres. Les personnes qui me rencontrent pour la première fois décident qu'elles doivent venir me parler. C'est naturel pour elles, mais de mon point de vue, je dois me dépêcher pour aller chercher mes enfants à l'école par exemple. Heureusement, personne n'est jamais dangereux. Je peux totalement gérer le fait de ne pas avoir une vie normale (rires).

Tomasz Kot dans "A Perfect Enemy" © Aritz Lekuona - Alba Films

Comment vous sentez-vous dans les aéroports, que faites-vous pour vous occuper ?
Tomasz Kot : La pandémie a annulé tous mes projets, donc je ne prends pas tant d'avions que ça en ce moment… Je n'oublierai jamais ce moment, après avoir terminé la partie française du tournage pour A Perfect Enemy. Je rentrais en Pologne deux jours plus tard. Mon avion était à la même porte que là où nous avions tourné et toutes les personnes de l'aéroport, des vendeurs aux hommes de la sécurité, m'ont salué et demandé ce que je faisais encore là. C'était marrant. Des Polonais sont venus me voir en attendant l'avion pour Varsovie. Après deux mois de solitude, à n'entendre le polonais que très brièvement au téléphone, j'ai eu ce sentiment bizarre : j'avais l'impression d'être dans une caméra cachée !

Vous dites que le tournant de votre carrière vous donne l'impression de recommencer de zéro. Quels sont vos rêves de nouveau débutant ?
Tomasz Kot
 : J'espère toujours que le film sur Nikola Tesla verra le jour. Je l'ai préparé pendant 4-5 mois. C'est douloureux de travailler aussi dur pour rien. C'était un rôle énorme pour moi, Variety a même écrit un article dessus, tous les journalistes polonais m'en ont parlé. Et maintenant je n'ai plus rien, ce projet est annulé. Dans mon imagination, je suis ce Nikola, je suis prêt pour le rôle. Mon plus grand rêve est donc de le tourner. Ne pas avoir d'attente, être patient, c'est difficile, mais c'est la mentalité que j'essaie d'adopter. Peut-être que quelque chose de nouveau m'attend au tournant et que je ne le sais pas encore ?